Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Casser les codes dans les accords mets et vins anciens vendredi, 8 novembre 2019

Le texte qui suit est le récit du déjeuner au restaurant Pages rédigé par Romain, mon compagnon de table.

Je suggère de lire d’abord mon compte-rendu et ensuite celui de Romain ci-dessous :

« Déjeuner avec François Audouze en compagnie de vins anciens est toujours un moment unique car on voyage réellement avec les vins et les accords qui les transcendent. J’en ai fait une nouvelle fois l’expérience au restaurant Pages pour un déjeuner où la plupart des approches traditionnelles sur les associations mets et vins ont volé en éclats, laissant la place à un ballet improvisé où l’intuition de François a permis de créer des accords impensables mais brillants. J’ai tellement été marqué par ce déjeuner que j’ai décidé d’en faire le récit tel que je l’ai vécu.

 

J’arrive à 11h pour ouvrir mes vins et je découvre alors les deux vins choisis par François qui est déjà sur place : un Pétrus 1958 et un Richebourg 1963 domaine de la Romanée Conti (avec en renfort un autre Richebourg du domaine de la Romanée Conti du millésime 1953 et un Hermitage 1978 De Vallouit « au cas où »). Autant dire que mon sang ne fait qu’un tour tant c’est le rêve de tout amateur que de réussir à boire un jour ce type de flacon de légende. C’est un immense cadeau qui montre la profonde générosité de François et qui annonce nettement la couleur du déjeuner que nous allons partager. J’y joins mes apports : Y d’Yquem 1968, Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus 1989 Bouchard Père et Fils, demi-bouteille de Chambolle-Musigny Les Amoureuses 1966 domaine Ropitot (qui sera écartée car l’opulence est déjà au rendez-vous) et un Cognac Grande Champagne de la fin du XIXème siècle où seuls les deux premiers chiffres du millésime apparaissent (#18??). Nous déjeunerons donc avec 4 vins (un blanc et trois rouges) et un cognac.

 

François s’arme de ses outils pour ouvrir les bouchons et le voyage commence. Le bouchon de l’Y est parfait, son parfum est divin. Le bouchon du Pétrus est comme rongé par un champignon qui l’effrite en poussière sur le contour extérieur, laissant une couche sale à l’intérieur du goulot, ce qui explique la baisse de niveau. Avec un bouchon pareil, n’importe quel professionnel du vin et amateur non averti condamnerait la bouteille à l’évier. J’assiste alors au traditionnel nettoyage manuel de l’intérieur du goulot (avec un doigté qui porte en lui le mystérieux fluide résurrecteur de François) et l’on découvre alors un parfum riche et intense, avec une violette subtile. C’est une surprise tellement inattendue que François décide de reboucher le Pétrus est de le placer en apéritif. Un Pétrus en apéritif, ce n’est certainement pas un cas d’école… Le bouchon du Beaune Grèves est nettement moins qualitatif que celui de l’Y et le parfum discret montre que l’aération lui sera profitable. Enfin, le bouchon du Richebourg est une épreuve, collant au goulot à cause d’une surépaisseur. Le parfum est incertain, comme voilé par un masque poussiéreux mais l’on sent un changement possible. Voilà une autre bouteille qui pourrait rapidement être écartée d’une table pour finir à l’évier. Mais nous verrons avec l’aération lente. L’enchaînement des vins est annoncé comme suit : Pétrus 1958, Y d’Yquem 1968, les bourgognes avec le Beaune Grèves 1989 et le Richebourg 1963 et enfin le Cognac. François ayant un instinct hors normes pour visualiser des accords avec les vins anciens (ce qui frise l’ésotérisme), le menu est revu en un éclair. Les plats sont simplifiés, les ingrédients et amuse-bouches non compatibles sont écartés et de nouvelles consignes sont données à l’équipe qui les accueillent et s’y adaptent avec une agilité remarquable.

 

A midi, la deuxième partie du voyage commence avec en guise d’amuse-bouche un carpaccio de Daurade simplifié (huile d’olive et sel) pour accompagner le Pétrus 1958. Débuter un repas avec un Pétrus sur du poisson cru est aux antipodes de tout ce que l’on peut concevoir dans la gastronomie traditionnelle. On est en droit de se dire que jamais un sommelier ne recommanderait cela. Et pourtant l’accord est éblouissant… Il existe toutefois un protocole pour en jouir : commencer par la Daurade, bien mâcher, garder en mémoire le goût du poisson puis déguster le Pétrus. C’est là que la magie opère car la fraîcheur et la mâche épurée du poisson se combinent au grain riche du Pomerol et lui apportent un coup de fouet et une dimension en bouche qu’on ne soupçonnerait pas. C’est une combinaison inédite qu’il faut vivre pour vraiment la comprendre. L’accord est tellement saisissant que l’amuse-bouche est doublé. C’est mon premier Pétrus et je ne pouvais rêver mieux comme intronisation. Vient ensuite un carpaccio de bœuf Ozaki légèrement brûlé au chalumeau. Alors qu’on pourrait nous recommander un vin rouge, plutôt tannique et charpenté pour supporter le brûlé de la viande, François se tourne instinctivement vers l’Y en disant « c’est l’Y qu’il nous faut ». Un blanc sur une viande presque crue est une nouveauté pour moi, je n’arrive pas à imaginer que cela puisse fonctionner. Le protocole est réitéré. On mâche un petit morceau de viande qui est excellente et une fois la mémoire du bœuf en bouche on goûte l’Y. Pour moi l’accord est encore plus incroyable que le précédent car le gras de la viande va épouser la trame de l’Y et lui donner une largeur aromatique impressionnante. L’Y est d’une tension folle pour son âge, avec un équilibre parfait entre acidité et douceur du botrytis. Il semble bâti pour trancher le palais. La viande étant fine, elle n’écrase pas l’Y mais supporte son message, le gras s’associant à l’acidité et le fumé au botrytis. C’est saisissant. Nous poursuivons le repas avec un risotto aux champignons et Ormeau qui appellerait en théorie un blanc. Une fois encore, François sort des sentiers battus en choisissant intuitivement le Beaune Grèves 1989. Une fois de plus, l’accord fonctionne diablement. Même si le Beaune possède un léger voile de bouchon au nez, la bouche n’en est pas affectée et l’Ormeau va fournir un vrai tremplin gustatif au Beaune qui serait beaucoup plus discret et sévère sans son aide. L’accord s’oppose à toute logique. La sauce du risotto est excellente et donne la tension qui manque au Beaune pour rayonner, c’est magique. Arrive ensuite le moment le plus incroyable du repas. François demande spécialement un morceau de bœuf Ozaki grillé (non prévu initialement) et propose une expérience inédite : manger la moitié du bœuf avec l’Y d’Yquem et la seconde moitié avec le Richebourg 1963. Les deux accords sont fabuleux. La viande est d’une qualité exceptionnelle et son gras convient parfaitement à l’Y qui s’envole à des hauteurs folles. L’accord est également superbe avec le Richebourg qui n’a plus un gramme de défaut et devient riche et solide. La viande lui donne une opulence et stimule sa finale salée. Un sel que je ressens vraiment pour la première fois de ma vie. Si j’ai souvent lu les commentaires de dégustation de François évoquant le sel dans les vins du domaine de la Romanée Conti, je n’avais encore jamais goûté ni ressenti cette singularité. C’est chose faite aujourd’hui et c’est une émotion intense. Le voyage ne s’arrête pourtant pas là car c’est au tour du Cabillaud d’entrer en scène pour accompagner de nouveau le Pétrus. Pétrus et poisson sont décidément faits pour s’entendre alors que la théorie professerait l’inverse. Même si la sauce du cabillaud n’est pas adaptée pour le vin, la chair seule, divine, est le support idéal pour le Pomerol truffé. C’est à se damner. Le lièvre à la royale succède ensuite au poisson pour accompagner le Richebourg qui va à nouveau briller royalement, plus même que pour l’accord avec le bœuf Ozaki. La saveur marquée du lièvre (quoique manquant un peu de panache sauvage) va littéralement rehausser le Richebourg, lui donnant une touche fumée qui, mariée au sel, le rend sublime. Comme si les codes des accords n’étaient pas suffisamment cassés, François propose d’essayer le Cognac sur la sauce seule. Le Cognac étant ouvert depuis plusieurs mois, il est légèrement éventé, ce qui le rend plus doux et accueillant pour créer un accord « ton sur ton » avec la sauce. Mes certitudes sur l’apparition normale d’un Cognac au cours d’un repas sont mis en branle. Alors qu’arrive l’assiette de fromage, l’intuition de François ne perd rien de sa performance et les accords sont immédiatement trouvés. Le Saint Nectaire avec le Richebourg, la Couronne de Poitou avec le Beaune Grèves et la Tome de Brebis avec le Cognac. C’est un sans-faute. Le Cognac se termine enfin avec le dessert Marron Tatin et met un point final à ce voyage éblouissant.

 

Ce déjeuner n’était semblable à aucun autre car je n’ai jamais ressenti des accords aussi intenses et brillants, alors même qu’ils sont à des années lumières des associations classiques. Lire les écrits de François sur les accords qui vous transportent est une chose, mais le vivre en est une autre qui fait taire tout soupçon. Il y a quelque chose de magique avec François qui ne s’explique pas mais qui transforme résolument la vision que l’on peut avoir du vin et de la gastronomie. C’est par l’expérience que François réussit à convaincre et les sceptiques des vins anciens sont bien malchanceux de rester en dehors de ces expériences fantastiques. Il me tarde de récidiver car c’est un réel plaisir de casser les codes avec François tant sa compagnie, sa générosité et son approche des vins anciens sont authentiques et sincères. »

Texte de Romain. Les photos sont jointes à mon compte-rendu.

Dîner au siège de Kaviari sur la cuisine de Christophe Moret jeudi, 7 novembre 2019

La Manufacture des caviars Kaviari a pris l’habitude de recevoir des grands chefs qui cuisinent sur place en créant des menus où le caviar joue un rôle important. Ce soir ce sera le chef Christophe Moret, chef du restaurant l’Abeille de l’hôtel Shangri La qui fera la cuisine avec des membres de son équipe.

Les participants au dîner sont accueillis avec une coupe de Champagne Billecart-Salmon Brut Réserve fort agréable et de belle soif, et peuvent aller en salle de dégustation réfrigérée goûter le caviar baeri qui est de Sologne et a une très belle longueur, le caviar osciètre délicieux qui est plus clair que d’habitude, et le caviar Kristal, le ‘rouquin’ de la bande, de belle personnalité.

Le menu composé par le chef est ainsi rédigé : caviar Kristal et oursin en délicate royale / caviar osciètre, coquillages et ormeaux rafraîchis, condiment iodé / araignée de mer du Cotentin en chaud-froid, concombre, amandes, caviar baeri fermier / homard de nos côtes nourri de vanille, potirons et châtaignes en cocotte lutée / miel de maquis corse givré au parfum de cédrat et d’eucalyptus.

Trois petits amuse-bouches sont à déguster avec le champagne, un à base de saumon, un autre de langoustine et le troisième de foie gras. Les goûts sont précis et clairs et le champagne est gastronomique.

Pour l’oursin, nous goûtons un Saké Junmai Daiginjo – Nanbubijin Shuinpaku qui titre 16°. Le goût du saké est très intéressant, cohérent, agréable et facile à boire, mais sa force fait qu’il écrase le plat alors que le champagne n’éteint pas le goût du plat.

La mâche des ormeaux est particulièrement dure. Le caviar adoucit le plat accompagné du champagne.

Pourquoi avoir mis tant de concombre autour de l’araignée de mer qui n’en a pas vraiment besoin ? Le Condrieu ‘Amour de Dieu’ JL. Colombo 2017 très jeune et un peu perlant montre une belle personnalité qui va s’affirmer. Il est riche et convaincant même s’il n’est pas très complexe.

Le homard est bien traité et le Chassagne-Montrachet ‘Abbaye de Morgeot’ Olivier Leflaive 2014 fort gouleyant lui donne une belle réplique.

Le dessert au miel offre des saveurs cohérentes et plaisantes. Le champagne se montre à son contact absolument charmant.

Le chef est multiplement étoilé dans les nombreuses adresses prestigieuses où il a officié, dont Lasserre ou le Plaza Athénée. Son amour des produits se sent. Mais – et c’est une opinion personnelle – j’ai trouvé que s’il y a une recherche dans les combinaisons de produits, la mâche des plats est le parent pauvre des constructions. On est plus en recherche de dextérité que de plaisir de croquer un plat à pleines dents.

L’atmosphère du lieu est particulièrement chaleureuse, Karin Nebot reçoit avec talent et les discussions sont passionnantes avec des amateurs éclairés. Le caviar a été mis à l’honneur et le chef est hautement sympathique. Ce fut une belle soirée.

Déjeuner au restaurant Pages avec des innovations dans les accords jeudi, 7 novembre 2019

Romain est un des plus généreux des membres de l’académie des vins anciens. Il ne peut pas venir à la prochaine séance de l’académie aussi me propose-t-il de nous retrouver au restaurant Pages à déjeuner avec des vins apportés par chacun. Il m’annonce un Y d’Yquem 1968, une demi-bouteille de Chambolle-Musigny 1er Cru Les Amoureuses 1966 domaine Ropiteau et un Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus 1989.

Je lui propose d’apporter des vins de bas niveau car c’est avec un amateur comme lui que je peux prendre des risques, et j’en choisis quatre en cave, un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963, un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953, un Pétrus 1958 et un Hermitage L.De Vallouit 1978. Nous choisirons sur place ce que nous ouvrirons.

Revenant du sud en avion ce matin je me présente au restaurant Pages peu avant 11h et je suis vite rejoint par Romain. Nous laisserons de côté la demi-bouteille de Chambolle-Musigny, le Richebourg 1953 et l’Hermitage 1978. Il reste quatre vins pour nous deux, plus un fond de Cognac Grande Champagne. Nous avons décidé d’utiliser l’un et l’autre des crachoirs, face à cette profusion.

J’ouvre l’Y d’Yquem et son parfum est d’une richesse prodigieuse. Il sent le botrytis à pleins poumons. Lorsque je tire le bouchon noir du Pétrus 1958, je constate que le bas du bouchon a perdu de sa substance comme s’il avait été mordu par un animal qui l’aurait grignoté, sachant que cette hypothèse est impossible. Le bouchon est si affaibli que les plus grandes craintes traversent mon cerveau. Je sens le vin et c’est incroyable que le parfum soit celui d’un riche Pétrus parfaitement pur. Nul ne croirait qu’un bouchon aussi blessé fermait une bouteille au vin épanoui.

Le bouchon du Beaune Grèves s’est fendu en deux en remontant mais je discutais avec Romain et j’ai sans doute manqué d’attention. Le bouchon du Richebourg 1963 est d’un noir gras. Il a tellement tapissé le goulot que la couche épaisse de gras noir m’impose d’utiliser mes doigts pour enlever cette exsudation du vin. Le nez du vin à l’ouverture me fait craindre le pire. Je subodore qu’il me faudra ouvrir une autre bouteille.

Le menu s’est composé petit à petit sur mes intuitions qui pourraient laisser croire que je voulais « casser les codes », ce qui n’était pas mon intention. Ainsi, comme le parfum du Pétrus 1958 m’était apparu très supérieur à ce que j’attendais, nous allons prendre l’apéritif avec lui, pour éviter un déclin possible, et je commande à Ken, le chef qui travaille aux côtés de Teshi, de préparer des fines tranches de poisson cru. Il y a de la daurade royale, ce qui semble parfait. Le Pétrus 1958
est puissant, riche, follement truffé. Et l’accord avec le poisson cru est pertinent, au point que je le fais goûter à tous les membres de l’équipe de Pages. Le vin va nous accompagner tout au long du repas, quand sa présence est pertinente, et il ne faiblira pas, la puissance de la truffe s’accompagnant d’un velouté charmant dans la suite de la dégustation.

Pour l’entrée en piste de l’Y d’Yquem 1968, je demande des tranches fines de carpaccio de wagyu, et la cuisine lee prépare légèrement brûlées au chalumeau. L’Y d’une belle couleur claire et ensoleillée est un vin riche qui évoque un Yquem devenu sec. Il y a en effet de belles traces de botrytis qui égaient ce vin charmant et généreux. C’est probablement l’un des Y les plus puissants qui soient. L’accord avec le wagyu est encore plus spectaculaire que l’accord du Pétrus avec le poisson cru.

Le plat suivant présente des ormeaux avec un risotto aux champignons. Dès que je le vois, j’ai l’instinct de l’associer au Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père et Fils 1989. Le vin a un léger nez de bouchon qui ne gêne pas le milieu de bouche, sauf à le rendre un peu plus strict, et se ressent surtout dans le finale un peu amer. Et de ce fait, l’accord avec les ormeaux se trouve encore mieux que si le vin avait eu plus de charme. Le vin va progressivement s’élargir et nous offrir un peu plus de pureté et d’émotion. Le plat est délicieux.

J’ai demandé qu’on nous prépare des petits steaks de wagyu pour accompagner l’Y. Mais quand je vois le plat arriver, je suggère que nous mangions une moitié du steak avec l’Y et une moitié avec le Richebourg. L’accord avec l’Y est parfait car le gras de la viande élargit le côté sauternais du vin de Graves.

Je sers le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 et Romain me regarde. Il est persuadé que ma façon d’ouvrir les vins fait des miracles, mais là, que le vin se présente aussi brillant, ayant effacé toutes les imprécisions de senteurs, tient de la magie. Je suis moi-même très étonné d’un retournement aussi imprévisible. Le vin est riche, et la trace de sel si caractéristique apparaît surtout dans le finale. Et le wagyu par son gras équilibré efface toute imperfection. Le vin est guéri de toute éventuelle maladie. Et l’accord est sublime.

Le cabillaud a une sauce à base de bisque et c’est mon erreur car j’aurais dû demander une sauce viande, car le vin qui accompagne le poisson est le Pétrus. Malgré la sauce l’accord se trouve et le Pétrus 1958 gagne maintenant en velours, ce qui adoucit ses accents truffiers.

La sauce du lièvre à la royale est absolument divine, et à mon goût, la chair manque du côté gibier que j’aime dans ce plat emblématique. Le Richebourg se régale de la sauce, et devient quasiment parfait. C’est un grand vin romantique au sel qui m’émeut toujours autant. Pour la sauce j’ai envie d’essayer la Grande Champagne Cognac du 19ème siècle et l’accord se trouve.

Pour continuer avec nos vins nous prenons du fromage, un saint-nectaire, une couronne du Poitou et une tomme de brebis. Je m’amuse à désigner les vins qui conviendraient, Richebourg pour le saint-nectaire, cognac pour la tomme de brebis et Beaune Grèves pour le fromage du Poitou et les trois accords fonctionnent.

On peut dire que, sans le vouloir, nous avons ‘cassé les codes’ et que tous les accords se sont montrés pertinents. Les vins ont brillé et je classerais ainsi en premier l’Y car il est un Y parfait, riche d’un botrytis affirmé toute en gardant une belle vivacité. En second je mettrais le Pétrus 1958, d’une richesse accomplie et d’une grande présence, puis le Richebourg joliment romantique et d’un sel racé. Enfin le Beaune Grèves a bien accompagné les ormeaux mais il lui a manqué d’un peu de pureté.

La complicité avec l’équipe de cuisine est un grand bonheur pour moi, car je peux laisser libre cours à mes audaces culinaires. Romain est le plus aimable des convives en plus d’être généreux. Ce déjeuner fut un grand moment de plaisir.


j’ai apporté quatre bouteilles basses

les bouteilles retenues

le Pétrus avec cet incroyable bouchon

la grande Champagne du 19è siècle

Déjeuner au restaurant Cédric Gola lundi, 4 novembre 2019

Dans le sud, une amie nous invite avec son fils à déjeuner à La Londe-Les-Maures au restaurant Cédric Gola. Elle avait eu de bonnes informations sur ce restaurant et sur le menu à la truffe qu’il propose. La salle est petite mais agréablement décorée.

Le menu ‘truffes’ est le choix de notre amie et moi. Il est ainsi rédigé : ‘Autour de la truffe’ : velouté de homard aux truffes / foie gras poêlé sur une pomme de terre fondante, rosace de truffes et crème de truffes / pigeonneau entièrement désossé servi dans un feuilletage au foie gras et à l’étuvée de choux verts, jus de truffe / ou / homard juste saisi et crème de truffes / brie de Meaux truffé, mesclun et râpé de truffes / fondant au chocolat, crème fouettée aux truffes. Alors qu’un choix est possible pour le plat principal entre pigeonneau et homard, on indique curieusement sur le menu que ceux qui ont choisi le menu ‘truffe’ doivent choisir le même plat principal. Il faut donc s’accorder entre convives.

Nous choisissons un Champagne Gosset Celebris Extra Brut 1998. Sa couleur est d’un bel or blond. La bulle est presque inexistante et la femme du chef qui est en salle nous explique que la raison est que les verres à vin sont très propres. Le champagne est très vif, puissant, incisif. Il a une forte personnalité virile. Il est idéal pour le velouté et le foie gras. C’est un très bon champagne encore très jeune alors qu’il a 21 ans.

Le Château de Pibarnon Bandol rouge 2014 est impressionnant de velours. Il est riche de ses 14°, très équilibré et son velours le rend charmant. Il est idéal pour le pigeonneau et l’excellente truffe très goûteuse.

Le chef Cédric Gola fait une cuisine de très bon niveau. Les cuissons sont exactes, les produits de bonne qualité. C’est probablement une des cuisines les plus raffinées d’Hyères et alentours. Nous avons passé un très agréable moment avec des vins de qualité.

Déjeuner au restaurant Laurent avec des vins italiens vendredi, 1 novembre 2019

Un ami des dîners, de l’académie des vins anciens et des casual Fridays veut partager avec moi un Gaja 1999 qu’il avait gardé depuis longtemps pour une future rencontre. Un autre ami m’envoie un message suggérant qu’on se voie. J’avais réservé une table pour moi seul au restaurant Laurent pour vérifier les plats du menu du dîner de vignerons qui se tiendra dans une semaine en ce lieu. La solution la plus cohérente est que j’invite mes deux amis à ce déjeuner.

Luc a apporté un Champagne Laurent Perrier Vintage Brut 1981. Sa couleur est d’un or orangé. La bulle est quasi inexistante. Le champagne est une corbeille de fruits de sa couleur. Il est confortable et il s’installe en bouche dans sa largeur. Il est horizontal et n’a rien de vertical. C’est un très agréable champagne aux vertus gastronomiques évidentes du fait de sa cohérence.

Philippe juge le Gaja Barbaresco 1999 beaucoup trop jeune par rapport à ce qu’il attendait, mais ce vin très vif et très jeune est d’une belle énergie. Luc dit qu’il est soyeux.

J’ai apporté un Sassicaia Tenuta San Guido 1987 pour accompagner le Gaja annoncé. Il y a une réelle différence de maturité entre les deux vins italiens. Luc dit du Super Toscan qu’il est velouté. Il est riche et très élégant. Il ne montre aucune puissance démonstrative, il est serein.

J’ai commandé le blanc-manger de langoustines, caviar impérial de Sologne condimenté et coulis de laitue, plat qui sera servi dans une semaine. Je voulais essayer ce plat en ayant peur de l’influence de la laitue sur les vins mais en fait la laitue est très discrète. L’épaisseur du blanc-manger rend presque inaudible le caviar. Cela doit pouvoir facilement se corriger. La volaille Culoiselle au foie gras, variation automnale autour des cèpes est parfaite. Il n’y a pas un iota à changer, sauf à servir la semaine prochaine des demi-portions car c’est un plat copieux.

Il est évident que l’entrée ne met pas en valeur les vins rouges qui chuchotaient leurs messages alors qu’avec la volaille les deux italiens se sont montrés brillants, le Sassicaia épanoui et jouant sur sa délicatesse subtile et le Gaja très vif promettant des merveilles lorsqu’il aura vingt ans de plus.

Nos discussions animées sur l’avenir du monde se sont poursuivies bien tard longtemps après que les autres tables se sont vidées. Un bien beau déjeuner d’amitié.

Dîner chez des amis vendredi, 1 novembre 2019

Avec ma femme nous allons dîner chez des amis de plus de trente ans. Nôtre hôte fait partie du club de conscrit où je le rencontre tous les mois. Nous prenons l’apéritif de délicieuses gougères avec un Champagne Henriot Blanc de Blancs Brut sans année très fluide et agréable sans trop de complexité.

J’ai apporté un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1985 que j’apprécie énormément dans ce millésime. Je voulais que mon ami goûte ce vin que j’adore et il est au rendez-vous. Il a une mâche d’une présence folle. Solide gaillard marqué par des suggestions de garrigue et d’olives noires, il est équilibré tout au long de son trajet en bouche et son finale est en panache.

Pour des quenelles mon ami a ouvert un Puligny-Montrachet La Garenne Etienne Sauzet 2015 fort agréable et ayant déjà une belle largeur.

Après le repas mon ami m’a fait goûter un Cognac Grande Champagne Paradis Le Château à Bourg-Charente. Il s’agit d’un assemblage de très vieilles eaux-de-vie fort agréable, qui a conclu ce repas d’amitié.

Tokaji # 1840 and Madeira # 1770 mercredi, 30 octobre 2019

Let’s face it, this is probably the biggest day of my life when wine is concerned. It goes back a long way. Joël, a madman of all that is antique, had sold me about fifteen years ago a bottle of a boat that had sunk in 1739. The bottle of onion shape was marked by marine erosion and Joel had me said that I should not expect wonders. He then sold me the oldest bottle I drank, whose year was estimated at 1690, which we drank together on a memorable day. Joel is a passionate for antiques and recently he tells me he would like us to share a Tokaji that Christie’s had estimated in the 1860s but had revised around 1840. Joel wants to drink it with me and I suggested that we drink it in my cellar, and that we choose together in my cellar the wine that would allow me to honor his bottle.

I have in my cellar a very important number of bottles of the 19th century of which a good number without readable label which I grouped in boxes. And among them, there is one, without the slightest label, totally opaque, which is the only one that can claim to be of the 18th century. I have other 18th century bottles with labels or markers. This one does not have one. This bottle could be a star of one of my dinners, but I want to share it with Joel because I love the passion that drives him.

There is a wild strike at the SNCF (railway system) for the High Speed Trains (TGV) of the west of France and our program could fall into the water but Joel who lives in Rennes finds a TGV and joins the train station closest to my cellar. I’m going to get him and we’re going together to buy an apple pie that may be suitable for the planned tasting. Sushi will be delivered at mealtime.

We visit my cellar and Joel is much more interested in very old bottles. The 1928 or 1947 do not enter the radar screen of his interests. We visit and I show him the bottle of the 18th century by saying that it is one I imagined for our meeting. He answers me: « I noticed it right away, and it was the one I was hoping for ».

For the aperitif, I open a Champagne Krug Private Cuvée years 50ies. The perimeter of the muzzle is dirty and when I want to remove the cork it comes without any resistance and without the slightest pschitt. The cylinder of the cork bears traces of mold, but the bottom surface of the cap is extremely clean and healthy. I pour the champagne which has a beautiful color of a mahogany gold. The champagne is of an absolute coherence. It is pure, intact, sparkling present but discreet, with evocations of dry Sauternes. Because it elegantly combines the dry and the sweet. What is fascinating is its balance and its unquenchable final. It’s a huge champagne. I had ordered with the sushis edamame which are not as good as those of the restaurant Pages because it lacks the added salt, but they marry divinely with the Krug which is part of the best that I could drink. Such a balance is unique.

I open the bottle of Tokaji # 1840 whose neck was covered with two layers of recent waxes. When removed, the top of the cork very small and very clean gives the impression of being original. When I pull it, doubt is not allowed, a cork of this quality can only be original. The cap is fine, soaked on a third, and everything looks healthy. The nose is so fresh and so precise, felt at the bottleneck, that I wonder if this wine is real, as it is so young. By pouring the wine into the glasses, the very clear and so wonderful gold is unequivocal, it is not possible to copy such a color.

The nose of Tokaji has discreet alcohol and hints of autumn leaves. On the palate there are beautiful yellow fruits and chestnuts, and a great freshness in the finish. It is an airy Tokay. It even has a floral finish. It is elegant and it is very close to sauternes rather dry, like the previous champagne, but with more amplitude and sun. At the first contact of the first sip, I felt the woof of a Tokaji, and at the tasting that follows, it is the Sauternes that is more suggested. On tuna sashimi, the deal is as good as salmon sushi, which showcases the tangy side of sweet wine.

I did not want to read Christie’s expert’s tasting note in advance to not be influenced, but here it is:  » short friable cap, amber-colored pure gold and oily consistency. The aromas are sweet with a hint of orange and apricot. The wine is resinous and slightly nutty. Honey with a rose hip fragrance. Touch of balsamic character with a rich and persistent aftertaste  ». This is very consistent with what we taste, but I felt more freshness and less balsamic.

The stopper of the 18th century is of a very sparse cork, as one finds for the very old wines of Cyprus. It is glued to the glass and I have to curette it by removing crumbs by crumbs. His powerful perfume exhales well before I finish the operation. Before putting my nose on the neck I think of an alcohol as the emanation is strong and when I bring my nose, there is no doubt that it is a Madeira. The nose is rich, intense and muscaté. Given the bottle I would say it is a Madeira # 1770. A knowledgeable amateur on Instagram told me that the bottle is from 1720 to 1730. Would the wine be older? In any case it is eternal.

Joel had asked me in the course of discussion which wines have impressed me the most and I told him that these extreme wines are always accompanied by a physical reaction, such as shock or chills. Coincidentally, the first contact with the wine of # 1770 makes me take my head in my hands, as if I had just received a punch. It’s a shock and I’m putting myself in a silent bubble. My God, what a shock. In the mouth, the wine is opulent, incisive, sharp. It has classic markers like pepper and liquorice, but a trace of salt is a trail of powder that ignites the pleasure. This wine is a bomb of power and salt transcends it. I immediately think about the Cyprus wines of 1845 which are for me the most complex wines that I have drunk, but here I think we are even higher, with this damn salt that radiates all the other directions that take this wine. There is a lot of sun fruit and this wine with infinite length leaves a heavy trace in the mouth and fresh at the same time. I am groggy.

We are obliged to notice that this wine is very much above the Tokaji 1840, even if this wine is itself fabulous. We reach an unreal peak. And circumstances lend themselves to the seventh heaven, because Joel bought this wine to drink with me and I chose this unique bottle to honor Joel, and everything was perfect. Apple pie is ideal for both wines.

I accompanied Joel to his train. He made me the gift of leaving me his bottle that I will finish with family and that will enlarge my collection of relics. A day like this is the highest reward of my passion.

(the pictures are in the article in French. see below)

Un Madère vers 1770 inoubliable mardi, 29 octobre 2019

Disons-le tout net, c’est probablement le plus grand jour de ma vie dans le domaine du vin. Cela remonte à bien loin. Joël, un fou de tout ce qui est antique, m’avait vendu il y a environ quinze ans une bouteille d’un bateau qui avait coulé en 1739. La bouteille de forme oignon était marquée par l’érosion marine et Joël m’avait dit qu’il ne fallait pas en attendre des merveilles. C’est lui ensuite auquel j’ai acheté la bouteille la plus ancienne que j’ai bue, dont l’année a été estimée à 1690, que nous avons bue ensemble lors d’une journée mémorable. Joël est un fou d’ancienneté et tout récemment il m’annonce qu’il aimerait que nous partagions un Tokaji que Christie’s avait estimé des années 1860 mais qu’il avait révisé autour de 1840. Joël a envie de la boire avec moi et je lui ai proposé que nous la buvions dans ma cave, et que nous choisissions ensemble dans ma cave le vin qui me permettrait d’honorer sa bouteille.

J’ai dans ma cave un nombre très important de bouteilles du 19ème siècle dont un bon nombre sans étiquette lisible que j’ai regroupées dans une case. Et parmi elles, il en est une, sans la moindre étiquette, totalement opaque, qui est la seule qui peut prétendre être du 18ème siècle. J’ai d’autres bouteilles du 18ème siècle avec des étiquettes ou des repères. Celle-ci n’en a pas. Cette bouteille pourrait être une vedette d’un de mes dîners, mais j’ai envie de la partager avec Joël car j’aime la passion qui l’anime.

Il y a une grève sauvage à la SNCF pour les TGV de l’ouest de la France et notre programme pourrait tomber à l’eau mais Joël qui habite à Rennes trouve un TGV et rejoint la station RER la plus proche de ma cave. Je vais le chercher et nous allons ensemble acheter une tarte aux pommes qui pourrait convenir à la dégustation prévue. Des sushis seront livrés au moment du repas.

Nous allons visiter ma cave et Joël s’intéresse beaucoup plus aux bouteilles très anciennes. Les 1928 ou 1947 n’entrent pas sur l’écran – radar de ses intérêts. Nous visitons et je lui montre la bouteille du 18ème siècle en lui disant que c’est celle que j’imaginais pour notre rencontre. Il me répond : « je l’avais remarquée tout de suite, et c’est celle que j’espérais ».

Pour l’apéritif, j’ouvre un Champagne Krug Private Cuvée années 50. Le pourtour du muselet est sale et quand je veux retirer le bouchon il vient tout seul sans la moindre résistance et sans le moindre pschitt. Le cylindre du bouchon porte des traces de moisissure, mais la surface du bas de bouchon est extrêmement propre et saine. Je verse le champagne d’une magnifique couleur d’un or acajou. Le champagne est d’une absolue grandeur. Il est pur, intact, au pétillant présent mais discret, avec des évocations de sauternes sec. Car il combine élégamment le sec et le doucereux. Ce qui est fascinant, c’est son équilibre et son finale inextinguible. C’est un immense champagne. J’avais commandé des edamame qui sont moins bons que ceux du restaurant Pages car il manque le sel, mais ils se marient divinement avec le Krug qui fait partie des plus chaleureux que j’aie pu boire. Un tel équilibre est unique.

J’ouvre la bouteille de Tokaji # 1840 dont le goulot était recouvert de deux épaisseurs de cires récentes. Lorsqu’elles sont enlevées, le haut du bouchon très petit et très propre donne l’impression d’être d’origine. Lorsque je le tire, le doute n’est pas permis, un liège de cette qualité ne peut être que d’origine. Le bouchon est fin, imbibé sur un tiers, et tout semble sain. Le nez est si frais et si précis, senti au goulot, que je me demande si ce vin est réel, tant il est jeune. En versant le vin dans les verres, l’or très clair et si merveilleux est sans équivoque, il n’est pas possible de copier une telle couleur.

Le nez du Tokaji a de l’alcool discret et des notes de feuilles d’automne. En bouche il y a de beaux fruits jaunes et marrons, et une grande fraîcheur dans le finale. C’est un Tokay aérien. Il a même un finale floral. Il est élégant et il s’approche fortement de sauternes plutôt secs, comme le champagne précédent, mais avec plus d’ampleur et de soleil. Au premier contact de la première gorgée, j’ai senti la trame d’un Tokaji, et à la dégustation qui suit, c’est le sauternes qui est plus suggéré. Sur des sashimis de thon, l’accord se trouve bien comme sur des sushis de saumon, qui mettent en valeur le côté piquant du vin doucereux.

Je n’avais pas voulu lire à l’avance la note de dégustation de l’expert de Christie’s, mais la voici :  »court bouchon friable, couleur d’or pur ambré et consistance huileuse. Les arômes sont doux avec un soupçon d’orange et d’abricot. Le vin est résineux et légèrement noisette. Miel avec un parfum de cynorrhodon. Toucher de caractère balsamique avec un arrière-goût riche et persistant ». Ceci est très cohérent avec ce que nous goûtons, mais j’ai senti plus de fraîcheur et moins de balsamique.

Le bouchon du vin du 18ème siècle est d’un liège très peu dense, comme on en trouve pour les vins de Chypre très anciens. Il est collé au verre et je dois le cureter en prélevant miette par miette. Son parfum puissant s’exhale bien avant que je n’aie terminé l’opération. Avant de mettre mon nez sur le goulot je pense à un alcool tant l’émanation est forte et quand je rapproche mon nez, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un madère. Le nez est riche, intense et muscaté. Compte tenu de la bouteille je dirais qu’il s’agit d’un Madère # 1770. Un amateur bien informé sur Instagram m’a dit que la bouteille est de 1720 à 1730. Le vin serait-il plus vieux ? De toute façon il est éternel.

Joël m’avait demandé en cours de discussion quels sont les vins qui m’ont le plus impressionné et je lui avais dit que ces vins extrêmes s’accompagnent toujours d’une réaction physique, comme un choc ou des frissons. Comme par hasard, le premier contact avec le vin de # 1770 me fait prendre ma tête dans mes mains, comme si je venais de recevoir un coup de poing. C’est un choc et je me recueille. Mon Dieu, quel choc. En bouche, le vin est opulent, incisif, tranchant. Il a les marqueurs classiques comme le poivre et la réglisse, mais une trace de sel est une trainée de poudre qui enflamme le plaisir. Ce vin est une bombe de puissance et le sel le transcende. Je pense immédiatement aux vins de Chypre de 1845 qui sont pour moi les vins les plus complexes que j’ai bus, mais là, je crois bien qu’on se situe encore plus haut, avec ce satané sel qui irradie toutes les autres directions que prend ce vin. Il y a beaucoup de fruits de soleil et ce vin à la longueur infinie laisse une trace lourde en bouche et fraîche en même temps.

Nous sommes obligés de constater que ce vin est très largement au-dessus du Tokaji 1840, même si ce vin est lui-même fabuleux. On atteint un sommet irréel. Et les circonstances se prêtent à ce que l’on touche le septième ciel, car Joël a acheté ce vin pour le boire avec moi et j’ai choisi cette bouteille unique pour honorer Joël, et tout fut parfait. La tarte au pomme est idéale pour les deux vins.

J’ai raccompagné Joël à son RER. Il m’a fait le cadeau de me laisser sa bouteille que je finirai en famille et qui viendra grossir ma collection de reliques. Une journée comme celle-ci est la récompense de ma passion.


dans ma cave une case de vins inconnus

je choisis celle de droite

estimation de la date du Tokaji par l’expert londonien de Christie’s

Déjeuner de conscrits au restaurant Le Petit Sommelier samedi, 26 octobre 2019

Pour je ne sais quelle raison, des membres de mon club de conscrits ont envie de se retrouver à déjeuner entre deux réunions statutaires. Nous serons cinq et sur ma suggestion, ce sera au restaurant Le Petit Sommelier, que je retrouve une semaine à peine après un récent déjeuner. Je serai actif dans le choix des mets et des vins, aidé par Pierre Vila Palleja propriétaire des lieux et par Manon la jolie et compétente serveuse et sommelière.

Nous commençons par un Champagne Billecart-Salmon Extra Brut 2008 qui est d’une belle expression dans ce beau millésime. Il est un peu strict du fait de l’absence de dosage mais pas trop et sait se montrer assez large pour entraîner nos adhésions. Le menu que je suggère est : poêlée de cèpes, émulsion au persil / bœuf bourguignon, pommes de terre et oignons.

J’avais imaginé un chablis avant que nous ne consultions le menu, et grâce aux suggestions de Pierre nous prenons un Château Simone Palette 1997 qui devrait mieux convenir. Le goût des cèpes est opulent, large, gras, et le vin des Bouches du Rhône est idéal pour ce plat. Car le vin a de la race. On dirait volontiers : c’est un vin qui cause. Car il occupe le palais de sa largeur, de son insistance aromatique. C’est un grand vin de 22 ans. Il est racé, riche et convaincant, et l’accord avec les cèpes est joyeux.

Le bœuf bourguignon a été cuit pendant 22 heures, mais j’aurais ajouté sans problème 22 heures de plus pour avoir encore plus de moelleux dans la mâche de la viande délicieuse. Le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005 a donné lieu à une petite querelle d’école entre Pierre Vila Palleja et moi. Pierre aurait aimé carafer le vin pour qu’il soit épanoui dès le début de la dégustation alors que je souhaitais voir son éclosion et profiter de la fragile ouverture d’un vin délicat.

Et ce qui est amusant, comme nous vivons en l’ère macronienne, c’est que nous avons pu observer que le vin était un adepte du « en même temps ». Car clairement la première bouteille de ce vin devait vivre son éclosion comme je l’avais souhaité tant sa subtilité la méritait. Et la deuxième bouteille, plus stricte, moins virevoltante, aurait profité d’un carafage qui l’aurait épanouie. Il n’y a donc pas de vérité absolue mais je suis heureux que la première bouteille ait vécu ce que j’aime, l’éclosion qui fait ressembler le vin aux ailes charmantes des danseuses du Lac des Cygnes. Car le vin est subtil, délicat, dosant ses charmes à tout moment de son passage en bouche. Il est riche sans l’être, aérien sans l’être, car rien n’est imposé, tout est gracile ce qui est franchement étonnant de la part de ce solide vin. On l’a retrouvé dans sa forme plus virile sur la deuxième bouteille. Le bœuf bourguignon est un plat de plaisir campagnard. On se sent bien, la pomme de terre adoucissant la sauce.

Pour le dessert, un délicieux millefeuille à la vanille, nous avons bu un Champagne Delamotte Brut sans année absolument agréable compagnon du dessert excellent. Le Petit Sommelier est un restaurant agréable par la qualité des plats et par l’étendue intelligente de sa carte des vins. Le service est très professionnel et compétent. Que demander de plus ?

Un beau Laurent Perrier Grand Siècle lundi, 21 octobre 2019

Le dimanche au déjeuner avec ma fille et un petit-fils, il y aura du poulet, des pommes de terre sautées et des haricots verts. Il se trouve que l’on m’a proposé récemment un lot significatif de Laurent-Perrier Grand Siècle que je situe en fin des années 70, au vu des couleurs de la cape et de l’étiquette. Les photos ne sont pas très précises, mais j’ai confiance dans ce champagne. L’envie me prend d’en essayer une bouteille pour vérifier si j’ai fait un bon achat. Le bouchon vient facilement, accompagné d’une belle énergie du pschitt. Le bouchon est cylindrique, ce qui est logique pour l’âge que je lui prête. La couleur est assez claire d’un or joyeux. La bulle est discrète mais présente, avec de très fines bulles. Dès la première gorgée ma fille est conquise. Et je le suis aussi. Ce Champagne Laurent Perrier Grand Siècle fin des années 70 est noble et raffiné. Il a une belle énergie, et un message typé. Il ne donne que du plaisir. Il fait partie des champagnes que je trouve romantiques, car ils expriment de belles suggestions sans essayer de passer en force. Le finale est de belle intensité. C’est un vin à maturité mais qui n’a pas perdu du tout de sa vaillance. Il est au sommet de son épanouissement.

Nous l’avons bu aussi avec un brie bio un peu crémeux et il est devenu plus strict, plus policé, tout en gardant beaucoup de charme. Un achat réussi, ça s’arrose. Ah, nous venons de le faire…