J’ai rejoint un déjeuner privé dont on avait réglé l’ordonnance autour de trois Yquem. D’abord Yquem 95 étonnamment accompli pour un Sauternes de cet âge, de belles caractéristiques de race et de maturité. Le beau Yquem qui va bien vieillir, et va faire partie de la famille des plus grands, comme les 21 ou les 47. Sur une sole, le mariage était excellent, la sole parfaitement cuite magnifiant le goût de façon sensible. Un Yquem 82 très ambré, de belle couleur dorée, au très beau nez capiteux. Beaucoup de charme et de rondeur, des notes déjà fumées et caramel mais étonnamment, c’est le moins long en bouche des trois. Le plaisir est plus immédiat, distingué, mais plus charnellement court. Sur une volaille, l’association n’apportait pas beaucoup. Ensuite Yquem 81 : beaucoup plus clair, jaune limpide et vert, et ensuite tout en subtilité : nettement moins envahissant que le 82, il plait plus par sa séduction retenue. Et il a un final très attachant, les saveurs complexes d’agrumes, de légères épices permettant une longue suavité discrète mais persistante. Sur une tartelette aux fraises, seule la pâte délicieuse enrichissait le Yquem, car la fraise est en lutte. Belle association avec les mignardises. Un repas fini sur un chaleureuse fine champagne de plus d’un siècle de la collection de Maxim’s.
Archives de catégorie : dîners ou repas privés
Un dîner parisien comme il en existe dimanche, 15 avril 2001
Un dîner parisien comme il en existe, où l’on boit des vins assez moyens du fait du nombre de convives. Pas de véritable plaisir gustatif, même si la cuisine d’un grand hôtel parisien est marquée par la patte d’un grand chef. Le vrai plaisir fut de me trouver placé à coté d’un « nez », une femme qui conçoit des parfums. La confrontation de nos approches olfactives et gustatives m’a enthousiasmé. C’est assez impressionnant de voir quelqu’un qui trouve toutes les composantes d’un plat, y compris les épices, et, plus spectaculaire encore, qui perçoit au nez la trame fondamentale d’un vin. J’ai trouvé un même sens de la synthèse chez Guy Savoy, qui est capable de trouver instantanément « le » principe fédérateur d’un vin. J’ai pu avec beaucoup de plaisir voir où l’analyse d’un nez et l’approche d’un « goûteur » de vins se rejoignent ou s’éloignent. Je garde de ce moment l’envie de faire se confronter prochainement des œnologues de talent et un ou des nez. Les approches seront très enrichissantes à additionner.
Dîner au restaurant Guy Savoy mardi, 3 avril 2001
Pour une fois, au lieu de raconter un dîner à plusieurs vins, avec de nombreux convives, je vais vous raconter un dîner en tête à tête, avec un seul vin phare. Mais l’histoire mérite d’être racontée.
L’histoire commence il y a quelques mois. J’étais déjà client chez Guy Savoy, mais il n’y avait aucune raison qu’il m’ait remarqué. Les choses ont changé lors de ce fabuleux déjeuner dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, et que j’évoque sur le site www.wine-dinners.com : cette dégustation de 20 millésimes d’Yquem. Le déjeuner chez Guy Savoy m’a permis de lui faire goûter un vin de Chypre 1845 pour lequel il m’a fait ainsi qu’à mon épouse deux jours plus tard un plat divin : un poulet cuit en papillotes, avec un jus de réglisse.
Depuis, nos relations se sont un peu approfondies, et je lui ai demandé si je pouvais réserver une table pour deux et apporter une bouteille pour laquelle je lui demandais un plat de son invention. Il accepta. Je n’avais pas d’idée en tête, mais je choisirais parmi des bouteilles à niveau assez bas que j’ai repérées dans ma cave. Dans le nombre, il est normal que quelques bouteilles anciennes évoluent vers cet incident : la perte de niveau. Deux jours avant le dîner, je pris en cave une bouteille d’un Chambertin 1934 de Charles Viénot. Cette bouteille provenait de la vente exceptionnelle que Pierre Cardin avait faite avec liaison en duplex entre New York et Paris d’une partie de la cave du Maxim’s. C’est à cette vente qu’une caisse de Mouton 1945 avait atteint la cote de 500.000 F. J’avais acheté une caisse de Chambertin 34, dont je prélevais cette bouteille.
J’avais livré cette bouteille deux jours avant le dîner, avec cette instruction : à stocker droit, à ouvrir à 18 h 00 le jour du dîner. Et j’avais ajouté : « si jamais le vin pue à l’ouverture, ce n’est pas grave ». J’avais aussi demandé qu’on me garde le bouchon, pour que j’étudie pourquoi le niveau avait baissé.
Arrivant à 20h30 avec mon épouse, je vis Eric Mancio, le talentueux sommelier de chez Guy Savoy, et lui demandais : « alors comment s’est passée l’ouverture ». Il fit une moue dubitative et me dit : « c’est spécial ». Je lui demandais si la bouteille sentait mauvais à l’ouverture ce qu’il me confirma, et il me dit que le bouchon s’était détruit à l’ouverture.
Passant à table, il versa quelques gouttes pour ma femme, mais nous le stoppâmes car ma femme ne boit pas. Le vin resta dans ce verre et je vous en dirai plus. Je humais mon verre et fus pleinement satisfait de ce que je découvrais : belle odeur, plaisante et charmante, mais pas très exprimée. Eric Mancio continuait d’avoir sa moue dubitative. Je lui demandai de se verser un verre afin qu’il puisse suivre l’évolution du vin. Il le sentit et me dit : « je ne suis pas à l’aise avec ce vin. Je n’ai pas de repère. Ce n’est pas un vin fait pour moi ». J’imagine qu’il pensait que ce vin allait rapidement s’évanouir, ce qu’il redoutait. Nous avons commandé l’entrée, puisque le plat avait été prévu par Guy Savoy : un pigeon. Je pris un plat aux lentilles et truffes, et ma femme des oursins aux crosnes. Sur les délicieuses lentilles, le vin s’exprimait si bien que j’en étais tout nerveux, et voulus que Guy Savoy vienne goûter l’association. Guy Savoy me dit : « attendez donc l’accord avec le pigeon ». Pendant ce temps le vin s’améliorait et soudain Eric Mancio me dit « est-ce que vous me permettez de porter ce vin en cuisine ». C’était un signe qui se traduisait par : « ça y est, je trouve enfin que ce vin est bon ». Et Eric Mancio est allé de surprise en surprise, pendant que je continuais de le déguster et que ma femme suivait au nez ses évolutions extraordinaires.
Puis le pigeon est arrivé. Une impression unique et extraordinaire : l’odeur du plat et l’odeur du vin étaient strictement identiques. L’un était la photocopie de l’autre. Et Guy Savoy nous expliqua : « depuis son ouverture, le vin a tellement changé que j’ai dû adapter la sauce en permanence. Les saveurs qui apparaissent immédiatement sont celles de réglisse, de poussière et de sous-bois. Du fait de sa structure, j’ai choisi de mettre des cèpes déshydratés, de rajouter une petite galette fine au chocolat, et de mettre un peu de vieux Rivesaltes dans la sauce ». Et l’ensemble était éblouissant. Le vin s’était épanoui, et comme on allait de plus en plus vers le bas de la bouteille, la concentration du vin devenait extrême. Le vin, assez discret mais prometteur au début tenait ses promesses, et gagnait en rondeur, et prenait une jeunesse de plus en plus évidente. Eric Mancio, qui était revenu de son impression première était subjugué par la révélation de ce vin riche, jeune et puissant. Sur la fin de la bouteille je demandai plusieurs verres pour séparer ce qui restait du vin et ce qui devenait du tanin quasi solide, que j’ai bu (ou mangé) séparément. Les dernières gouttes de liquide étaient si belles que je les ai humées pendant plus de dix minutes, profitant des parfums sans boire. Puis je bus les premières gouttes versées dans le verre de ma femme. Etonnement : ces quelques gouttes étaient restées dans leur état de départ, encore assez coincées et n’avaient pas du tout évolué, contrairement au reste du vin.
La suite du repas fut charmante : sur un Rivesaltes de 1950 je commandai une rhubarbe. Eric Mancio m’avait prévenu que cela n’irait pas, mais j’aime tant la rhubarbe. Je me suis laissé aller à commander le dessert qui va avec le Rivesaltes : un merveilleux dessert à l’orange, qui se marie de façon étonnante avec le vin.
Soirée réussie, accords parfaits. Le pigeon dont tous les ingrédients se structuraient d’eux-mêmes en s’ajoutant harmonieusement, le vin qui évolue jusqu’à la perfection totale, et à la fin ce commentaire d’Eric Mancio qui fait chaud au cœur : « je n’imaginais pas que ce vin allait révéler autant de jeunesse. J’apprends des choses étonnantes avec vous ».
Une réflexion : probablement beaucoup de personnes non initiées resteraient sur une première impression qui est celle de rejet ou d’incompréhension. C’est ce qui justifie l’intérêt des dîners de wine-dinners, pour apprendre et côtoyer la perfection de vins qui ne demandent qu’à être aimés et appréciés.
Dîner avec Domaine de Chevalier 1907 jeudi, 15 mars 2001
Comme il faut bien aussi de temps en temps se conforter, un dîner impromptu entre amis. Dîner organisé dans un restaurant qui nous ouvre toujours ses portes. C’est pour cela que nous tairons son nom, pour ne pas tarir sa source. A l’apéritif, Plénitude 1998 du Mas Amiel. C’est un petit clin d’œil, car au salon des grands vins nous avons eu la surprise que le stand du Mas Amiel (propriété que nous venions de visiter) soit notre voisin immédiat. Quel plaisir ! Et quelle gentille équipe. Plénitude a un nez fabuleux, de miel et de force capiteuse. La bouche développe un peu ces goûts internationaux, mais a la belle structure de sa région. Avec un peu moins de sucre et moins de saveurs d’agrumes (mais serait-ce le même vin ?), on aurait peut-être plus que cette petite merveille. Sur des langoustines crues, un Mercurey 1978 d’un producteur qui ne nous est pas connu. Le vin, très acide, serait rejeté par beaucoup de palais. Mais cette acidité a emprisonné des saveurs qui se livrent peu à peu. Ce n’est évidemment pas éclatant, mais la découverte des vins passe par ces expériences. Bu à nouveau en fin de repas, ce vin n’avait pas perdu autant d’acidité que nous attendions. Nos dîners « officiels » ne créent pas ces situations, car les vins sont ouverts très à l’avance, pour que les arômes s’expriment au mieux. Un foie gras pas assez cuit nous a déplu. Il fut remplacé par une petite merveille : soupe au chou de homard et pied de porc. Plat parfait pour le Domaine de Chevalier 1907 blanc. Ouvert en cours du repas (ce que nous ne faisons habituellement pas, préparant chaque vin au moment précis qui convient), il apparaît au début discret, aqueux, puis la danse des arômes commence et comme dans une revue à grand spectacle, chaque arôme, membre de la troupe, fait son entrée. Plaisir rare. Une table proche de la notre d’avocats français et anglais d’un cabinet international « lorgnait » sur notre bouteille. Ils furent stupéfaits et émus qu’on leur donne un verre de ce merveilleux Domaine de Chevalier 1907. Sur une joue de bœuf, un Nuits Saint Georges 1961 sorti de la cave du restaurateur a fait constater une fois de plus que 1961 est une grande année; vin de petit producteur, il n’avait pas la structure puissante. Mais le prestige de l’année y était. Une pomme confite sur la fin du Mercurey clôturait un de ces repas impromptus que nous adorons.
Un dîner inopiné au Maxence mercredi, 21 février 2001
Un dîner inopiné, tout le contraire du fonctionnement normal de wine-dinners, puisqu’on s’y inscrit à l’avance. Ce dîner fut organisé entre membres de wine-dinners. On se téléphone, on se dit : « veux-tu dîner ce soir en apportant quelque chose », on appelle David Van Laer du Maxence, talentueux chef doté d’une étoile qui en mérite sans doute une de plus, et le dîner s’organise. Et voilà ce que ça donne : David demande à chacun en secret ce qu’il a apporté à boire à l’aveugle et nous dit de le laisser faire pour la cuisine.
Gougères et tartelettes sur un champagne ultra brut Pommery. C’est goûteux, gentil et passe partout : un bon champagne de soif.
Une petite brandade de morue pour un cépage Rolle de Marcel Paquette 97 Fréjus domaine de Curebeasse. Ce vin a des accents de vin jaune, il est presque fumé et dégage des milliers de parfums. Gardé en verre tout au long du repas, il dégageait sans cesse des arômes très riches. Il allait très bien aussi avec le toast au foie gras et « tombereau » de truffes du Vaucluse. Soit David ne connaît pas le prix des truffes, soit il les a « volées », car il nous a comblés par une abondance peu commune. Nous nagions dans la truffe, et le cépage Rolle lui allait bien.
Une tempura de Coquilles St Jacques au caramel de soja et herbes se dégustait avec un Zinfandel Blauklippen 98 stellenbosch; c’est bon, et même très bon, mais c’est tellement ce goût international que même si c’est bon, nous nous ceignons de notre drapeau national, nous remettons le béret en clamant : buvons français. Un Quinta dos Roques Portugal 97 Dao suivait, vin très fruité, agréable, et plus compatible avec notre palais. Il accompagnait au début une joue de bœuf confite au vin de graves à la purée de pommes de terre avec laquelle un vin de Sologne 97 Racine de chez Courtois cépage solognot gamay s’acclimatait très bien. Ce solognot est un coup de cœur de David van Laer. Même si c’est assez bien fait, nous n’avons pas le même enthousiasme. Et les deux vins qui précédaient, évidemment plus alcooliques, montrent que les vignerons français, sans renier en rien leur histoire, doivent encore progresser s’ils veulent bouter les vins au goût international hors de nos tables.
Petit baba avec Klein Constantzia 98 noble late harvest sauvignon, l’un des plus fabuleux vins de dessert que l’on puisse goûter – tremblez Sauternes ! – un golsser trockenbeerenauslese Rhein Riesling 99 d’un élégance rare finesse et subtilité exceptionnelle, et un ruster Eiswein furmint 98 plus décevant après la noblesse des deux précédents, même s’il est bon.
Pour concurrencer ces trois vins si bien faits, il fallait un « monstre » de perfection, ce qui fut fait sur le fabuleux dessert, un Sabayon de marsala avec sa glace aux truffes (le solde du hold up de David van Laer sur les truffes), avec un Maury Chabert de Barbeira 83 qui est un vin exceptionnel, dont l’onctuosité, le goût très parcheminé enivre. Un Maury Mas Amiel 97 vint conclure pour redescendre sur terre avec une note plus facile mais chaleureuse de naturel. Il faut avoir vu les bonbonnes de Mas Amiel qui chauffent au soleil jusqu’à 60° pour comprendre que c’est un vin spécial qui doit beaucoup à ce climat particulier.
Nous ne présenterons pas dans wine-dinners ce type de composition de vins, pour rester fidèle à notre ligne directrice : les vins rares et anciens. Mais voila un dîner comme nous les aimons : décidé à 16 heures, grâce à quelques coups de fil, grâce à l’amitié de David van Lear qui a réagi au quart de tour, les épouses qui se font belles, et une chaude soirée d’amitié. L’offre de wine-dinners se situe toujours à deux ou trois mois à l’avance. Mais nous saurons faire parfois ces petits coups de folie.
Un dîner de sommeliers mardi, 13 février 2001
Comme nous sommes encore en phase de présentation du concept de wine-dinners, même si nous faisons déjà des dîners, il est légitime que nous fassions quelques dîners un peu plus fous que les dîners classiques de wine-dinners. Là, nous avons réuni chez un sommelier renommé des professionnels dotés de palais d’un niveau hors du commun. Un professeur d’œnologie, qui nous a ébloui en trouvant à l’aveugle des vins que nous pensions introuvables : « l’avez-vous déjà bu ? ». Réponse : « non, mais par déduction et par recoupement, j’ai pensé que ce devait être celui-là ». L’un des plus grands sommeliers du monde, qui officie dans l’une des plus belles adresses de la capitale, et un expert en vins. Les épouses appréciant ou motivant leur conjoint pour trouver l’introuvable.
La cuisine de caractère familial donnait une harmonie parfaite, mais il y a tant à dire sur les vins que nous la passerons sous silence. Un Saint-Raphaël des années 30 a piégé nos experts sauf un. Car le quinquina, en trace au nez, a disparu en bouche, ne laissant que de merveilleux rancios aux parfums épanouis et très amples, remplissant largement et chaleureusement la bouche. Un champagne Clément Victor, petit champagne de soif, sans grand intérêt, mit en valeur –s’il en avait besoin – un Cristal Roederer 1985 au sommet de son art. Petites bulles, grande expression. C’est classique, mais comme c’est parfait, pourquoi ne pas se faire plaisir ? Sur un foie gras, et comme nous en avons pris l’habitude, c’est un Langoiran 1949 qui donne de beaux résultats. Car il y a moins de sucre que dans un Sauternes, mais il y a suffisamment de parfums. On sentait les agrumes, ce qui se mariait bien avec le gras du foie. Un Lafaurie Peyraguey 1918 permettait de constater trois choses : un Langoiran est bien plus léger, ce qui convient mieux dans certaines occasions, un Sauternes est noblement construit, et rien ne vaut un Sauternes âgé, car c’est là qu’il devient réellement ce qu’il doit être, c’est à dire une brassée large de saveurs multiples. Le Beaune du Château blanc de chez Bouchard n’est pas millésimé. Celui-ci était du début des années 60. Nous avons un faible pour ce blanc très expressif, très parfumé, très typique des beaux Bourgogne blancs. C’est une expression du blanc telle qu’on la souhaite. C’est racé et accompli. Le Montrachet 1949 de Vincent Girard, qui le suivait, avait un peu de fatigue, et malgré une race certaine, il n’avait pas ce plaisir gustatif que donnait le Beaune.
A propos de fatigue, le Pontet Canet 1870 qui a démarré le chapitre des rouges offrait une jeunesse gustative incroyable. C’est expressif, fruité, construit, et il faut se tâter pour ne pas dire qu’il date des années 60, mais d’un siècle plus tard. C’est une expérience rare, sur un vin remarquablement fait. Le Haut-Brion 1933 qui le suivait avait plus de mal à se positionner, car il est très Haut-Brion, c’est à dire dense, construit, charpenté, mais 1933 est une année difficile, qui ne donne pas cette rondeur qui le valoriserait.
Deux immenses Bourgognes ont suivi, un Nuits Cailles 1915, qui est une des valeurs les plus incroyables de notre cave tant ces vins sont chaleureux, riches, attrayants, faciles à comprendre et à boire, contrairement aux Bordeaux qui demandent de l’analyse gustative. Là on est dans l’épicurisme immédiat, avec un plaisir en bouche infini. Même chose pour le Chambertin 1919 de Joseph Drouhin, c’est la même classe de grands et riches Bourgognes, faciles et totalement satisfaisants, avec des longueurs en bouche qu’aucun vin moderne ne peut donner.
Le Monbazillac de 1919 château de Salagre est un charmant vin aux arômes variés, pour qui l’âge apporte énormément, et le Chypre 1845 constitue pour nous ce qui se fait de mieux toutes catégories confondues. C’est une explosion aromatique en bouche qui est unique, de fruits confits bien sûr, mais d’épices, et une longueur incompréhensible : elle se compte en heures. Une liqueur jaune du couvent des années 20-25, dans une merveilleuse bouteille, a permis de finir sur des notes florales un festin absolu.
Nous avons été subjugué par la qualité analytique des convives, qui ont pratiquement tout trouvé, en ajoutant leurs compétences. Il y a eu des manœuvres d’approche, puis une bonne réponse sur presque tous les vins. Seules les années étaient plus dures à trouver.
Même de grands professionnels n’ont pas l’habitude de boire des vins si anciens, et ils ont compris, avec étonnement d’ailleurs, combien l’âge améliore des vins que beaucoup pensent morts ou usés. Ils seront demain nos ambassadeurs les plus convaincus.
Chez Bruno à Lorgues et déjeuner au George V jeudi, 25 janvier 2001
Y a-t-il plus grand contraste que celui de ces deux déjeuners ?
Une escapade chez Bruno, ce restaurateur de Lorgues qui est le plus généreux pourvoyeur de truffes qui soit. La place dégorge de mélanosporum, et l’assiette aussi. Bruno a une gentille mégalomanie à la Paul Bocuse, c’est-à-dire que tout conduit à penser à lui, les murs, les photos, les ronds de serviette. Mais cela se justifie quand on voit la façon originale dont la truffe est traitée. En hiver on mange dans la salle d’une ferme harmonieusement embourgeoisée. Le jardin est parsemé de sculptures modernes qui montrent un sens artistique certain. Le personnel est avenant, dans un processus rodé et huilé à l’huile de truffe. Il suffit de se laisser guider. La seule charge est de choisir le vin. Je prends La Fleur Pétrus Pomerol 1994 dont tous les arômes d’épices, de sous-bois évoquent les truffes et les accompagnent avec vivacité.
La truffe avec des coquilles Saint-Jacques crues, cela va très bien. Avec des cuites, l’accord n’est pas aussi clair. Et quand l’acidité d’endives vient assécher la sauce, la truffe se referme comme une anémone de mer. Le petit bonheur vient en fait de la pomme de terre à la crème et aux truffes, chef d’œuvre incontesté de Bruno. Dans ce plat, tout respire la maturité du numéro réussi, du triomphe avec standing ovation à l’Olympia. On se pâme d’aise dans la profusion, et le La Fleur ajoute encore à ce moment de félicité. Sur un poulet qui n’apportait rien à la truffe, un accord délicieux se fait avec des écrevisses dans une barquette de pommes de terre. La truffe danse avec les écrevisses comme dans un remake du Grand Bleu. Un vrai et généreux dessert complète et ponctue le festin qu’un sommelier fort aimable boucle avec un Laberdolive 1979 de belle et jeune facture.
Moment champêtre, dans une nature de chênes liège et de vignes, et des paysages vallonnés qui font rêver.
Au retour à Paris gris et pluvieux, entrée au George V au milieu de ces fleurs qui ne cessent de me fasciner. Quel talent et surtout, quel génie de la direction de ne pas brider la folie de ce créateur. Majestueuse salle de restaurant où l’on se sent plus maharadjah du 18ème siècle que futur piéton de Delanoë. Service d’une attention précise, un sommelier extrêmement compétent en l’absence d’Eric Beaumard. Thierry Hamon a du talent. Mais mon choix aussi : champagne « S » de Salon 1985. Quel champagne : il y a une concentration, un fumé et une densité qui est inimaginable tant qu’on n’a pas goûté. C’est l’accomplissement absolu du champagne. J’ai fait lire ce paragraphe écrit depuis quelques semaines au Président de Salon qui faisait goûter ce même champagne au Salon des Grands Vins. Quel champagne !
Sur de délicieuses langoustines chaleureuses, un Haut-Brion blanc 1997. Quel bouquet d’arômes ! On a l’impression de se baigner dans un jacuzzi de parfums. Ce vin sent tous les fruits et agrumes du monde. On le boit goulûment.
Ayant gardé le souvenir de la profusion de Bruno, j’ai pris ensuite une truffe entière en cocotte lutée. Cette truffe est d’une délicatesse extrême. A parfaite maturité, avec une densité de plomb, c’est un moment de perfection. Et avec un Côte Rôtie La Mouline Guigal 1995, on est en pleine extase d’association. Beaucoup plus fruité que La Mouline 1991 bu récemment, ce vin tout en fruit a une présence dans le palais qui frôle l’ingérence. C’est Gérard Philippe en Fanfan la Tulipe.
Ce qui est intéressant quand on passe au dessert, c’est de continuer avec le Côte Rôtie et de revenir sur le Haut-Brion blanc en fonction des fromages. Et c’est là, après ce délicieux Côte Rôtie que l’on se rend compte de la qualité absolue de la structure du Haut-Brion, qui aurait dû pâlir après le Côte Rôtie, mais au contraire montre ses biceps en narguant son frère rouge du Sud Est.
Sur un dessert aux agrumes, un Tokaji 6 puttonyos Sarospatak 1997 provenant de mes amis de Dionis, si compétents découvreurs de merveilles des terres lointaines.
A Lorgues, c’était la profusion et l’accueil de la campagne chaleureuse, teintée malgré tout d’une petite épice de « happy few ». A Paris, c’est le sentiment d’être en capitale, dans un palais dévoué à l’excellence. Si on y ajoute des vins vedettes, on atteint le bonheur accompli.
dîner de réveillon le 31 décembre 2000 dimanche, 31 décembre 2000
Dîner de wine-dinners du 31 décembre 2000 chez Silke et François Audouze
Changement de millénaire
gougères
Vin Romain Coopérative de Vaisons la Romaine 1994
Domaine de Caillou, Cérons 1943
Champagne Salon 1985
caviar Osciètre Royal de Caviar Kaspia
Aechter Schwarzwälder Wachholdbeergeist
Joh. Haser zum Helbstock Haslach alcool de genièvre de plus de 100 ans d’âge
plateau de fruits de mer de Christian Bassez
Clos de la Coulée de Serrant, Savenières 1995 de Nicolas Joly
Montagny 1982 de Louis Latour
Château d’Epiré Grand Cru d’Anjou 1921
M. Bizard Propriétaire, réserve Nicolas
gigot de onze heures, purée de pommes de terre et amandes
Echézeaux Domaine de la Romanée-Conti 1989
Richebourg Domaine de la Romanée-Conti 1943
Château Haut-Brion 1933
fromages de Antony, éleveur de fromages
Chambertin de Joseph Drouhin 1919
Château du Breuil, Beaulieu, Coteaux du Layon 1921 réserve Nicolas
tarte Tatin
La Tour Blanche, premier grand cru de Sauternes 1919
Café
Calvados d’origine inconnue vers 1890
Réveillon « façon » wine-dinners mais à l’aveugle dimanche, 31 décembre 2000
Un des invités a voulu que le repas se fasse en dégustation à l’aveugle. L’idée était de mettre de belles difficultés gustatives, tout en présentant un repas de qualité, avec un très haut standard de vins.
Le repas fut organisé à mon domicile. Il consistait en gougères, caviar Osciètre Royal de Caviar Kaspia, plateau de fruits de mer de Christian Bassez, gigot de onze heures, purée de pommes de terre et amandes, fromages de Antony, éleveur de fromages et tarte Tatin
Les vins présentés furent : un Vin Romain de la Coopérative de Vaisons la Romaine 1994 (fait selon des méthodes romaines, curiosité de seulement dix bouteilles produites, fumé, goût agréable) Domaine de Caillou, Cérons 1943 (belle couleur, sucré et plus léger que les Sauternes, parfait pour un apéritif, grande longueur en bouche) Champagne Salon 1985 (un très grand champagne, de la classe des grands Krug, le vin est remarquable, longue persistance en bouche).
Aechter Schwarzwälder Wachhold-beergeist Joh. Haser zum Helbstock Haslach alcool de genièvre de plus de 100 ans d’âge (étonnant alcool de genièvre, avec des goûts de marc, profond et sentant bien l’herbe, parfaite harmonie avec le délicieux caviar) Clos de la Coulée de Serrant, Savenières 1995 de Nicolas Joly (archétype du vin moderne bien construit) Montagny 1982 de Louis Latour (superbe vin blanc, fruité et agréable, plus chaleureux que le précédent, clin d’œil pour s’opposer au Savenières) Château d’Epiré Grand Cru d’Anjou 1921 M. Bizard Propriétaire, réserve Nicolas (majestueux, une couleur de tabac brun, légèrement doux, mais aux saveurs étonnamment larges. Un très grand vin, une rareté gustative), Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989 (encore très jeune et n’ayant pas trouvé sa plénitude, mais avec les bonnes racines d’un vin riche – ce n’est pas le plaisir absolu, même si c’est de grande race), Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1943 (fabuleux, légendaire, un monstre de richesse de plénitude, de force en bouche – l’un des plus grands Bourgogne qui justifie l’exception que représente le Domaine), Château Haut-Brion 1933 (couleur d’encre, vin dense et capiteux, expression très concentrée d’un grand vin), Chambertin de Joseph Drouhin 1919 (ce vin est subjuguant, car il a une facilité, un équilibre qui donnent un plaisir gustatif exceptionnel qui rejoint celui du Richebourg – vin grandissime d’équilibre raffiné), Château du Breuil, Beaulieu, Coteaux du Layon 1921 réserve Nicolas (vin phénoménal couleur ambrée, nez subtil, arômes complexes, nombreux, et sensibilité extrême en bouche – d’autant plus gratifiant qu’on est loin du goût des Sauternes – une rareté qui est un moment de bonheur unique), La Tour Blanche, premier grand cru de Sauternes 1919 (très grand Sauternes brun et dense qui, comme tous les grands Sauternes anciens se bonifie largement avec l’âge – c’est le Sauternes comme il faut le boire) Café et Calvados d’origine inconnue vers 1890 (très jeune de goût, très fruité, étrange, pur, un grand calvados, celui que nous avions bu chez Artus). Il y avait à ce repas une concentration de vins d’exception comme le Château d’Epiré, le Richebourg, le Château du Breuil, etc. Inutile de dire que les experts furent brillants, mais surtout au début, car au fil des vins, leurs capacités d’analyse se réduisaient. Ils ont trouvé le Cérons, le Savenières et le Haut-Brion. Pour le reste, nous tairons leurs trouvailles qui dénotent une imagination débordante.
Dîner d’amis avec un Gigondas 1959 qui ressuscite vendredi, 15 décembre 2000
Quelques petites anecdotes sur des repas récents. Un dîner organisé par Alain Marty, le talentueux créateur de Wine & Business Club. Chacun devait apporter sa bouteille. J’en apporte plusieurs, par jeu, dont un Pouilly-Fuissé Debaix de 1961 d’une couleur extraordinaire, mais aussi un Gigondas des années 50, sans doute 59, qui, après avoir pué de façon fort désagréable, s’est ouvert au point d’être classé en fin de repas parmi les bonnes surprises de la soirée.