Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner au restaurant Taillevent avec des vins inconnus dimanche, 26 janvier 2020

Parfois, lorsque je prends une bouteille en cave, j’ai l’impression que cette bouteille m’a demandé de la choisir. Et je pense à ce poème :  »Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » C’est ainsi que Lamartine parlait de sa maison natale. Ces objets inanimés qui dorment en cave auraient-ils une âme qui s’attache à la mienne et me forcent à les aimer ? Le dîner de ce soir a pu me conduire à cette passagère divagation.

Depuis très longtemps je connais l’un des plus grands commissaires-priseurs américains avec lequel j’ai déjà fait de nombreuses dégustations. Il a un palais très sûr. Il m’invite à dîner et je choisis le lieu. Ce sera le restaurant Taillevent car je souhaite m’imprégner à nouveau de la cuisine de David Bizet. Etant invité, je vais apporter des vins. Cet homme a tout bu, et surtout les bouteilles les plus mythiques. Il ne faut pas chercher à l’impressionner. Dans ma cave il existe une zone de plusieurs cases où sont regroupées des bouteilles non identifiables. Elles n’ont pas d’étiquette et parfois pas de capsule. Je m’approche d’une case et je prends en main un vin blanc. Sur la capsule il y a marqué Chassagne Montrachet Girard Père & Fils. Il n’y a pas d’étiquette et pas d’année. La couleur du vin à travers le verre me séduit. Je pense que ce vin doit être grand. Je le choisis alors que c’est le premier que je prends en main. La case où sont ces bouteilles est plus haute que la hauteur de mes yeux. Je ne vois donc que des fonds. L’un des fonds est très creux, le bord du verre est très fin. Il s’agit très probablement d’une bouteille du 19ème siècle. Je la prélève. Cette bouteille est fine au col très fin et très haut et sa forme ne correspond à rien de connu. On dirait une bouteille de Haut-Brion, mais plus fine et légèrement tordue du col. La capsule est neutre, probablement en plomb compte-tenu du grisé que je vois et la capsule est gravée d’une grappe et de feuilles qui ressemblent plus à du lierre qu’à de la vigne. Le niveau est très haut dans la bouteille qui est chemisée, tant le dépôt collé au verre est important. L’idée de boire des bouteilles inconnues avec mon convive me plait.

J’arrive peu avant 19 heures au restaurant Taillevent et j’ouvre les deux bouteilles. La bouteille du vin blanc est très ancienne et le bouchon se brise en mille morceaux pour une raison simple, il y a une surépaisseur de verre au milieu du goulot qui interdit de lever le bouchon sans le briser. Le parfum du vin est une bombe de fragrances intenses. Quelle puissance et quelle richesse ! Tiendra-t-il ce niveau brillant, nous verrons. Contrairement au bouchon du vin blanc, le bouchon du vin rouge vient entier, conique, le bas du bouchon étant plus étroit, épousant la forme du verre. Le bouchon est tout petit, comme c’était le cas pour les bouteilles de la première moitié du 19ème siècle. L’odeur est discrète mais semble raffinée. Je pense à un vin délicat de Bordeaux. J’avais imaginé bien sûr la possibilité que mes bouteilles se montrent décevantes et nous aurions pris des vins de la carte des vins très vaste du restaurant, mais il apparaît que cela pourrait ne pas être le cas.

Avant l’arrivée de mon hôte, j’ai le temps d’aller saluer David Bizet en cuisine et de bâtir avec lui ce qui pourrait être notre menu : produits de la mer variés, épaule d’agneau et chevreuil.

L’ami arrive et choisit trois champagnes. Il me demande de décider de l’un des trois. Ce sera un Champagne Charles Heidsieck cuvée Charlie 1985. Ce champagne est absolument délicieux, fin, vif, avec de petits accents lactés très agréables et une vivacité de bon aloi. Le choix était bon. Mon ami ayant un peu peur des saveurs de la mer nous prenons des langoustines au caviar absolument délicieuses et à peine cuites, presque crues, ce qui est d’un grand plaisir. Le vin blanc est servi maintenant. Le nez est explosif et racé. En bouche, la richesse du vin est impressionnante. Mon ami dit que ce vin est forcément un grand cru. Il est incroyable de richesse et de persuasion. Il a pour mon goût les belles caractéristiques des grands crus du Domaine Leflaive. Qui aurait pu imaginer un tel niveau ? Ce doit être plus qu’un Chassagne-Montrachet, peut-être un Chevalier-Montrachet Girard Père & Fils. A la couleur j’avais pensé années 40. La bouteille est plus vieille, sans doute de réemploi. Le vin pourrait être plus vieux mais gardons l’hypothèse de Chevalier-Montrachet Girard Père & Fils années 40. Le vin va rester parfait jusqu’à la fin du repas.

Les deux plats de viande sont absolument excellents et gourmands. Mon ami goûte le vin en ayant encore la mémoire du blanc, sans avoir mangé de viande et croit reconnaître un vin du Rhône, alors que je suis persuadé qu’il s’agit d’un bordeaux. J’ai eu par moment des parfums de Latour, à d’autres des intonations de Lafite. Ce n’est probablement pas un premier grand cru classé, mais c’est un grand vin. Il a des suggestions de vins de 1900 mais je crois qu’il est plus vieux, peut-être de 1880, alors que le bouchon correspond à un vin plus vieux d’au moins trente ans. Nommons ce vin inconnu Pauillac vers 1880. Mon ami abandonne la piste du Rhône pour confirmer un bordeaux.

La cuisine a été superbe et le service toujours aussi chaleureux. Alors revenons à mon imaginaire. Si ces vins se sont montrés si brillants, est-ce parce qu’ils m’ont demandé de les choisir dans ma cave ? C’est une sensation piquante de l’imaginer…

en fait, c’est bien des feuilles de vignes sur la capsule de ce vin centenaire

Dîner à la Manufacture Kaviari avec le chef Samuel Lee Sum du Shangri-La Paris dimanche, 19 janvier 2020

Régulièrement, la Manufacture Kaviari reçoit des chefs qui viennent réaliser un dîner où évidemment les caviars Kaviari jouent un rôle. Ce soir, ce sera Samuel Lee Sum, le chef du restaurant Shang Palace de l’hôtel Shangri-La à Paris qui sera aux fourneaux.

Je suis venu avec ma fille aînée qui découvre la jolie décoration du lieu. Avant le repas, on peut déguster trois caviars dans la salle de dégustation réfrigérée de la Manufacture. Le caviar Transmontanus est d’un gris presque noir. Il est intense mais un peu trop salé pour mon goût. Le caviar Osciètre est celui que je prends généralement. Il est d’un gris plus clair et me semble d’un très bel équilibre. Le caviar Kristal est d’une couleur rousse. Il est extrêmement typé et beaucoup de ceux qui dégustent avec nous préfèrent ce caviar, mais si son attaque est belle, je le trouve un peu court alors que l’osciètre maintient sa vibration pendant plus longtemps.

On peut se désaltérer avec le Champagne Billecart-Salmon Brut sans année qui est d’un bel équilibre et joue parfaitement son rôle. Avec le caviar il joue sur du velours.

Nous passons à table et nous retrouvons des habitués de ces dîners. Le chef apporte au centre de la table une grande assiette où, sur les légumes rangés en fines lamelles reposent des poissons crus. Il nous demande de prendre nos baguettes et de soulever chairs et végétaux en l’air et de les laisser retomber pour que tous ces éléments se mélangent. C’est, je le suppose, une coutume de bienvenue. Le chef reprend le plat mélangé et va préparer les assiettes pour chacun.

Nous nous asseyons et le dîner commence. Le menu est ainsi rédigé : mises en bouche du chef / sashimi du chef et caviar Kristal / œuf onctueux, langoustines et caviar Kristal / bouchées de porc et crevettes, bouchées aux crevettes, bouchée Saint-Jacques et calamar, bouchées de porc, crevettes et betterave / rouleaux de chou chinois avec poulpe et boutargue / homard bleu, riz fermenté à la sichuanaise / nouilles de riz, émincé de porc, champignons et caviar pressé / sphère de fruits frais à la crème montée.

L’assiette préparée par nos brassages comprend des légumes extrêmement épicés, qui étouffent complètement le caviar qui leur est associé. C’est dommage, car le caviar est bon et les légumes aussi. Les plats qui vont suivre sont très intéressants, car on entre dans une gamme de saveurs dépaysantes. J’ai vraiment adoré la présentation des quatre bouchées dont les goûts et la couleur associée se répondent. Il y a souvent des saveurs dont la texture rappelle la guimauve. On a l’impression de mâcher des mets tout en douceur. C’est exotique et passionnant.

François, l’homme qui a choisi les vins d’accompagnement, a réussi à trouver des vins qui se sont montrés pertinents sur les plats. Un riesling Bio  »terroir » du domaine Zinck, un Condrieu Invitare Michel Chapoutier, un Chassagne-Montrachet Abbaye de Morgeot Olivier Leflaive 2014, un Chiroubles Maison Trenel. Mais pour la complexité des plats, j’ai préféré suivre tout le repas avec le délicieux champagne qui s’accommode mieux de saveurs qui mêlent le piquant et le doucereux. Dans beaucoup de plats et surtout le pain ou les desserts on trouve des textures et des mâches de chamallow. L’œuf onctueux est inhabituel et très intéressant à découvrir.

Dans une ambiance sympathique et enjouée, cette cuisine m’a donné envie de mieux la connaître. Elle est légère et les quatre bouchées m’ont conquis.

Dîner avec deux Romanée Conti préphylloxériques vendredi, 17 janvier 2020

Mon ami Tomo et moi avons en commun un fournisseur de vins, qui est par ailleurs un grand amateur. Il nous avait proposé à la vente deux Romanée Conti préphylloxériques. J’ai suggéré que nous nous organisions tous les trois pour boire ces deux bouteilles ensemble. Un ami se joint à nous. Nous partagerons ces deux bouteilles à quatre et nous échangeons des mails pour définir les vins complémentaires d’un dîner qui se tiendra au restaurant Michel Rostang.

J’arrive le premier au restaurant pour ouvrir les vins qui ont déjà été livrés au restaurant. Tomo n’étant pas encore là je commence à ouvrir la bouteille de Chambolle-Musigny Amoureuses Domaine G. Roumier 1976. La capsule est percée en son milieu et le bouchon a baissé de deux centimètres dans le goulot. Je prends mes outils en main, j’ouvre la trousse et, oh stupeur, ce n’est pas celle que j’utilise d’habitude mais une autre de la même couleur qui contient divers outils. Il y a de quoi faire, mais ce ne sont pas les outils habituels. Et comme si un ange gardien veillait sur moi, ce sont ces outils qui vont se révéler les plus adaptés pour soulever un bouchon très abaissé. Le haut du bouchon paraît solide comme un roc mais il s’est rétréci. Je prends une mèche fine dont le pas est au moins deux fois plus long que celui d’un tirebouchon normal. C’est comme si l’on avait pris un tirebouchon et qu’on l’ait étiré à l’extrême. Par le petit espace que me laisse le haut de bouchon rétréci, je peux piquer la fine mèche. Mais il faut la remonter et je n’ai aucune prise. Or il y a dans cette trousse une fourchette qui n’a que deux dents et dont les deux dents sont très rapprochées. Je peux faire levier sur le goulot avec cette fourchette pour que la mèche remonte avec le bouchon. Mais cette opération a des limites aussi il faut maintenant piquer un tirebouchon classique pour tenter la remontée. Les deux outils se gênent, la mèche et le tirebouchon. Il me faudra plus de dix minutes pour que le bouchon soit sorti.

L’odeur du vin est jolie et fruitée, mais quelques secondes plus tard je sens que le vin pourrait surir. Il est opportun de mettre un bouchon neutre sur la bouteille pour éviter toute dégradation du vin.

J’ouvre ensuite le Clos Haut-Peyraguey Sauternes 1947. Le bouchon se brise en de nombreux morceaux mais ne pose aucun problème. Le parfum est noble et précis et annonce un sauternes plutôt sec mais plaisant.

Tomo arrive avec son apport qui est un Meursault-Charmes Paul Roulot-Hervé 1959. Je ne pouvais pas imaginer que le grand-père de Jean-Marc Roulot pût avoir un humour aussi particulier. Que lit-on sur l’étiquette ? Confrérie de la Pochouse avec cette mention : agréé et recommandé par le Grand Conseil de l’ordre de la Confrérie de la Pochouse. On peut supposer que les membres sont d’aimables pochtrons. Et la devise dans l’écusson est :  »J’ons de la Gueule & J’savons nager ». Tout un programme ! On devait bien rigoler avec Paul. L’ouverture est facile car le bouchon vient entier, tout beau et frais. Le nez est très prometteur.

Il est temps maintenant d’ouvrir les deux Romanée-Conti. La 1942 a son étiquette et l’étiquette du millésime qui sont intactes et la cire qui couvre le haut du goulot porte clairement l’indication  »vigne originelle française non reconstituée ». La 1940 n’a plus d’étiquette et plus de cire. Elle est toute nue et l’on peut voir clairement le bouchon à travers le verre, ce qui permet de lire le millésime et l’inscription en plus du nom du vin de  »vigne originelle française non reconstituée ». Aucun doute n’est possible sur l’authenticité de ces deux bouteilles dont nous sommes tous les quatre les copropriétaires. Le niveau de la 1940 comme de la 1942 est d’environ 8 centimètres sous le bouchon. Les bouchons se déchirent et viennent en morceaux mais sans vrai problème. Le nez de la 1940 est magnifique. Celui de la 1942 est prometteur. Il n’y a pas de place pour le doute.

La bouteille que j’ai apportée n’est pas en reste en ce qui concerne l’abondance des écritures. Il s’agit d’un Champagne Jacquesson Perfection 1947. Pourquoi Perfection, je ne le sais pas. Une étiquette en losange dit :  »as originally supplied to Napoleon the Great ». Et pour enfoncer le clou, on dit  »médaille d’or donnée en 1810 par Napoléon à la maison Jacquesson pour la beauté et la richesse de ses caves ». En 1947 le sens du marketing était déjà fort poussé. Elle sera ouverte tout-à-l ‘heure.

Le troisième compère nous rejoint et le quatrième viendra plus tard. Pour tuer le temps, j’ouvre une bouteille dont je n’avais parlé à personne, mais l’idée d’ouvrir une bouteille de vignes préphylloxériques en même temps que les deux Romanée Conti m’avait plu. C’est un Champagne Bollinger Blanc de Noirs Vieilles Vignes Françaises 2000. Le bouchon est évidemment sans histoire. Le liquide a une couleur légèrement ambrée, à peine, et un nez puissant. Le vin est riche, viril car c’est un blanc de noirs conquérant comme un chevalier teutonique. Ce vin se montre nettement supérieur à ce que j’attendais, même si ce que j’attendais était grand. C’est sa richesse et sa puissance de conviction qui me conquièrent.

Pendant que j’officiais pour ouvrir les vins, le chef Nicolas Beaumann est venu me voir pour composer le menu. Comme nous nous connaissons bien il n’a pas fallu longtemps pour se mettre d’accord à la fois sur les plats mais aussi sur les accompagnements. Le menu conçu par Nicolas Beaumann est : la Saint-Jacques et la truffe noire / la sole petit bateau / la volaille de Bresse truffée sauce Périgueux / la côte de veau contisée à la truffe noire / la poire conférence rôtie.

Le fait que pour les deux Romanée Conti le veau soit contisé est un clin d’œil qui ne me laisse pas indifférent. Contiser, c’est glisser sous la peau ou la chair fine des lamelles de truffe comme en un demi-deuil.

Nous sommes maintenant quatre et nous passons à table. On nous sert des tout petits sandwichs à la sardine dont le goût est délicieux et fort et qui tirent du Bollinger des notes merveilleuses. C’est éblouissant.

Baptiste, le sympathique sommelier, connait mes habitudes et me laisse ouvrir le Champagne Jacquesson Perfection 1947. Le bouchon se cisaille et le bas du bouchon vient au tirebouchon. Le vin est nettement plus ambré que le précédent. Le nez est sympathique. Il n’y a pas de bulle, mais le pétillant est bien là. Le champagne est doucereux à l’attaque et le milieu de bouche est plus vif, car le champagne n’est pas trop dosé. Il va gagner en énergie avec les coquilles coupées en strates séparées par des rondelles de truffe. J’adore ce champagne aux myriades d’évocations de fruits rouges, blancs, et de noix. Il est doté d’une belle longueur et ne donne pas de signe d’âge, dans la plénitude de sa maturité.

Sur la délicieuse sole, on sert le Meursault-Charmes Paul Roulot-Hervé 1959. Le nez de ce vin est un tel trésor d’intensité et de volupté que l’on pourrait se contenter de sentir sans boire. Ce nez est renversant. En bouche il est riche d’une minéralité exemplaire car elle est très présente sans brider la générosité du vin de belle longueur. Ce parfum m’a conquis.

Le Chambolle-Musigny Amoureuses Domaine G. Roumier 1976 va diviser la table en deux, ceux qui comme moi acceptent avec joie le message d’un vin joyeux au beau fruit rouge, sans grande complexité mais très droit et ceux qui trouvent le vin un peu dévié. Je l’ai reçu tel qu’il se présente, franc et bien dans son appellation. Il faut dire que le temps passant, l’envie de passer aux deux vedettes de la soirée se faisait de plus en plus forte et me rendait plus tolérant. La volaille est absolument délicieuse et faite pour mettre en valeur tous les vins.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1940 est servie en même temps que la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1942. La 1940 a une couleur un peu terreuse, alors que la 1942 a une couleur d’un rouge plus vif et plutôt plus foncé que les couleurs des Romanée Conti. Ce qui est amusant est qu’il va y avoir deux clans opposés pour ces deux vins. Tomo et moi sommes subjugués par la 1940 qui a l’âme de la Romanée Conti avec cette présence si nette de sel et cette absence de concession. Ce vin est terrien comme sa couleur, et dégage une impression d’ascèse. C’est un moine cistercien dans sa longue robe de bure dont il a la couleur. De l’autre côté, nos amis sont sensibles à la richesse fruitée du vin de 1942, à son opulence et sa largeur. Le vin est glorieux, mais si je n’avais pas la certitude de l’authenticité de la bouteille que j’ai ouverte, je me demanderais si le vin n’est pas trop ample pour une Romanée Conti. C’est curieux qu’il y ait deux camps aussi nettement opposés. Le veau avec une sauce riche et une abondance de truffes est parfaitement adapté à la force préphylloxérique des deux vins. La deuxième partie de la bouteille de 1942 va être une illumination pour moi. Car dans sa deuxième moitié, a priori la plus dense, la 1942 devient miraculeusement la Romanée Conti que j’attendais. Le sel imperceptible jusqu’à présent se montre et se renforce et la trace miraculeuse des Romanée-Conti apparaît comme par enchantement. Et la lie sera d’un plaisir sans pareil. Les deux Romanée Conti se retrouvent, mais la 1940, plutôt plus marquée par le poids des ans, est transcendantale. Et nos amis du clan de la 1942 vont nous rejoindre pour convenir que la 1940 est de loin la plus émouvante, avec cette âme qui se fond dans la nôtre.

Si l’on avait besoin de se rassurer de la complexité des deux Romanée Conti, il suffit de prendre une goutte du Chambolle-Musigny pour mesurer à quel point un monde les sépare. La rencontre avec la 1940 fait entrer dans le paradis de la Romanée Conti, où les vins sont de recueillement. Nous sommes conscients que nous vivons un moment unique. Je suis content que la 1942 ait fini par délivrer ce que j’espérais. Les lies des deux vins sont une entrée au paradis. Les Romanée Conti préphylloxériques racontent une histoire qui ne se reproduira plus jamais.

Le roquefort n’est pas le meilleur ami des sauternes, mais celui-ci a suffisamment de délicatesse pour accompagner le Clos Haut-Peyraguey 1947 à la couleur incroyablement sombre. Le nez est celui d’un sauternes qui a mangé son sucre et la bouche est raffinée et d’une puissance que l’on n’attendrait pas de ce vin. Il n’a pas la largeur des plus grands mais il est très incisif et poivré, riche et tout en longueur.

La poire est un dessert parfait pour ce beau sauternes.

Nous avons fait goûter quelques vins à Baptiste et au chef. Le service est toujours aussi attentionné, la truffe fut abondamment coupée en lamelles au-dessus de nos assiettes et Baptiste a officié – quand je l’ai laissé faire – avec tact et bienveillance.

La pertinence des plats m’a impressionné. Les goûts d’une pureté extrême m’ont laissé penser que l’on est dans la zone qui flirte avec les trois étoiles. Tout est réuni pour qu’il en soit ainsi.

Nous votons pour les sept vins du repas et sans la moindre surprise c’est la Romanée Conti 1940 qui est nommée première par nous quatre. La Romanée Conti 1942 est nommée deuxième par mes trois compères et troisième pour moi car je mets le Meursault en second. Ledit Meursault est troisième pour eux trois. Nous différons pour le quatrième vin. Celui qui a apporté le Roumier 76 vote pour lui. Tomo vote pour le Bollinger VVF 2000, et nous sommes deux à mettre en quatrième le Jacquesson 1947.

Des soirées émouvantes comme celles-ci sont des cadeaux du ciel et un cadeau aussi de ceux qui ont réussi ces beaux vins.

le chiffre 1940 est visible à travers le verre, avec l’inscription Vignes originelles françaises non reconstituées

la cire de la Romanée Conti 1942 porte aussi la mention de vignes originelles françaises non reconstituées

le Meursault n’est pas sur cette photo de groupe. L’ordre sur la photo : Jacquesson 1947, Chambolle Musigny Roumier, Romanée Conti 1942, 1940 et le sauternes.

couleurs du Bollinger, du Jacquesson et de la Romanée Conti 1942

Dîner la veille de la Saint-Sylvestre mercredi, 1 janvier 2020

Le plateau de fruits de mer prévu pour le déjeuner était si copieux que nous avons reporté au dîner les immenses pattes de crabes royaux. J’ai ouvert deux vins dans le milieu de l’après-midi. Le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel blanc Vieilles Vignes 2007 a une jolie couleur d’un bel or clair. Le nez est marqué par un léger goût de bouchon qui n’empêche pas de saisir le message général du vin, mais écorne le plaisir de boire. C’est un vin riche, plein, avec l’ampleur fumée que donnent les vieilles vignes, mais, quelle que soit sa qualité, on ne peut ignorer la petite trace de liège. On l’oubliera plus tard dans le repas, prenant conscience de la force de caractère de ce blanc bien né.

Par quel miracle est apparue dans ma cave du sud cette bouteille de Paviglia Coteaux d’Ajaccio de F. Mercury sans année qui doit être des années 80 ? A travers le verre de la bouteille on imagine un blanc, alors qu’il s’agit d’un rosé. Le nez à l’ouverture était assez neutre mais sans défaut. Il est maintenant plus affirmé et engageant.

Plus le vin s’ouvre dans le verre, plus la densité de ce rosé va s’affirmer. C’est un beau rosé bien droit, légèrement fumé, assez riche et de bonne mâche, à la longueur plaisante. Et l’on se fait plaisir avec ce vin totalement inattendu. Il a même tenu sa place sur un camembert Jort et sur une tarte aux mirabelles. On lit sur l’étiquette F. Mercury ce qui fait penser un instant à Freddie Mercury, le légendaire chanteur de Queen, mais c’est François Noël Mercury, vigneron décédé en 2019. Le mystère de cette bouteille figurant dans ma cave reste entier.

déjeuner la veille de la Saint Sylvestre lundi, 30 décembre 2019

Nous sommes descendus dans le sud pour le réveillon de fin d’année. Les premiers amis arrivent la veille. Un restaurateur du port de notre petite ville propose des plateaux de fruits de mer. Nous avions pu goûter chez des amis la qualité de leurs produits. Je commande un plateau simplifié, avec petites huîtres, crevettes roses et à ma grande surprise, le chef du lieu a rajouté des crabes royaux.

Pour le déjeuner du 30 décembre, j’ouvre un Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 2005. Dès la sortie commerciale de ce champagne, j’avais été conquis alors que l’année ne figure pas parmi les plus grandes. Le pschitt est fort, la bulle est conquérante et la couleur très jeune est d’un or aussi conquérant que la bulle. Dès la première gorgée, on entend le champagne qui nous dit : « je suis champagne, je suis LE champagne ». De plus en plus j’aime aller dans le sillage de Jacques Puisais qui considère les vins comme des êtres vivants qui s’expriment comme tels. Car ce champagne s’affirme et nous montre l’image du champagne consensuel. Il en est de plus vifs, de plus typés, mais ce champagne représente la définition du bon champagne. Il est large et joyeux. Les petites huîtres le rendent plus vif, cinglant, alors que les crevettes l’assagissent. Tout est fort agréable et copieux aussi préférons-nous réserver les pinces de crabes pour le dîner.

Pour apprécier les crevettes, j’ai ouvert un Champagne Krug Grande Cuvée Première Génération dont l’étiquette est d’un vert avocat. Il est du milieu des années 80. Le pschitt existe, la bulle est fine et généreuse, et la couleur est d’un bel or ambré. Dès la première gorgée on est saisi par la complexité incroyable de ce champagne. Pour paraphraser la description précédente inspirée de Jacques Puisais, ce champagne nous dit : « je suis le charme ». Car tout en lui, toute cette abondance de complexités ne conduit qu’à une chose, le charme absolu. L’acidité faite de petits fruits roses acides comme la groseille ou la framboise concourt à ce charme. Il est d’une dimension qui dépasse ce que l’on peut concevoir. J’imagine volontiers que ce champagne exprime le souhait ultime du fondateur de Krug, Joseph Krug en 1843.

En attendant les crêpes, je découpe de fines tranches de gouda au cumin qui collent à merveille avec le champagne et les crêpes qui suivent donnent au champagne un supplément de sensualité.

Le Taittinger était LE champagne, le Krug était LE charme. Nous étions au sommet de ce que le champagne peut offrir de plaisir.

Les deux repas de Noël en famille samedi, 28 décembre 2019

Mon fils, étant retourné à Miami, va fêter Noël avec sa femme et ses deux enfants. Nous allons fêter Noël avec mes deux filles et leurs quatre enfants. L’apéritif commence avec des rillettes, un fromage gouda au cumin, et des petits canapés cuits au four dont des mini croquemonsieurs. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1976 est venu directement de la maison Henriot dans ma cave, avec une étiquette Enchanteleurs alors qu’à l’époque le champagne s’appelait Baccarat. Le bouchon saute dans mes mains à l’ouverture dans une belle explosion d’un beau bruit. Le bouchon est bien chevillé ce qui indique un dégorgement ancien. La bulle est fine et active.

Le nez de ce champagne est absolument impressionnant tant il est complexe et riche. On pourrait se contenter de sentir ce champagne tant ce parfum est gratifiant, mêlant fruits, fruits confits, mendiant et des myriades de senteurs. En bouche, c’est un choc que je ressens. Je situerais ce champagne dans l’élite de l’élite car il est à un stade d’accomplissement quasi incroyable. Il y a des fruits larges et dorés qui envahissent le palais. Mes filles et l’aînée de mes petits-enfants, qui commence à goûter les vins, sont subjuguées par la richesse et la perfection de ce champagne qui amène dans des territoires inconnus car aucun des grands champagnes que je bois n’a un fruit aussi généreux. Sa plénitude est extrême. Ce champagne est dans un moment de grâce unique et je le mets volontiers au firmament, en compagnie de tous les plus grands champagnes que j’ai pu goûter. Les rillettes sont parfaites alors que le gouda est un peu fort pour ce 1976. Les petits fours sont parfaits. C’est un grand moment que nous venons de vivre.

La distribution des cadeaux suit l’apéritif et l’air du temps a marqué les choix des donateurs, car la grande majorité des cadeaux ont une empreinte carbone sans commune mesure avec les cadeaux délirants de jadis. Ce qui m’a frappé pendant ces échanges de cadeaux, c’est la capacité de mes petits-enfants à s’enthousiasmer. Chaque cadeau est célébré avec des ‘oh’ et des ‘ah’ comme s’il s’agissait du plus merveilleux cadeau que l’on pût imaginer. Cette fraîcheur d’esprit est en soi un magnifique cadeau.

Le cœur de saumon pressé est accompagné par un Chassagne Montrachet Jean-Pierre Bloud 1980. Je l’avais choisi en cave du fait de sa magnifique couleur très jeune et de son niveau parfait. Et ce vin clair, au parfum discret tient bien son rôle. On n’en attend pas des miracles, mais il est joyeux, de belle mâche, avec une aimable ampleur en bouche. Ce vin de 39 ans n’a pas d’âge tant il est frais et vif. J’aime donner leur chance à de tels vins.

Le cuissot de porcelet recouvert de fines tranches de truffes d’été est accompagné par une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1983. Le nez à l’ouverture il y a plus de quatre heures était d’une délicatesse infinie. Le parfum est toujours aussi charmant et en bouche ce vin riche et puissant se caractérise par un seul mot : ‘velours’. Ce vin est velours. Il est facile à lire, généreux et spontané et ce qui est intéressant, c’est que ses 36 ans n’ont pas entamé sa spontanéité. C’est un vin de plaisir pur.

Divers fromages permettent de continuer à boire ce vin, dont vacherin, camembert et une délicieuse pâte molle que je n’ai pas reconnue.

Ma fille aînée a apporté deux magnifiques et artistiques buches et il est décidé qu’une seule sera partagée ce soir, l’autre surmontée d’un renard en marron sera découpée au déjeuner demain. Le Champagne Krug rosé des années 90 est dans une bouteille d’une rare beauté, aux couleurs de vieux rose délicat. Le bouchon est bien chevillé, confirmant qu’il a nettement plus de vingt ans. La couleur est d’un joli rose de pêche et la bulle est assez active. Le champagne est noble et raffiné, mais on mesure à quel point le champagne Henriot nous a offert un moment rare, ce qui laisse à penser que l’Enchanteleur était dans une forme irréellement exceptionnelle.

C’est maintenant le grand moment, car ma fille aînée n’avait pas bu les vins antiques que j’avais partagés avec mon fils et ma fille cadette. Et alors que le Madère ~ 1740 et la Malvoisie ~ 1790 avaient été bus à des moments différents, nous allons les boire ensemble. Plusieurs choses sont subjuguantes. Tout d’abord les couleurs, plus rouges pour la Malvoisie mais toutes deux d’une jeunesse incroyable. Ensuite ces deux vins sont arrivés à un stade intemporel de perfection. Cela veut dire que si l’on imaginait que ces deux bouteilles soient ouvertes dans deux cents ans au lieu de 2019, on aurait strictement les mêmes vins qui ont trouvé un équilibre indestructible. Et cette idée comble d’aise l’amateur que je suis car il s’agit de la forme ultime du vin éternel.

Les deux vins sont très différents. La Malvoisie 1790 est vive, d’une acidité remarquable qui lui donne de la fraicheur et le poivre est insistant dans le finale. Le Madère 1740 est beaucoup plus doux, très oriental dans ses complexités des mille et une nuits. Une de mes filles préfère la Malvoisie. J’ai tendance avec sa sœur à préférer le Madère, mais les deux sont exceptionnels.

En ce dîner familial de grande gaieté, le champagne 1976 a été l’une des plus belles étoiles.

Le lendemain midi, c’est le déjeuner de Noël. L’apéritif consiste en des tranches de jambon Pata Negra, du gouda et des biscuits épicés. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1976 est toujours aussi brillant et vif, avec des saveurs fruitées et larges. Quand il est fini nous buvons le reste du Champagne Krug rosé des années 90 qui se montre beaucoup plus fringant et vif que la veille et je constate que je l’avais un peu sous-estimé hier.

Le plat principal est un Parmentier de confit de canard surmonté d’une purée de pommes de terre. J’avais ouvert la veille le Vega Sicilia Unico 1972 croyant que nous comparerions sur les deux repas ce vin avec la Mouline 1983 mais en fait le vin espagnol n’est servi que lors de ce déjeuner, après vingt heures d’aération dans ma cave. Le parfum du vin la veille était miraculeux, avec une fraîcheur faite de fenouil et de menthe qui n’empêche pas de ressentir la richesse du fruit. Ce parfum est aussi brillant aujourd’hui et le vin est d’une richesse rare et d’une jeunesse que l’on n’attendrait pas. Car il a une énergie qui est la même que celle des jeunes Vega Sicilia Unico. Il est plein, fluide et ce que j’aime particulièrement en ce vin, c’est le finale entraînant, marqué d’une fraîcheur légèrement mentholée. C’est, je pense, une des plus belles années de Vega Sicilia Unico quand la jeunesse est encore présente et quand l’âge apporte la cohérence et la plénitude qui multiplient le plaisir.

La buche surmontée d’un renard qui a la même couleur marron que la buche elle-même, est absolument délicieuse. Aucun vin n’est prévu pour elle, car nous avons bien profité des vins de ces deux repas. Noël est un moment familial majeur porteur de joies. Avons-nous reçu autant d’attention de la part de nos petits-enfants qu’ils n’en ont eu pour leurs smartphones, le doute est permis. Mais ce n’est rien, car c’est Noël.

la bûche

le grand moment de déguster les deux vins du 18ème siècle

Dîner au relais Louis XIII mardi, 24 décembre 2019

Après la dégustation des champagnes RSRV de la maison Mumm, à l’invitation d’Alexander Staartjes, directeur marketing des opérations de luxe du groupe Pernod-Ricard, nous nous rendons au restaurant Le Relais Louis XIII avec un ami américain, grand fidèle de l’académie des vins anciens. Nous sommes accueillis par le chef Manuel Martinez, un chef MOF dont la cuisine traditionnelle est unanimement reconnue.

Alexander a prévu d’apporter une bouteille de champagne et nous prendrons les autres vins à la carte. Le menu sera très simple car nous allons vers le meilleur. Ce sera la quenelle légendaire et le lièvre à la royale, sauf pour Alexandre qui prendra du canard.

Le Champagne V.O. Version Originale Jacques Selosse a été dégorgé en février 2014. Il est donc dans les meilleures conditions possibles de dégustation. Il est vif, intense, vineux, mais aussi très agréable à boire. C’est un champagne de belle personnalité.

Pour la quenelle, le Champagne Krug Private Cuvée années 60 est un partenaire idéal. Le bouchon est venu entier, la bulle est faible mais présente et le pétillant est joyeux. L’intensité de ce champagne est extrême. Il est noble, profond, à la longueur infinie. Il est tranchant. Il est à la fois mature, cohérent dans ses complexités mais aussi entraînant par sa vivacité. La quenelle est divine.

Le Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 2005 est riche et vivant, fort de fruits noirs, mais souriant comme un soleil. C’est le compagnon idéal du lièvre à la royale qui est un des meilleurs que l’on puisse déguster, un peu comme celui de Michel Rostang. C’est un régal et la sauce au sang et le Clos des Papes sont d’un prolongement parfait. J’adore quand un plat et un vin se confondent à ce point.

Nous avions offert à Manuel Martinez un verre du Krug, qu’il va partager avec un client qui dîne seul. On me dit que ce dîneur suit mon parcours sur internet et je vais le saluer. En fin de repas il propose d’aller chercher dans sa voiture un vin qu’il veut nous faire goûter. Il fait ouvrir un Sancerre Les Monts Damnés Pascal Cotat 2009. Ce vin est d’une belle couleur jeune, de blé d’été. Le nez est expressif. En bouche le vin évoque des fruits jaunes et blancs, avec une acidité mesurée et une minéralité qui n’exclut pas la douceur. Il a une belle richesse et se boit agréablement. Sa plénitude est une belle surprise.

La cuisine traditionnelle de Manuel Martinez est riche et magnifiquement exécutée. L’ambiance est très familiale, sympathique, ouverte. Les deux plats sont parfaits et les vins ont été remarquables. Ce fut une belle soirée.

Grand Siècle lundi, 16 décembre 2019

Le lendemain aucun repas particulier n’était prévu avec mon fils et lorsque j’ai vu que nous allions dîner de sushis et de cœur de saumon fumé, j’ai eu envie d’ouvrir un champagne. J’ai choisi un Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle qui doit être probablement des années 70. Comme cela arrive souvent avec des champagnes de cet âge le bouchon se cisaille à la torsion et je suis obligé d’extraire le bas du bouchon avec un tirebouchon. Il faut être prudent, même s’il est peu probable que le bouchon ne sorte violemment, mais j’ai bien fait de l’être car à peine avais-je introduit la mèche dans le bas du bouchon qu’un fort pschitt expulsa le bouchon, avec un joli bruit.

La couleur du champagne est encore assez claire et la bulle fine est rare. Le nez est très séduisant, combinant douceur et finesse. En bouche, le champagne est exactement ce que l’on pouvait attendre, fait de fleurs blanches et d’un message romantique. Il est élégant et civil. C’est le compagnon idéal des sushis et du saumon. Les « Grand Siècle » anciens sont d’un charme fou.

Deux champagnes très différents dimanche, 15 décembre 2019

Mon fils est à la maison, j’ai envie d’ouvrir un champagne que je considère comme une icône ou plutôt un repère. J’envisage pour lui de la poutargue, une rillette et un camembert. Ma femme ajoute du cœur de saumon fumé et des anguilles fumées, que je pressens moins adaptés. Nous verrons.

J’ouvre le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1971. Je tourne lentement le bouchon mais il se cisaille, tout en émettant le bruit d’un gaz qui s’échappe. La lunule restante sort avec un tirebouchon. Le nez est très doux. En bouche, l’attaque est comme la fin d’une éclipse de soleil. Il fait noir et tout-à-coup, l’infime arc de cercle du soleil qui renaît montre une puissance extrême. C’est cela qu’offre le Moët avec un bouquet de fruits d’une superbe variété. Ce champagne combine une douceur et une puissance exacerbées, avec une complexité et une largeur extrêmes. C’est un champagne de plaisir qu’à l’aveugle j’aurais volontiers situé dans les années 50.

Poutargue, rillette, camembert s’accordent volontiers avec ce champagne souple et accueillant. Sur le cœur de filet de saumon, ce n’est pas possible. Alors, j’ouvre un Champagne Salon 1999. Il se montre d’un niveau qualitatif très supérieur à ce que j’attendais. Dans la lignée des Salon qui ont été millésimés, c’était le petit gamin timide. Or il montre maintenant une superbe assurance. C’est lui qui ira le mieux avec le saumon et avec le gras de l’anguille fumée. On s’aperçoit que les deux champagnes ne se nuisent pas. Le Moët est beaucoup plus large et complexe, mais c’est l’âge qui lui donne ces qualités. Le Salon est vif et cinglant, et c’est le privilège de l’âge. Moët Brut Impérial trouve dans son ancienneté des qualités extrêmes qui ne peuvent exister que si le champagne de départ, à sa naissance, était déjà grand. Le Salon avec ses vingt ans commence à s’ouvrir au monde des complexités mais conserve la fougue de sa jeunesse. Le fait de les avoir associés tous les deux à des grignotages de saveurs diverses est un véritable plaisir.

j’ai mis côte à côte les bouchons du 1999 et du 2008 bu récemment

déjeuner au restaurant Yam’Tcha samedi, 14 décembre 2019

Je vais déjeuner au restaurant Yam’Tcha avec une importatrice de thés de tous pays, qui fournit les plus grands restaurants et hôtels et donne des cours d’initiation aux thés. Elle a participé à quelques dîners. Le chef Adeline Grattard fait une cuisine élégante aux inspirations asiatiques qui s’associe aux choix de thés de son mari Chiwah.

Le menu unique, donné seulement en fin de repas, est ainsi composé : langue de veau et betterave / nem de légumes / héliantis et œuf de truite // pagre au sel et fumé, agrumes et carambole / bouillon de poivre des cimes et rose, fansi, crevette et encornets / entrecôte de wagyu japonais, packchoï, huîtres et algues moustaches / pintade cuite pendue, cristal balls de champignons, sauce shaoxing et vinaigre / bao stilton et cerise amarena / fromage de brebis et noix de pécan, boule de riz, coing et dattes.

Ce menu sera accompagné de thés différents à chaque plat, servis par Chiwah, et j’ai choisi un Champagne V.O. Jacques Selosse dégorgé en juillet 2016 qui a donc un peu plus de trois ans de dégorgement, ce qui est idéal. Le champagne a une couleur qui commence à se dorer, la bulle est active et fine, le nez est intense et en bouche ce champagne est ingambe, entraînant et hautement gastronomique.

Les thés sont très différents et certains accords se font, mais d’autres n’apportent rien au plat auquel ils sont dédiés. Avec la spécialiste des thés, les avis sont souvent les mêmes et les réactions identiques. J’avoue que je n’ai pas été totalement convaincu car presque toujours, l’accord avec le champagne est plus brillant, le champagne rehaussant le plat et prolongeant sa trace en bouche alors que plusieurs fois le thé a éteint le goût.

Il faut dire cependant que lorsque l’accord se fait, lorsque le thé prolonge le plat, on est dans une zone de subtilités très intéressante. Il y a en effet dans la cuisine d’Adeline de beaux raffinements.

Je vais faire un deuxième aveu, je suis un peu lassé des accords terre-mer qui sont d’une mode que je ne prise pas. Qu’apporte une huître à une virile chair de wagyu ? On ne peut pas dire que ce n’est pas possible. Mais pour mon goût ça n’apporte rien. Et de plus, le thé a bien du mal à se trouver avec des saveurs aussi dissemblables.

Les chairs sont superbes, pagre, coquilles, encornets, wagyu, pintade, les raffinements sont là, mais je m’attendais à ce que les thés apportent des rebondissements que je n’ai pas trouvés au niveau que j’attendais. Lorsque je reviendrai, le repas sera au champagne, car mon palais n’est pas encore assez asiatique pour que je succombe au thé. Ces réflexions n’enlèvent rien au grand talent d’Adeline Grattard, et aux talents des thés.

le menu qui donne les vins des accords possibles, non prix pour ce déjeuner