Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Un Champagne Salon 2004 magique lundi, 8 juillet 2024

Nous sommes invités au restaurant par des amis. Par peur des encombrements, voilà qu’ils s’annoncent chez nous une heure avant le dîner. Heureusement nous sommes prêts à les accueillir.

J’ouvre un Champagne Salon 2004 qui fait un joli pschitt. La couleur est claire, la bulle est active. Le champagne est d’une grande fraîcheur et très fluide. Il glisse en bouche et offre un grand plaisir.

Lorsque nous sommes au restaurant, le champagne commandé est un Champagne Ruinart Blanc de Blancs sans année. Alors qu’il est accueillant, il nous fait mesurer à quel point le Salon 2004 est transcendantal. Je n’aurais jamais imaginé que l’écart soit aussi grand, car j’aime beaucoup les champagnes de la maison Ruinart.

Dans la carte très chiche du restaurant que nous aimons pour ses poissons cuits de belle façon, nous avons bu un Chablis 2023 que je ne nommerai pas pour ne pas lui nuire, mais qui est imbuvable tant il est inexpressif à cet âge, et un Saint-Joseph 2020 d’une maison célèbre, mais tellement court ! Comment peut-on boire des vins de ces âges, qui n’ont rien pour plaire ? On vend les vins trop tôt, on boit les vins trop jeunes, essentiellement pour des raisons financières. Quelle tristesse.

De grands vins avec mon fils dans le sud mardi, 18 juin 2024

Mon fils vient de Miami nous rejoindre pour trois ou quatre jours. C’est l’occasion d’ouvrir quelques belles bouteilles. Comme nous ne sommes que deux à boire, des vins se boiront sur plus d’un repas.

Dom Pérignon est un champagne que j’adore et 1975 n’est pas un millésime que je citerais comme mon préféré. Mais ce Champagne Dom Pérignon 1975 est absolument parfait. Quelle présence ! Rond, juteux, intense avec une longueur qui ne finit jamais. Nous l’avons bu avec des rillettes et du fromage de tête et c’était particulièrement agréable.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1986 est d’un niveau parfait. Il est rare que j’utilise le mot ‘soyeux’, mais cette Mouline est si délicate, pleine de grâce que ce mot est tout à fait approprié. Le parfum est l’un des plus grands possibles et, dans l’ensemble, ce vin est idéal. Avec des côtelettes de veau, ce vin est un grand moment.

Le Champagne Dom Ruinart 1973 est d’une année prestigieuse. Il n’offre pas de pschitt, mais le pétillant est là. Il est aussi noble que le Dom Pérignon 1975, mais très différent. Le 1975 est plus confortable, plus charmant. Le Dom Ruinart 1973 est plus intense et droit.

Ce Dom Ruinart est au sommet de ce que peuvent offrir les ‘vieux’ Dom Ruinart avec une belle énergie. Il est parfait avec le caviar Baeri de Kaviari.

J’ai dans ma cave un Champagne Piper Heidsieck 1966 dont la bouteille est particulièrement belle. A l’ouverture, il n’y a pas de pschitt et le bouchon vient facilement. On ressent une belle odeur charmante. Le champagne est un peu plus vieux qu’il ne pourrait l’être, mais notre plaisir est là. Il a un goût pétillant malgré l’absence de bulle et un grand charme sur un foie gras, des rillettes et un pâté de tête. C’est un grand plaisir.

Lorsque j’ai découvert Vega Sicilia Unico, je suis tombé amoureux de ce vin, si frais, délicat mais aussi puissant. Et j’ai adoré ce vin qu’il soit vieux ou qu’il soit jeune. Vieux, il est plein de majesté. Jeune, il est tellement frais que le boire est un pur plaisir.

J’ai choisi un Vega Sicilia Unico 1999. Le parfum à l’ouverture est d’une émotion extrême. Il me fait penser au chant des sirènes qui paralyse ceux qui l’écoutent. Nous l’avons bu 10 heures après l’ouverture. Il a la jeunesse d’un vin jeune et la noblesse d’un vin mûr. J’adore la menthe qui apparaît en finale, donnant de la fraîcheur. C’est un très grand vin.

Classer ces vins serait difficile car je les adore tous. Je risque un classement : 1 – Vega Sicilia Unico 1999, 2 – La Mouline Guigal 1986, 3 – Dom Ruinart 1973, 3 ex-aequo – Dom Pérignon 1975, 5 – Piper Heidsieck 1966.

Mon fils reviendra en août nous voir dans le sud. Déguster avec lui est un grand bonheur.

Déjeuner au restaurant de l’hôtel Lilou dimanche, 16 juin 2024

Après l’incroyable dîner à l’Oustau de Baumanière avec 13 vins des 18ème et 19ème siècles, je me dirige vers ma maison du sud pour la traditionnelle trêve de trois mois au bord de la mer.

Des amis nous invitent au restaurant de l’hôtel Lilou à Hyères. Je n’ai jamais entendu parler de ce lieu. Il y a fort heureusement un parking privé de l’hôtel en cette partie du centre d’Hyères. La décoration de l’hôtel et du restaurant est superbe et crée une ambiance très positive. Nous déjeunons dans la cour de l’hôtel, elle aussi joliment décorée.

Nos amis me demandent de choisir les vins dans une carte des vins intelligente où l’on trouve des vins d’une certaine maturité. Nous commandons un Champagne Billecart-Salmon Nicolas François Brut 2008. Il a acquis une belle maturité et une noblesse affirmée. Très agréable champagne bien inspiré.

Pour l’accompagner, nous prenons des panisses maison et toum, ainsi que des houmous, grissini maison et légumes croquants.

Pour le menu, je prendrai les asperges à la sarriette, harra libanaise, ricotta au zaatar, échalotes confites / volaille marinée au yaourt comme à Beyrouth, barigoule d’artichauts, barbajuan aux blettes / tarte à la pistache de Sicile, glace à la fleur d’oranger.

Le Chablis Dauvissat 2012 est un chablis villages, mais il est si bien fait qu’il nous séduit. Ses qualités sont la précision, la finesse et la fluidité. On ne boit pas assez de chablis qui se montrent si purs.

Notre amie a suggéré que l’on prenne une Côte Rôtie Domaine Jamet 2001. C’est un vin élégant et gourmand qui ne joue pas sur sa force mais sur sa subtilité. Le fait d’avoir 23 ans lui a donné beaucoup de charme.

La cuisine de ce restaurant est fort agréable. Bertrand Rouger directeur de la restauration est venu bavarder avec nous et nous avons été gratifiés d’un rhum très agréable. C’est une adresse à suivre.

Le dîner le plus extraordinaire de ma vie vendredi, 14 juin 2024

Il y a quelques mois, j’ai reçu un mail avec des photos incroyables de vins du 19ème et du 18ème siècle. C’était assez irréel. Je ne pouvais pas prétendre acheter tout, mais je ne voulais pas ne rien prendre, aussi j’ai acheté un Château Lafite 1811, de l’année de la grande comète. Je croyais naïvement qu’il s’agissait de la comète de Halley mais pas du tout, c’est une comète dont la période orbitale est de plus de 3000 ans. Son dernier passage était du temps de l’empire d’Egypte ce qui a fait appeler cette comète la comète Napoléon.

Tout récemment, je vois réapparaitre les photos des vins anciens dans un mail de l’un de mes fournisseurs habituels, qui propose un dîner avec ces bouteilles qui se tiendrait à l’Oustau de Baumanière, dont le nouveau chef, Glenn Viel, a trois étoiles. Je parle de ce dîner à deux amis et nous nous inscrivons. Mon fournisseur a organisé ce dîner avec un partenaire américain qui a trouvé trois amateurs américains qui complèteront la table.

On m’a demandé d’ouvrir ces vins très anciens. Je me présente donc à 15 heures à l’Oustau de Baumanière dont le site est d’une rare beauté, et avec Antoine, le chef sommelier, nous descendons en cave. Je demande que l’on fasse d’abord l’inventaire de ce qui sera bu, car je vois une profusion de bouteilles. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris pourquoi. Romain, l’organisateur, a tellement peur qu’il y ait trop de bouteilles imbuvables qu’il a prévu de nombreux vins de remplacement. Et j’ai appris aussi beaucoup plus tard que l’Oustau avait demandé aux organisateurs des droits de bouchon tellement élevés que la solution trouvée était que les participants achètent des vins de la cave de l’Oustau, pour éviter ces droits de bouchons. Cela rendait le programme encore plus chargé.

Je commence l’ouverture des vins par un vin blanc de 1926 et le goulot resserré a empêché le bouchon de venir entier. J’ai dû lutter pour extirper toutes les brisures de liège sans que rien ne tombe dans le vin. J’ai mis dix minutes et je voyais Romain inquiet car au rythme de tant de temps pour un seul bouchon, on n’arriverait jamais à tout ouvrir.

J’ai reçu l’aide de plusieurs personnes et Antoine a montré un vrai talent pour ouvrir les vins. Je n’ai su que longtemps après que des vins ouverts par Romain ont été estimés imbuvables et ont été écartés. C’est le contraire de ce que je pratique, puisque je ne décide jamais d’éliminer un vin tant qu’il n’a pas eu plusieurs heures d’oxygénation lente. Il y a tellement de vins qui ressuscitent.

Lorsque les ouvertures ont été terminées voici la liste de ce que nous allons boire dans l’ordre de service : Champagne Krug Clos d’Ambonnay 1995 (offert par un convive) – Chateau Haut-Brion blanc 1959 (cave de l’Oustau) – Montrachet dans une bouteille alsacienne 1910 – Meursault 1926 – Chassagne Montrachet 1926 – Château Margaux 1825 – Château Margaux 1865 – Château Margaux 1875 – Château Latour 1794 – Château Latour 1892 – Château Lafite 1817 – La Mission Haut-Brion 1934 (offert par un convive) – Château Lafite 1798 – Château Lafite 1867 dans une bouteille d’un volume de 3 bouteilles – Château Mouton Rothschild 1928 – Vosne Romanée René Engel 1945 – Musigny de Vogüé années 50 – Musigny de Vogüé 1955 – Musigny de Vogüé 1959 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1990 (offert par un convive) – Probable Madère vers 1700 – Tarrantez 1842 – Madeira 1790 – Blandy’s 1792 – Château d’Yquem vers 1800 – Champagne Salon magnum 2006 (offert par un convive).

Pour se faire une idée du caractère invraisemblable de cet événement, voici les années des vins : #1700 1790 1792 1794 1798 #1800 1817 1825 1842 1865 1867 1875 1892 1910 1926 1926 1928* 1934* 1945* #1950* 1955* 1959* 1990* 1995* 2006*.

Répartis par siècle cela donne : 18ème siècle : 5 vins – 19ème siècle : 8 vins – 20ème siècle : 11 vins – 21ème siècle : 1 vin.

Les étoiles mises ci-dessus à côté de certains millésimes désignent les vins ajoutés par rapport au programme initial, à la fois pour satisfaire l’exigence de l’Oustau et pour répondre à la peur de Romain qu’il y ait des vins imbuvables. Il convient de dire qu’après que les vins ont été ouverts, j’ai tout senti et mon pronostic à ce moment-là, sans l’effet de l’oxygénation lente, était qu’environ seulement la moitié seraient buvables. Ce fut beaucoup mieux au moment du repas.

Il faisait tellement beau que nous nous sommes retrouvés pour l’apéritif dans le beau jardin avec le Champagne Krug Clos d’Ambonnay 1995, de la première année de ce Clos. C’est un très grand champagne. Il avait besoin d’âge lors de sa sortie. Il est maintenant très expressif et noble. J’aime de plus en plus les blancs de noirs dont ce champagne est un magnifique exemple.

Le menu préparé par le chef trois étoiles de l’Oustau de Baumanière a pour nom « Ballade ». Les intitulés sont : L’intitulé est dans le titre – gourmandise / tartine de sardines – universel / les couteaux, les pieds dans l’eau – imagé / un bigorneau très très aimable – insolite / un rouget entre deux pierres, un pain déjà saucé – poétique / plante carnivore – imagine / agneau croute – tradition / kyrielle de fromages / dessert à la carte / mignardises et gourmandises – un sourire. J’ai bien fait de ne pas lire le menu, car si je l’avais lu, je n’aurais pas aimé cette présentation désinvolte.

Le plat le plus original est celui des couteaux. D’une façon générale, indépendamment du talent du chef, les présentations trop complexes ont fait de ce menu un repas où les plats n’ont pas mis en valeur les vins. Il eût fallu des recettes extrêmement simples, fluides et douces, pour que les vins fragiles soient mis en valeur. Fort heureusement notre attention était portée sur des vins absolument exceptionnels.

Premier service : Je classe : 1 – Meursault 1926, 2 – Chassagne-Montrachet 1926, les deux étant bien aidés par le plat de sardine. 3 – Château Haut-Brion blanc 1959, de la cave d’Oustau que je n’ai pas trouvé au niveau qu’il pourrait avoir. Le Montrachet 1910 servi dans une bouteille alsacienne est mort. Les blancs n’ont pas brillé autant que les rouges.

Deuxième service : Je mets le Château Margaux 1825 en premier, car avoir un vin aussi puissant à cet âge mérite un premier rang. On sent dès la première gorgée la puissance des vins pré phylloxériques, faits pour l’éternité. Le Château Margaux 1865 a le même niveau de qualité, mais sera deuxième en raison de sa jeunesse (si on peut dire). Lorsque vous commencez un dîner avec un vin parfait de 199 ans, vous savez que vous entrez dans un monde irréel.

Le Château Margaux 1875 est agréable mais avec moins d’émotion que les deux plus anciens.

Troisième service : avec Château Latour 1794, je sais que nous avons le vainqueur de la soirée. Comment est-il possible d’avoir une telle perfection, c’est incroyable. Je l’ai dit à mes amis : quand vous direz qu’un 1794 était miraculeux, personne ne vous croira.

Le Château Latour 1892 est très puissant et génial. Ce qui est incroyable, c’est de voir que deux Latour séparés par 98 ans ont autant de qualités similaires.

Le Château Lafite 1817 a une couleur très rouge et très dense. Personne ne croirait qu’il a 207 ans. On se croirait dans le film de la machine à remonter le temps où l’on change d’époque avec facilité.

Le Château La Mission Haut-Brion 1934 devait être une star mais ce n’était pas pour moi le géant qu’elle devait être. Cependant merci à celui qui en a fait le cadeau, de la cave de l’Oustau.

Le Château Lafite 1798 est adorable, pas aussi stratosphérique que le Latour 1794 mais génial.

Le Château Lafite 1867 dans un gros volume plus gros qu’un magnum est époustouflant. Tellement équilibré que je l’ai mis en deuxième position derrière Latour 1794, troisième Lafite 1798 et quatrième Lafite 1817. C’est incroyable que je place les vins les plus anciens aux premières places de mon classement.

Le Château Mouton Rothschild 1928 est le vin qui termine l’incroyable série des vieux Bordeaux. Je le trouve sous le niveau du précédent Mouton 1928 que j’ai bu. De grande qualité mais il ne m’émeut pas.

Le Vosne Romanée René Engel 1945 est d’une pureté impressionnante.

On nous sert maintenant trois Musigny de Vogüé des années 50 : un sans année a une superbe finale, le 1955 est aussi très grand et le 1959 est magique. Trois expressions d’un très grand Musigny.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1990 est délicat, romantique et subtil, mais je ne suis pas à l’aise car il ne s’inscrit pas dans notre voyage d’aujourd’hui. Je ne peux que remercier l’ami américain généreux, mais il n’est pas logique de le boire dans un tel repas.

Nous passons maintenant à l’heure des vins doux.

Le Madère supposé 1700 a une bouteille très semblable au vin de 1690 que j’ai bu. Ce qui m’émeut, c’est que le 1690 était plat, et que l’émotion était plus historique que due au vin. Au contraire, ce 1700 est vif et suggère un joli Madère 1700, certes un peu faible mais doux et charmant.

Le Terrantez 1842 exprime de la menthe fraîche et de l’alcool. Il est plein d’énergie.

Le Borges Madeira 1790 a un alcool fort et une menthe forte. Frais et fort de belle réussite.

Le Blandy’s 1792 est époustouflant, hors norme. Que du bonheur.

Il est très difficile de classer ces vins doux si étranges.

Le Château d’Yquem supposé du #1800 est mort. Il est remarquable que nous n’ayons eu que deux vins morts, le Montrachet 1910 et le #1800 Yquem.

Pour revenir sur terre, alors qu’il est près d’une heure du matin, un ami nous a offert un magnum de Champagne Salon 2006, décidément délicieux.

Je me suis intéressé à isoler les vins les plus marquants de ce repas, dans l’esprit du voyage que nous voulions faire dans l’irréellement vieux. Voici ce que ça donne, sans classement, dans l’ordre de dégustation : Château Margaux 1825 – Château Margaux 1865 – Château Latour 1794 – Château Lafite 1798 – Château Lafite 1867 – Madère # 1700 – Torrantez 1842 – Blandy’s 1792.

L’âge moyen de ces huit vins est 214 ans correspondant à un millésime 1810.

Le plus grand vin est le Latour 1794, parfait et étonnant de justesse, et le plus émouvant du fait de son âge est le Madère 1700, pas parfait mais bien vivant.

Ce dîner est la consécration de ma démarche vers les vins anciens car il apporte la preuve qu’il n’y a pas de limite de temps et que le concept de déclin des vins n’existe pas. Il conforte ma croyance en l’immortalité des vins, qui ne meurent qu’à cause d’éléments autres que le vin dont le bouchon, la température de stockage et l’hygiène.

Le vin est éternel et j’en ai eu la preuve ce soir.

Merci aux organisateurs, merci aux généreux participants qui ont ajouté de beaux actes à cette pièce de théâtre, merci à Antoine qui a fait un service du vin parfait et merci à l’Oustau de Baumanière d’avoir été le bel écrin de cet événement, le plus grand de ma vie œnologique. Faire mieux ? Est-ce possible ? Ça ne sera pas facile.

déjeuner à l’Assiette Champenoise d’Arnaud Lallement jeudi, 13 juin 2024

Un amateur de vins vivant à Singapour boit tout ce qui se fait de mieux dans le monde du vin. Il en parle sur Instagram. Il est venu à l’un de mes dîners avec des amis et une amitié est née. Il m’a informé qu’il faisait un voyage en Champagne, avec des visites de grands vignerons. Il m’a proposé que nous nous rencontrions, et nous avons décidé de nous retrouver à déjeuner à l’Assiette Champenoise d’Arnaud Lallement.

Pour ce déjeuner je veux apporter des vins que mon ami n’a pas bus. Il est habitué aux vins les plus célèbres et les plus en vogue. Explorons d’autres vins.

Dans la première décennie 2000, la Maison Bouchard a racheté le Château de Poncié dans le Beaujolais. Etant invité à un dîner au Château de Beaune, j’ai pu boire un Beaujolais 1929 de Poncié qui était génial. Et j’ai demandé : est-il habituel que les vignerons du Beaujolais conservent des vins aussi vieux ? Et Joseph Henriot m’a dit : il se trouve qu’à cette époque, Poncié appartenait à Bouchard. Et Bouchard avait l’habitude de conserver des vieux vins.

J’ai trouvé intéressante cette histoire d’un domaine acheté deux fois par le même vigneron et un jour j’ai acheté du Fleurie 1955 de Poncié qui appartenait à ce moment-là à Etienne Bouchard. Mon ami ne peut pas connaître ce beaujolais. J’ai donc apporté ce vin.

Arnaud Lallement est avec son restaurant un ambassadeur de Krug. J’ai envie d’apporter des champagnes un peu inhabituels. J’ai choisi un Clos des Goisses 1979 de Philipponnat et un Lanson Red Label 1966 présenté dans la légendaire bouteille en forme de quille.

Nous avons rendez-vous à 11 heures du matin pour que mon ami assiste à l’ouverture des vins. Le Fleurie offre un parfum strict et droit qui annonce un vin de belle complexité. Le bouchon du Clos des Goisses vient entier alors que le bas du bouchon du Lançon reste en place et ne remonte que grâce à un tirebouchon. Le pschitt de ce vin de 58 ans existe ce qui est rare pour cet âge.

Nous avons une belle table donnant sur le jardin par un jour ensoleillé et radieux. Le menu de l’Assiette Champenoise mis rapidement au point avec Arnaud en fonction de mes vins est : radis – eau de légumes verts / langoustine royale – huile d’olive – nage crémée / petits pois – légumes craquants / gamberoni – caviar Petrossian / homard bleu – hommage à mon Papa / turbot breton – vin jaune / pigeonneau fermier d’Onjon – navet B. Deloffre / fromages Philippe Olivier / framboise P. Richard – miel de notre parc.

Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1979 est d’une intensité extrême. Fort, direct, il est très long, fait pour la gastronomie. C’est une belle expression du blanc de noirs. L’entrée au radis est d’une justesse de goût fascinante. J’ai envie de crier « ça c’est du trois étoiles » car le plat est abouti et a atteint une perfection éblouissante.

Le Champagne Lançon Red Label 1966 est un vin plein de grâce et de charme, d’une année mythique en champagne. Pendant son parcours avec les différents plats, je le préférais au Clos des Goisses pour son charme, mais en fin de repas, c’est l’énergie du blanc de noirs qui a emporté mes faveurs.

Le Fleurie Château de Poncié Etienne Bouchard 1955 est d’une belle personnalité et mon ami n’aurait jamais imaginé qu’un beaujolais de 69 ans puisse avoir une telle tenue. Il est droit comme un guerrier, large comme un panache et suffisamment long. Personne ne dirait son âge. Intense, piquant, strict, il est fait pour la gastronomie. Ce n’est pas un vin de charme mais de précision. Nous l’avons adoré sur le pigeon et sur les fromages.

Mon ami a commandé un Champagne Jérôme Prevost Closerie Fac Simile extra Brut Rosé très jeune bien sûr, de 2016, mais qui s’impose par sa belle personnalité.

Je me suis amusé à faire un choix d’association d’un vin pour chaque fromage que nous avons choisi, en me fiant uniquement à la vision du fromage. Voici les choix que j’ai faits pour les fromages et les vins : le lingot des moines de l’Hérault avec Clos des Goisses 1979 / Saint-Rémy de Lorraine avec Fleurie 1955 / Abondance de Haute-Savoie avec Lanson 1966 / Bouchon de Brasseur du nord de la France avec Fac-Simile 2016. Un seul de mes choix n’était pas pertinent. C’est de toute façon amusant d’imaginer les accords non pas par le gout mais par la vue.

La ronde des desserts est sans fin. Ils sont si beaux que l’on succombe à leur tentation, mais est-ce bien raisonnable ? Car ces desserts nous rassasient après un repas copieux mais délicieusement léger.

Une chose m’a frappé en ce repas, c’est l’absolue justesse des goûts des plats d’Arnaud Lallement. Les produits sont bons, les cuissons sont idéales et les goûts atteignent des maturités exceptionnelles.

Avec cet ami de Singapour nous nous entendons comme si nous étions amis depuis toujours. Ce repas fut un moment mémorable.

Un agréable Clos des Lambrays mercredi, 22 mai 2024

Pour fêter l’anniversaire de ma fille aînée, nous allons au restaurant « au bourguignon du Marais » tout proche de chez elle. Le cadre est sympathique et les serveurs sont très sympathiques mais un peu submergés. La carte des vins est très bistrot, mais bistrot intelligent. Je déniche une pépite, un Clos des Lambrays Grand Cru Domaine des Lambrays 2014. A ma grande surprise, ce vin m’est apparu beaucoup plus joyeux et ensoleillé que le Bonnes-Mares Roumier 2017 bu récemment.

Ce 2014 est un vrai plaisir. Il a un bel avenir devant lui mais il est déjà très convaincant.

La viande est bonne et l’atmosphère est agréable. Nous avons passé une belle soirée.

Déjeuner au restaurant L’Ecu de France mardi, 21 mai 2024

Lorsque je téléphone au restaurant L’Ecu de France, madame Brousse me dit : « ça fait longtemps qu’on ne vous a pas vu ». Je reçois ce message comme une gentillesse.

Nous arrivons ma femme et moi au restaurant et on nous propose de déjeuner dehors, face à la Marne. Malgré un temps incertain nous choisissons d’être dehors. Deux bernaches de belles tailles qui volaient sans bruit amerrissent en glissant sur leurs pattes palmées comme le ferait un skieur nautique qui lâche la corde qui le tirait.

Pendant le repas nous verrons passer des personnes faisant du kayak et même une jeune femme faisant du paddle. Sa vitesse dans le sens du fleuve est nettement plus grande qu’au retour.

La carte des vins est toujours un sujet d’intérêt. Je choisis pour l’entrée un Champagne Selosse Initial sans année dont la date de dégorgement n’est pas indiquée.

Lorsque nous nous dirigions vers notre table je vois qu’un jeune couple a choisi un vin de Georges Roumier. Je les félicite et cela me donne envie. Je choisirai un Bonnes-Mares Grand Cru Domaine G. Roumier 2017.

Sur la carte je choisis un haddock comme entrée et du bœuf Simmental comme plat principal.

Le Champagne Selosse Initial sans année est agréable et bien fait. Je préfère la Version Originale dont j’apprécie le style, mais cet Initial s’il a une belle solidité est un peu fermé. Le plat de haddock est délicieux.

Le Bonnes-Mares Grand Cru Domaine G. Roumier 2017 a été ouvert au dernier moment pour que je puisse suivre son éclosion. Ce vin est absolument délicieux, d’une grande fraîcheur, ciselé et sa jeunesse n’est pas un handicap car il est déjà affirmé. Ce vin est adorable dans sa jeunesse.

Le plat de viande est un peu compliqué par une abondance de saveurs différentes. Le Cantal s’est bien marié avec le vin.

C’est toujours un plaisir de déjeuner en cet endroit que je connais depuis plus d’une soixantaine d’années car il a accompagné beaucoup d’événements familiaux.

Le vin réserve toujours des surprises. J’avais pris les bouteilles qui n’étaient pas finies pour boire les vins à la maison. Le lendemain, le Champagne Selosse que j’avais trouvé fermé se montre brillant, épanoui, presque joyeux. Le Bonnes-Mares quant à lui, subtil et raffiné hier est devenu ensommeillé.

Il y a des vins qu’il faut boire le jour même et d’autres qui se réveillent le lendemain. Rien n’est définitif.

dîner chez des amateurs de vins lundi, 20 mai 2024

Depuis quelques années j’avais réservé des places à l’Académie des Vins Anciens à des élèves de grandes écoles qui bénéficiaient d’un tarif avantageux, sans obligation de fournir des vins. Des relations amicales se sont créées avec certains d’entre eux et nous nous sommes revus notamment lorsqu’ils ont gagné un concours européen de dégustation réservé aux grandes écoles.

Je suis invité à participer à un dîner d’amateurs de vins qui font partie de clubs de dégustation et sont extrêmement affutés pour les dégustations à l’aveugle. Leurs connaissances sont largement supérieures aux miennes. Les âges de ces dégustateurs vont de 23 ans à 40 ans peut-être. Ils sont entrés dans le monde des vins anciens et en achètent volontiers. J’ai rencontré certains dans des événements sur le vin.

Le dîner se tient dans l’appartement de deux des membres, Laure et Alexandre. On m’a demandé de venir à 16 heures pour l’ouverture des vins, ce que je fais bien volontiers.

Dans la grande cuisine, des plats étaient en cours de réalisation mais on fait place nette pour que je puisse officier. Pendant la séance d’ouverture, j’ai le temps de raconter des anecdotes avec plusieurs convives venus pour assister à cet épisode important. Les vins ont des comportements qui diffèrent, sans aucun problème majeur sauf un bouchon irrattrapable qui a glissé dans le vin. Il a fallu le carafer. C’est un 1929 qui servait de secours éventuel pour l’apport d’un participant.

Nous quittons ensuite la cuisine, car Alexandre va réaliser la composition et la présentation des plats. Les parfums dans la cuisine donnent faim.

Pour l’apéritif nous avons : Pata Negra 44 mois / Tarama au caviar Petrossian / Gougères au vieux comté. C’est un beau départ. Nous buvons un Champagne Telmont Héritage 1976. Je ne connais par cette maison centenaire dont l’actionnariat compte aujourd’hui un minoritaire du nom de Leonardo di Caprio. Le champagne est solide, sérieux et fait beaucoup plus jeune que ses 48 ans. Il a de belles complexités mais est un peu trop sérieux pour moi.

Le Champagne Pommery 1959 est un rayon de soleil. Quel bonheur, quelle jouissance. Ce champagne est rond, plein, joyeux et gourmand. Que du bonheur. Et il montre à quel point les champagnes anciens sont transcendants par rapport aux champagnes récents.

Le menu préparé par Alexandre est : homard rôti au beurre noisette, condiment cèpe, jus réduit des têtes / fricassée de morilles et asperges vertes au vin jaune, jaune d’œuf coulant / poulpes grillés , coulis de piquillos brulé et chorizo / chevreuil du Loiret rôti , jus corsé truffé , mini légumes de chez Eric Roy / mini carré d’agneau Le Bourdonnec, petit pois au lard fumé et oignons nouveaux, mousseline de carottes à l’orange / fromages : Brillat-Savarin à la truffe, Stichelton, vieux comté, Sakura / ananas Victoria rôti et flambé, brunoise de fruits exotiques et caramel passion, glace vanille / Financier amande, tartelette citron, bonbon au chocolat, tuile coco.

Dès qu’Alexandre nous sert le premier plat, on sait immédiatement qu’il a un niveau de cuisine proche de grands cuisiniers. Car la présentation du plat est parfaite et son parfum un délice. Le Montrachet Chanson 1967 est très clair. Son nez est délicat. Il n’a pas la puissance habituelle du montrachet mais sa fluidité et son élégance en font un vin très agréable à boire et raffiné.

A côté de lui, le Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949 est une bombe. C’est un voyage dans les complexités ultimes. Riche, vibrionnant, il est un pur plaisir avec une longueur liée à son millésime, c’est-à-dire infinie.

Si on croyait être au sommet de la complexité, il fallait vite chasser cette idée, car le Château Lafite Blanc 1935 est irréel. C’est un voyage dans l’inconnu du vin, subtil, kaléidoscopique, charmeur, magique. Nous sommes tous frappés par ce vin car il n’y a aucun repère sauf peut-être le Y d’Yquem qui est aussi capable de nous surprendre.

Les deux plats faits pour les vins blancs sont absolument superbes, les cuissons parfaites et les produits de haute qualité.

Alexandre a voulu que les poulpes soient associés aux vins étrangers. Le Brunello di Montalcino Riserva Argiano 1975 est un solide gaillard, bien structuré, mais qui n’est pas porteur de beaucoup d’émotion. Comme on dit de façon un peu vulgaire, il « fait le job », mais pas plus.

A l’inverse, le Vega Sicilia Unico 1969 nous fait entrer dans la magie de ce grand vin que j’adore car au-delà de la puissance il est capable d’offrir des saveurs mentholées.

Je pensais qu’après les vins puissants d’Espagne et d’Italie, les bordeaux anciens auraient du mal mais il n’en fut rien, car le chevreuil les a mis en valeur. Le Château Latour 1937 et le Château Léoville Las Cases 1937 sont deux grands vins d’une des rares grandes années de la décennie 1930-1939. Le Latour est plus noble et construit. Le Léoville ne manque pas de charme, mais je trouve que ces deux beaux vins n’ont pas offert tout ce qu’ils pourraient. Il n’est pas impossible que, fasciné par les vins blancs, j’aie été plus sévère avec les vins rouges.

L’agneau est une merveille faite pour les bourgognes. Le Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959 est un grand vin d’un grand vigneron. Sa sérénité et sa rondeur sont superbes.

Alors que 1929 est une année que je chéris et pour laquelle je suis prêt à admettre tous les écarts, les deux 1929 qui vont suivre ne m’ont pas vraiment plu, marqués par de la fatigue. Pourtant je défendrais volontiers le Clos Saint Denis mise Nicolas 1929 qui a des accents de la noblesse de son millésime, alors que pour le Corton Julien Damoy 1929 dont le bouchon était tombé dans le vin, la fatigue est trop forte. Il y a eu par instants de belles évocations du millésime que je considère comme le millésime du siècle, mais la joie n’était pas là.

La propriétaire du Château Villeneuve avait adressé à Laure et Alexandre une bouteille du Saumur Blanc sec Château Villeneuve 1945 avec un papier manuscrit de Caroline Chevallier expliquant qu’elle adressait ce vin vinifié par son grand-père et son arrière-grand-père, Robert et Armand Chevallier, pour participer à l’événement de ce jour. Pour ce vin de chenin blanc, je n’ai pas beaucoup d’expérience, mais il a une grande élégance et j’aime l’équilibre que donne son beau millésime. C’est une heureuse surprise.

Le Château Chalon Bourdy 1906 qui est un de mes apports est d’une année rare pour les vins jaunes. Il crée avec le comté un accord qui est l’un des plus anthologiques de la gastronomie. Puissant, de longueur infinie, il sait aussi se faire doucereux. Il a une rémanence en bouche indélébile et comme souvent, je tombe amoureux du vin que j’ai apporté, ce qui ne se produira pas, hélas, pour les deux autres apports.

Nous avons deux liquoreux de 1947, année superbe, qui vont s’épanouir avec un délicieux Stichelton. Le Château Gilette 1947 est un Gilette doux, qui est excellent bien sûr mais dégage beaucoup moins d’émotion que le Château Climens 1947 beaucoup plus affectif et brillant.

Le dessert à l’ananas est brillantissime. Lorsque j’avais annoncé le Champagne Taittinger Brut 1943 comme l’un de mes apports, je n’avais pas vérifié le vin en cave. Lorsque je l’ai pris en main, j’ai eu du mal à voir à travers le verre la couleur du champagne. Tout me paraissait sombre. J’ai donc par précaution pris un Champagne Taittinger Brut 1964 dont la couleur plus claire était plus rassurante.

Au moment d’ouvrir le 1943 avant le repas, Alexandre avait éclairé la bouteille et par transparence, la couleur paraissait normale. En versant le champagne maintenant, on voit que le premier verre a une belle couleur, qui s’assombrit au fur et à mesure du service. Le champagne se montre fade et sans longueur ce qui m’attriste. Le 1964 compense un peu cette contreperformance mais pas suffisamment à mon goût.

Il est déjà très tard et il est temps de voter pour nos cinq vins préférés. Je collecte les votes sur une demi-feuille de papier. Les résultats sont étonnants car pour douze votants il y aura 9 vins votés premiers. C’est très rare d’avoir une telle diversité. Trois vins auront deux places de premier, le Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949, le Château Lafite Blanc 1935 et le Saumur Blanc sec Château Villeneuve 1945, c’est-à-dire trois blancs. Six vins auront une seule place de premier, le Champagne Pommery 1959, le Vega Sicilia Unico 1969, le Château Latour 1937, le Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959, le Clos Saint Denis mise Nicolas 1929 et le Château Chalon Bourdy 1906. Quelle variété de votes !

Le vote de l’ensemble de la table est : 1 – Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949, 2 – Champagne Pommery 1959, 3 – Château Lafite Blanc 1935, 4 – Château Latour 1937, 5 – Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959, 6 – Vega Sicilia Unico 1969.

Mon vote est : 1 – Château Chalon Bourdy 1906, 2 – Château Climens 1947, 3 – Champagne Pommery 1959, 4 – Château Lafite Blanc 1935, 5 – Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949. Il est à noter que je n’ai mis aucun vin rouge dans mon vote ce qui est très rare. Avais-je un palais aux vins blancs, qui peut le dire ?

Cette soirée amicale fut une vraie réussite. Alexandre a un talent de cuisinier qui mérite des compliments, la générosité des participants a été sans limite. J’avoue que ce qui m’a poussé à accepter l’invitation est le Lafite blanc 1935 car j’avais ouvert lors du dîner où j’avais mis neuf vins du domaine de la Romanée Conti un Lafite blanc 1959 extraordinaire. Mais il y aurait eu mille autres raisons pour que je dise oui.

Tous sont des passionnés de vin et de gastronomie. Merci à tous de leur gentillesse et d’avoir écouté mes anecdotes et merci surtout à Laure pour son accueil charmant.

Dîner à la Manufacture Kaviari par Georgiana Viou mardi, 14 mai 2024

La Manufacture Kaviari organise des dîners en petit comité en demandant à un chef étoilé de composer un menu mettant en valeur ses caviars. Des grands chefs comme par exemple Yannick Alléno se sont prêtés avec plaisir à cet exercice. Le dîner sera fait ce soir par Georgiana Viou, qui a une étoile au restaurant Rouge à Nîmes. Originaire du Bénin, elle offre une cuisine qui mêle deux inspirations, l’une de la cuisine béninoise et l’autre de la cuisine du sud de la France.

Ce matin, le directeur de la manufacture m’appelle et me dit qu’il serait prêt à m’acheter des vins pour ce repas car il est en manque. Il m’envoie le menu et me dit que le budget qu’il pourrait m’attribuer est limité par rapport à celui que j’engage pour les vins de mes dîners.

J’ai pour principe de ne jamais vendre des vins de ma cave, mais comme je participerai avec ma femme au dîner, ce n’est pas une vente mais un accompagnement, et, sans le lui dire, je n’ai aucune envie de facturer les vins que j’apporterai.

Il faut des vins inhabituels, pour accompagner la cuisine de la cheffe, et si possible, d’une région proche de Nîmes. Je fais une recherche sur le fichier de l’inventaire de cave et je choisis cinq vins qui devraient accompagner les cinq plats prévus : Un Jurançon sec Domaine de Souch 1991, un Costières de Nîmes Domaine Juliande 1998, un Vin jaune Château l’Etoile 1982, un Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986, un Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974. Ils sont tous très proches de Nîmes, sauf le Jurançon.

Nous arrivons assez tôt à la Manufacture pour que je puisse ouvrir les vins. Presque tous les bouchons se brisent en morceaux, sauf celui du Daumas Gassac très beau et au contraire le Maury a un bouchon dont le liège trop léger colle aux parois et se déchire en mille morceaux dont certains sont tombés dans le vin. Nous avons évoqué l’idée de servir ce vin en utilisant un chinois, mais une cuiller magique que j’ai dans ma trousse a évité de recourir à ce procédé.

De tous les vins ouverts c’est le Maury qui a le parfum le plus éclatant d’une grande suavité.

Les participants du dîner arrivent, esthètes et gastronomes, ainsi qu’un ami aux activités aux multiples facettes dans le monde du vin et de la gastronomie, que j’ai invité.

Traditionnellement le champagne d’accueil est un Champagne Billecart-Salmon sans année agréable et suffisamment discret pour ne pas heurter les subtilités des caviars que nous allons déguster dans une pièce très froide qui impose que l’on prenne un gilet molletonné pour ne pas geler sur place.

Le caviar Baeri au gris très foncé me plait beaucoup pour sa longueur incroyable. Le caviar Osciètre Prestige est solide et complexe et c’est en fin de bouche que sa richesse s’exprime. Le caviar Kristal est extrêmement court en bouche et très consensuel. On nous dit que le Kristal est le préféré des chefs car c’est celui qui s’adapte le mieux à leur cuisine.

Après cette belle dégustation, nous passons à table. La souriante Georgiana se présente ainsi que son jeune chef Lukatao Debenath. Elle décrira chacun des plats en expliquant les points importants de sa création. C’est très agréable.

Le menu composé par la cheffe met en majeur le caviar ce qui est une excellente chose. D’autres chefs de précédents dîners en ce lieu ont eu moins de considération pour les caviars.

Voici le menu : Osciètre Prestige, brocoli, échalotte noire, jaune d’œuf confit / Baeri Français, bleu de la pêche de Mathieu Chapel, ragoût de fève et fraises des bois fermentées / Osciètre, asperges blanches de pays, sauce blanquette / Kristal et Pressé, filet de taureau, caviar végétal / Osciètre, chocolat Tuma Yellow et miel de Nîmes.

Face à ce menu que j’ai reçu ce matin il y avait des évidences : les asperges appellent le vin jaune et le chocolat appelle le Maury. Ensuite la viande de taureau ira avec un Mas de Daumas Gassac, le plus grand vin proche de Nîmes. Le Costières de Nîmes s’imposait par son origine et j’ai pensé le mettre avec le poisson. Il restait l’entrée et l’idée du Jurançon m’est venue.

Le Jurançon sec Domaine de Souch 1991 a une couleur assez ambrée tendant vers le rose. Le nez est plaisant et en bouche j’adore le fait que ce vin sec ne peut s’empêcher d’avoir des intonations de vins doux. Et c’est ce qu’il faut pour une entrée aux multiples facettes. Mais le plat est si fort que je demande qu’on serve un peu du vin jaune qui est le seul capable d’affronter la virilité de l’entrée.

Le Costières de Nîmes Domaine Juliande les Vignerons de Montfrin 1998 est un vin qui m’est inconnu. Sa couleur dans le verre est rosée. S’agit-il d’un vin rosé ou d’un vin rouge, j’aurais du mal à le dire, mais sa douceur est très agréable et l’accord se trouve extrêmement bien avec le poisson et aussi avec l’onctueux ragout de fève. Ce vin n’est pas complexe mais il s’est montré élégant et ouvert aux saveurs du plat.

Ma femme n’aime pas les asperges quand elles sont croquantes alors que je les apprécie. L’une des deux servies est légèrement brûlée au chalumeau et Georgina nous explique son choix. L’accord avec le Vin jaune Château l’Etoile 1982 est absolument superbe, et il fallait bien la puissance du vin pour dompter les asperges. Le vin est droit, conquérant et intense, fait pour la gastronomie.

Le Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986 est un vin magnifique, au sommet de son art. Il est fait de 75% de cabernet sauvignon. Sur la contre-étiquette on indique qu’il faudrait servir ce vin à 18°, ce qui me paraît assez chaud. La viande de taureau est exquise à la fois seule ou avec le caviar qui se marie bien. Il est intéressant de constater que le caviar de ce plat ne s’oppose à aucun moment au beau vin rouge.

Le dessert au chocolat est d’une grande originalité avec des saveurs douces mais aussi intenses. Le Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974 est le compagnon idéal de ce plat, doux, subtil, délicieusement féminin.

Ce qui m’a impressionné c’est que Georgiana a su « apprivoiser » les caviars pour qu’ils soient parfaitement intégrés aux plats. C’est, je crois, la plus belle composition de repas où le caviar est toujours en cohérence parfaite et non pas ajouté comme un voyageur clandestin.

Je suis content car aucun de mes vins n’a été hors sujet. Le plat le plus difficile à accompagner était le premier et le vin jaune est venu au secours du Jurançon.

Les discussions avec des participants que je ne connaissais pas ont été animées et passionnantes. La cheffe a réussi un beau repas dans une ambiance souriante.

Ce fut un beau dîner de la Manufacture Kaviari.

déjeuner à la maison avec des vins de 60 ans et plus jeudi, 9 mai 2024

Ma plus jeune fille vient déjeuner à la maison avec ses deux enfants et la nounou qui les a suivis pendant des années. C’est l’anniversaire de la nounou, occasion de se rappeler de beaux souvenirs. J’adore le choix des vins pour les événements familiaux. La première bouteille qui attire mon regard et mon intérêt est un Château Montrose. Il y a plusieurs millésimes dans le casier mais c’est le 1959 qui me semble le plus intéressant à boire. Le niveau est à mi- épaule, mais ça devrait aller.

De peur que l’on manque de vin rouge, je choisis une demi-bouteille de Le Corton du Château de Beaune 1964. J’ai la même réflexion pour le niveau.

Le troisième choix est celui d’un Moët Brut Impérial 1964 car cette année est particulièrement réussie pour ce vin.

Le dessert étant une mousse au chocolat, nous pourrons utiliser un Maury La Coume du Roy 1948 qui avait été ouvert récemment.

J’ouvre en premier le Montrose 1959. Le bouchon est descendu de deux centimètres et une couche de poussière le recouvre. Je trouve un point de liège où mon tirebouchon peut s’accrocher et doucement, je remonte le bouchon entier. Il est très beau. Le nez est prometteur ce qui me réjouit.

Le Corton 1964 a un bouchon qui se cisaille pendant la remontée, mais j’arrive à le tirer entièrement aussi. Le nez est moins précis, mais l’oxygénation lente fera son œuvre.

L’entourage du bouchon du Moët 1964 est assez sale et poussiéreux mais je remonte entier un joli bouchon au liège de grande qualité. Le parfum me semble idéal.

C’est à pied que je vais chercher du pain. La boulangerie est fermée. En cherchant un raccourci pour aller à une autre boulangerie je me suis perdu. Google Map devrait être mon sauveur, mais ne sachant pas comment orienter mon téléphone par rapport aux rues, j’ai fait des allers et retour avant de trouver le bon chemin. On dit que ce sont les femmes qui ne savent pas s’orienter. Les six kilomètres que j’ai marchés montrent que cet adage n’a pas de fondement.

Les quatre invités arrivent et sentent les fleurs du jardin pendant que les oiseaux chantent avec entrain. Pour une fois depuis longtemps le soleil se montre et les fleurs de printemps sont un bonheur champêtre.

Le menu sera très simple. Il y aura du gouda, des chips et une tarte à l’oignon pour l’entrée. Puis un poulet aux pommes de terre et gousses d’ail, un camembert et la mousse au chocolat.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 a une belle couleur dorée claire. Incroyable. Aussi long et fluide qu’une rivière qui coule à une vitesse douce ce champagne a une belle amertume subtile. Il est immense et tellement confortable avec la tarte à l’oignon.

Le Château Montrose 1959 mi- épaule offre un parfum noble et ce qui frappe, c’est sa perfection. Tout dans ce Saint-Estèphe est exactement comme il se doit. C’est dû au millésime 1959 qui est le millésime ancien que j’ai le plus bu : 354 fois. Une pure réussite pour Montrose. Avec la gousse d’ail qui accompagne le poulet, la combinaison est passionnante. Ma fille a été très impressionnée.

Le Corton Château de Beaune Bouchard Père & Fils 1964 est en demi-bouteille. J’ai envie de le boire avec le camembert. Et cela crée une combinaison orgasmique absolue, celle que l’on désire de trouver même lorsque c’est improbable comme ici. Ce vin solide est plein d’énergie et l’amertume du camembert enveloppe le vin tel un boa constrictor. C’est un accord étonnant.

Le Maury la Coume du Roy 1948 avait déjà montré son charme il y a quelque temps. Délicat et subtil, c’est le compagnon idéal de deux mousses au chocolat l’une de ma fille, plus sophistiquée et intellectuelle et l’autre de ma femme, plus campagnarde, solidement attachée à la cuisine française.

La combinaison créée par Le Corton est quelque chose d’unique et mettrait ce vin hors concours. Mais le classement plus strict des vins est : 1 – Montrose 1959, 2 – Moët 1964, 3 – Le Corton 1964, 4 – Maury 1948.

Tous les vins ont été à leur meilleur niveau. C’est agréable de vérifier que des vins de soixante ans et plus ont leur place entière dans la gastronomie.