Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner au restaurant L’Oiseau Blanc de l’hôtel Peninsula lundi, 26 mars 2018

Des amis du sud sont de passage à Paris. Ils logent au Peninsula et nous proposent de venir dîner avec eux au restaurant L’Oiseau Blanc de l’hôtel Peninsula. La salle du sixième étage est consacrée à l’avion qui a traversé l’Atlantique en 1927 avec Nungesser et Coli et n’est jamais arrivé et n’a jamais été retrouvé. Le chef est Christophe Raoux, Meilleur Ouvrier de France arrivé en août 2016.

La salle doit être merveilleuse lorsqu’il fait beau et lorsque l’on peut ouvrir le toit comme on le fait au restaurant Lasserre, mais en ces temps de début de printemps, le plafond paraît bas. La vue sur la Tour Eiffel magnifiquement illuminée est très belle. Pour choisir l’apéritif on me confie la carte des vins. Il y a comme dans beaucoup de ces endroits luxueux des prix qui ne concernent que quelques clients qui ne commandent que si c’est cher. Le Pétrus 2003 à 6.500 € et le Lafite 2005 à 3.500 € donnent le ton de cette partie de carte irréaliste. Ensuite, les pépites sont rares mais il y en a. La carte est bien pauvre en vins de renom que l’on aime pour leur goût. Nous allons quand même nous régaler avec de grands vins.

Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne Blanc de Blancs 2006 est une réussite. Il a une très belle personnalité consensuelle. Il est droit dans ses bottes comme on dit, pur et gastronomique. Les amuse-bouche sont délicieux et montrent un talent certain, tant les complexités sont joliment troussées.

Mon menu sera : foie gras poêlé de l’Aveyron, présenté avec diverses formes de betteraves puis ris de veau français cuit en cocotte. J’ai proposé à mon ami que nous prenions le Clos des Papes dans les deux couleurs. Le Châteauneuf-du-Pape Blanc Clos des Papes 2015 a une belle mâche. Il commence avec un peu trop d’amertume, mais c’est parce qu’il est froid, car lorsqu’il se réchauffe, le gras et l’opulence effacent l’amertume. C’est un beau blanc qui malgré tout manque un peu d’étoffe.

Il faut dire qu’à côté de lui et servi en même temps, le Châteauneuf-du-Pape Rouge Clos des Papes 2011 est un vin d’une expressivité infinie. Il est riche, il est rond, il est persuasif. Je vois peu de rouges qui donnent tant de plaisir. Même si le blanc pouvait convenir aux deux plats que j’ai choisis, le rouge domine le jeu dans les deux cas. C’est un vin de joie de vivre, droit, direct et au fruit noir débordant.

Les chairs du foie gras et du ris de veau sont spectaculairement bonnes. Bravo le chef. On aurait aimé que le foie gras soit plus dominant dans l’équilibre du plat avec les accompagnements. On aurait aimé un ris un peu moins cuit, mais ce sont des remarques à la marge, car le chef a un très grand talent.

L’ambiance est agréable, le service est très attentif. La carte des vins peut mieux faire mais le bilan de la soirée est très positif. Nous nous sommes régalés.

Huîtres et Dom Pérignon 1990 samedi, 24 mars 2018

Ma femme est allée faire des courses. Elle revient et me dit : je vais avoir besoin de toi et ça commence par un « H ». Depuis que je me suis trouvé un talent d’écailler, je sais que H veut dire huître. Je vais voir de quoi il s’agit et mon intuition est bonne. Il y a une trentaine d’huîtres car le marchand a arrondi les douzaines. Je cherche le couteau qui m’a fait découvrir que je savais ouvrir les huîtres et je commence. A la deuxième huître, la pointe d’acier se casse et je n’ai plus qu’un couteau qui ne peut pas pointer. Il y a dans le tiroir un autre couteau à huître avec lequel je n’ai jamais eu de bons résultats. La suite des évènements est un chemin de croix. Toutes des demi-minutes, je maudis ce sort contraire qui me pousse à ouvrir des huîtres avec un mauvais outil. Je ne cesse de répéter qu’un bon ouvrier ne peut agir s’il n’a pas les bons outils. Je peste, et quand je peste, ça s’entend. Ma femme m’encourage tout en disant que je radote et rongeant mon frein, j’arrive au bout de l’ouverture non sans avoir laissé en route –et pas sur les huîtres – quelques gouttes de sang.

Le plateau est prêt et l’énergie que j’ai déployée mérite, à mes yeux, d’être récompensée. J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1990. Le bouchon est coiffé par un muselet de couleur vert olive inhabituel. Le bouchon vient sans histoire avec un beau pschitt. La couleur du champagne est claire, à peine ambrée. Dès le premier contact, je suis face à une immanence. Ce champagne est parfait. Et face à la perfection, point n’est besoin d’analyser. Ce Dom Pérignon est là, parfait, et l’important est d’en jouir. Avec l’iode de l’huître, il y a une multiplication d’énergie et d’intensité. Le champagne est électrique tant il est vif. Il y a en lui des accents floraux et romantiques mais il est aussi vineux. Ce qui me fascine c’est l’équilibre et la sérénité et la profondeur du message. J’avais aimé récemment le Dom Pérignon 2009 qui me semble avoir l’âme de Dom Pérignon, mais là, avec ce 1990, je bois la gloire de Dom Pérignon. Quelle grandeur, quelle grâce. C’est la perfection du champagne de charme et de persuasion. Avec les huîtres il n’y a aucun accompagnement, seulement du pain et du beurre. Et il faut absolument boire le champagne juste après les huîtres pour que l’iode se multiplie dans le champagne. La force vineuse est là, mais c’est le charme qui triomphe.

Je me sens prêt à ouvrir d’autres huîtres, s’il y a de telles récompenses !

qu’est ce muselet Eparnix ?

Déjeuner au restaurant de l’Hôtel Saint-James jeudi, 22 mars 2018

Mon frère invite ma sœur et moi au restaurant de l’Hôtel Saint-James. Avec leurs conjoints nous serons cinq. Etant arrivé en avance, je prends au verre un Champagne Dom Pérignon 2009 que je goûte pour la première fois. C’est un très beau Dom Pérignon, tout-à-fait dans la ligne historique de Dom Pérignon. Il est frais, floral et suggère plus qu’il n’impose. Il va trouver de l’ampleur avec le temps mais il est déjà très convaincant. Je le place dans les très beaux Dom Pérignon. Il me semble que l’on est dans le droit fil de ce que Richard Geoffroy le maître de caves de Dom Pérignon veut faire de ce champagne.

Lorsque tout le monde est arrivé nous buvons un Champagne Philipponnat Brut sans année qui est agréable mais qui explore d’autres voies que le Dom Pérignon. Il se boit bien.

Dans la très jolie salle à manger je prendrai des asperges blanches et un ris de veau, fricassée de champignons et épinards, réductions de fraises et baies roses, mousse de pomme de terre. Les asperges blanches sont de petit calibre aussi la sauce fortement vinaigrée prend trop de place et étouffe un peu les asperges. Le ris de veau au contraire est un plat joyeux, goûteux et d’un bel équilibre, qui se marierait aussi bien avec un vin blanc qu’un vin rouge.

Le Chablis Premier Cru Mont de Milieu Joseph Drouhin 2014 est très justifié pour les asperges. Il n’est pas puissant mais sa finesse courtoise en fait un vin aimablement gastronomique. Il n’éclate pas mais il se boit avec plaisir.

Mon frère a choisi sur les conseils du sommelier un Saumur-Champigny La Marginale Domaine des Roches Neuves Thierry Germain 2011 qui est une heureuse surprise. Ce n’est pas un vin très large, mais il est suffisamment percutant et charpenté pour être un agréable compagnon du ris de veau.

L’hôtel Saint-James est élégant. C’est un lieu de grand confort. Le chef Jean-Luc Rocha, qui a travaillé plusieurs années à Cordeilhan Bages avec Thierry Marx est un chef qui a un talent certain. Le service est agréable. L’atmosphère est conviviale et la directrice Laure Pertusier est charmante et dirige le lieu avec doigté. Ce fut un beau repas familial.

Déjeuner au Cercle Interallié dimanche, 18 mars 2018

Déjeuner au Cercle Interallié à l’invitation d’un membre. L’immeuble qui abrite le Cercle est imposant et d’une décoration raffinée. Tout y est élégant. Nous allons dans la belle salle à manger du premier étage et pour une fois il fait beau et le soleil illumine le jardin. Nous prenons un champagne au verre. C’est le Champagne Bruno Paillard Blanc de Blancs sans année. J’ai une petite réserve que mes amis n’ont pas. Car même si ce champagne a une certaine ancienneté, même s’il est agréable, il lui manque une petite étincelle de génie. Nous commandons la même entrée, des petites asperges blanches qui seront les premières de l’année. Elles sont délicieuses. Personnellement je prends un cabillaud et mes amis du saumon.

Je suggère que nous prenions du champagne et dans la belle carte je suggère le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle. Et mes amis comprennent mes légères réserves précédentes, car ce champagne floral, romantique, a une forte personnalité. Il est très élégant et prenant. Sur les asperges il est vif et je l’apprécie aussi sur le cabillaud bien traité. Il reste du champagne pour les fromages et pour les desserts présentés sur un chariot, qui sont d’une telle tentation que toutes les résolutions s’effondrent. Le millefeuille est un délicieux péché. L’ambiance de ce Cercle est une des plus agréables qui soient.

Dom Pérignon 1969 and Cyprus 1869 shine together mercredi, 14 mars 2018

The day after the discovery of a sublime prephylloxeric unknown soldier whom I arbitrarily christened Château Margaux 1870, we are in the same formation to dine at home, my son and me. We drink the second half of Champagne Pierre Péters Blanc de Blancs Grand Cru The spirit of 2005 that really enjoyed a day of aeration more, even if the bottle was closed by a cork. The champagne is larger, fuller, and its definition is chiseled. But what we could blame this champagne is to be still too young. It is impubrious and therefore lacks a little brio. He is the perfect student, but still a virgin. He will debride himself in a few years. We nibble pies, a shiny « pâté de tête », with which the Péters behaves happily, and we decide to skip the lunch program to devote ourselves to the 1869 Cyprus wine that has remained, like champagne, clogged in a cool place. We had noticed the day before that late evening, vinegary smells had disappeared and the nasty white bubbles had evaporated. It was feared that there would be a veil on the surface of the wine as there is for the yellow wines of the Jura when they are in casks. The time has come to pour the wine and it is obviously a great uncertainty and a great emotion. Before pouring, I smell the neck and the perfume seems pure.

I pour two glasses and no piece of veil appears. The wine is pure. The color in the glasses is intense and dark but there is a nice color that is similar to that of dark whiskeys or dark brown alcohols. This color is pleasant even if it is darker than that of Cyprus 1845 which I have already opened a good fifteen times.

The nose is rich with heavy and brown fruits. In the mouth, we immediately know that we have won. The attack is of a beautiful acidity carrying freshness as if there was a lemon juice mixed with wine. Then the wine is heavy. Describe is always reductive but we can feel notes of candied grapes, prunes, coffee, some liquorice but less than in Cyprus 1845, pepper and zest suggested. The wine is heavy, greedy, and of infinite length. It is impossible to part with it. And we note that unlike the 1845, this wine is drunk as an alcohol and not as a wine. It is so powerful and heavy that you take two small glasses and that’s enough, as you would with a strong alcohol. But despite this, the acidulous freshness dominates.

My pleasure in drinking this wine is double. First of all it is delicious. We can feel that it is not totally perfect and that the decline in level that has existed for decades has dried up a bit and concentrated, but it is important to say that it is extremely pleasant, wine of great nobility that has extreme peppery freshness which is stunning.

The second pleasure is to think that if the bottle with the lowest level has these qualities, all of the Cyprus wines that I acquired are likely to be of high quality. And this pleasure is reinforced by the fact that many amateurs less patient would probably have condemned the wine that was so vilely vinegary. Financier cakes on this wine are the perfect partners.

Two emotions in a row, one with this Bordeaux unknown yesterday and the other with this superb Cyprus of 1869, is a lot. So to finish this semblance of meal I open a Champagne Bollinger Grande Année rosé 1996. The word that comes to characterize this champagne is: « noble ». He is tall but he is above all noble. The second word is « accomplished ». The consistency of this incredibly charming rosé is perfect. We cannot imagine the slightest defect in this champagne that is at the top of his art. It is a champagne of pleasure, elegant and convincing that would lend itself to beautiful gastronomic experiences.

It’s time to go to sleep and dream these paradises offered by these perfect wines.

I fell asleep smiling at the Cyprus 1869 and the beautiful Bollinger Rose 1996. The next day, everything was not so rosy. Computer problems, new requests from the tax authorities that lead to senseless loss of time and the return of the office of my industrial society, a GPS that suggests that the shortest way between Bondy and my home would be to go through Vancouver and Vladivostok . I caricature of course but I cursed this pure product of artificial intelligence that produced in me an increased anger, like the reality of the same name.

Arrived finally at home, I have time to think about what we will drink tonight. In one part of the cellar a dead light bulb leaves the shelves in the dark. Using the flashlight of my phone (progress is not always useless) I walk and I light bottles. I read Dom Pérignon 1969. My son is from 1969 and the open bottle of Cyprus is 1869. To meet two wines that a hundred years separate, it is classy. All the annoyances of the day are forgotten. Place to pleasure.

My son also arrives with a good hour late and we start to drink on the Champagne Bollinger Grande Année Brut rosé 1996 of which it remained half a bottle. The champagne has kept all its presence. The sparkling has a little weakened but vivacity remains as noble as yesterday. It is one of the great standards of rosé champagne. What we have to associate with him is not ideal. Slices of salmon barely smoked in the net are fine, in a color-on-color accord that I love. Terrines and pâtés are less adequate.

We nibble without seeking agreement and the beautiful rosé is self-sufficient. It’s time to open Dom Pérignon Champagne 1969. The bottle is very pretty in a slightly different form from the current actual bottles. The label is identical. The cape is thin and breaks into a thousand chips. The cap comes whole because I proceed extremely slowly. It is very short. There is no pschitt but the first nose that I perceive feeling the neck just after opening tells me that the champagne is great. The color is beautiful, a little amber pink gold. The nose is formidable because it is of extreme intensity. On the palate, it’s fascinating with certainty. The wine is sparkling, of course, wide, deep, with an unquenchable length. And we know immediately that we are in front of one of the largest Dom Pérignon that is. What an impression in the mouth. I would like so much that Richard Geoffroy is with us to enjoy this unreal wine. We are not at the level of 1929 which remains my biggest Dom Pérignon but we are at the level of the most beautiful years of the 1960s, which for my taste is the greatest decade of all with 1966, 1964, 1969, 1962 and 1961 which are grandiose, of memory in that order. What aromatic persistence. It’s crazy. There are yellow fruits, controlled bitterness, winy but also floral. What does it matter, it is grandissime.

So it is tempting to put champagne 1969 and Cyprus 1869 side by side. It was opened two days ago and has reached an unassailable equilibrium. What is crazy is that at the level of the attack, it is acidity and pepper that announce the freshness. Then, two seconds later, it is the heaviness of a caramelized or roasted fruit. And finally the finale is a joyous ode. This wine is huge and forms a possible pair with the champagne that still gains liveliness in contact with the liquoreux.

So the idea that we taste two bright and brilliant wines that are a hundred years apart, seems to us totally unreal. And we are happy.

(pictures are in the two articles in French)

Dom Pérignon 1969 et Chypre 1869 mercredi, 14 mars 2018

Je m’étais endormi sourire aux lèvres en pensant au Chypre 1869 et au superbe Bollinger rosé 1996. Le lendemain, tout n’a pas été aussi rose. Problèmes d’informatique, nouvelles demandes de l’administration fiscale qui entraînent des pertes de temps insensées et au retour du bureau de ma société industrielle, un GPS qui suggère que le plus court chemin entre Bondy et mon domicile serait de passer par Vancouver et Vladivostok. Je caricature bien sûr mais j’ai maudit ce pur produit de l’intelligence artificielle qui a produit en moi une colère augmentée, comme la réalité du même nom.

Arrivé enfin au logis, j’ai le temps de réfléchir à ce que nous boirons ce soir. Dans une partie de la cave une ampoule morte laisse les étagères dans l’obscurité. A l’aide de la lampe torche de mon téléphone (le progrès n’est pas toujours inutile) je me promène et j’éclaire des bouteilles. Je lis Dom Pérignon 1969. Mon fils est de 1969 et la bouteille de Chypre ouverte est de 1869. Faire se rencontrer deux vins que cent ans séparent, ça a de l’allure. Toutes les contrariétés du jour sont oubliées. Place au plaisir.

Mon fils arrive aussi avec une bonne heure de retard et nous commençons à trinquer sur le Champagne Bollinger Grande Année Brut rosé 1996 dont il restait une demi-bouteille. Le champagne a gardé toute sa prestance. Le pétillant a un peu faibli mais la vivacité reste aussi noble qu’hier. C’est un des grands étendards du champagne rosé. Ce que nous avons à lui associer n’est pas idéal. Des tranches de saumon à peine fumé dans le filet conviennent bien, dans un accord couleur sur couleur que j’adore. Les terrines et pâtés sont moins adéquats (1).

  1. Féministes de tous bords, pardonnez-moi d’avoir accordé l’adjectif sur le masculin. Ce n’est pas ma faute, c’est mon correcteur orthographique.

Nous grignotons sans chercher d’accord et le beau rosé se suffit à lui-même. Il est temps d’ouvrir le Champagne Dom Pérignon 1969. La bouteille est très jolie d’une forme légèrement différente des bouteilles actuelles. L’étiquette, elle, est identique. La cape est fine et se brise en mille copeaux. Le bouchon vient entier car je procède extrêmement lentement. Il est très court. Il n’y a pas de pschitt mais le premier nez que je perçois en sentant le goulot juste après l’ouverture m’indique que le champagne est grand. La couleur est belle, d’un or rose peu ambré. Le nez est redoutable car il est d’une intensité extrême. En bouche, c’est fascinant de certitude. Le vin est pétillant bien sûr, large, profond, à la longueur inextinguible. Et on sait tout de suite que l’on est en face d’un des plus grands Dom Pérignon qui soit. Quelle empreinte en bouche. J’aimerais tellement que Richard Geoffroy soit avec nous pour profiter de ce vin irréel. On n’est pas au niveau de 1929 qui reste mon plus grand Dom Pérignon mais on est au niveau des plus belles années de la décennie 60 qui, pour mon goût est la plus grande de toutes avec 1966, 1964, 1969, 1962 et 1961 qui sont grandioses, de mémoire dans cet ordre-là. Quelle persistance aromatique. C’est fou. Il y a des fruits jaunes, des amertumes contrôlées, du vineux mais aussi du floral. Qu’importe, il est grandissime.

Alors il est tentant de mettre côte à côte le champagne 1969 et le Chypre 1869. Il a été ouvert il y a deux jours et il a atteint un équilibre inattaquable. Ce qui est fou c’est qu’au niveau de l’attaque, c’est acidité et poivre qui annoncent la fraîcheur. Puis, deux secondes plus tard, c’est la lourdeur d’un fruit caramélisé ou torréfié. Et enfin le finale est une ode joyeuse. Ce vin est immense et forme un couple possible avec le champagne qui gagne encore en vivacité au contact du liquoreux.

Alors l’idée que nous goûtons deux vins vifs et brillants que cent ans séparent nous paraît d’une irréalité totale. Et nous sommes heureux.

Le cercle blanc n’est qu’un effet d’éclairage. On voit bien que la forme de la bouteille n’est pas tout-à-fait la même que celles des bouteilles d’aujourd’hui :

deux vins séparés de cent ans et leurs couleurs

Un fascinant Chypre 1869 mardi, 13 mars 2018

Le lendemain de la découverte d’un sublime soldat inconnu préphylloxérique que j’ai baptisé arbitrairement Château Margaux 1870, nous sommes dans la même formation pour dîner à la maison, mon fils et moi. Nous buvons la deuxième moitié du Champagne Pierre Péters Blanc de Blancs Grand Cru L’esprit de 2005 qui a vraiment profité d’un jour d’aération de plus, même si la bouteille était rebouchée. Le champagne est plus ample, plus plein, et sa définition est ciselée. Mais ce que l’on pourrait reprocher à ce champagne c’est d’être encore trop jeune. Il est impubère et de ce fait manque un peu de brio. C’est le parfait bon élève mais encore puceau. Il se débridera dans quelques années. Nous grignotons des pâtés, un fromage de tête brillant, avec lesquels le Péters se comporte joyeusement, et nous décidons de sauter la case repas pour nous consacrer au vin de Chypre 1869 qui est resté, comme le champagne, bouché dans un endroit frais. Nous avions constaté la veille qu’en fin de soirée, les odeurs vinaigrées avaient disparu et aussi que les vilaines bulles blanches s’étaient évaporées. On pouvait craindre qu’il y ait sur la surface du vin un voile comme il y en a pour les vins jaunes du Jura lorsqu’ils sont en fût. Le moment est venu de verser le vin et c’est évidemment une grande incertitude et une grande émotion. Avant de verser, je sens le goulot et le parfum semble pur.

Je verse deux verres et aucun morceau de voile n’apparaît. Le vin est pur. La couleur dans les verres est intense et foncée mais il y a une jolie couleur qui s’apparente à celle des whiskies foncés ou des alcools bruns foncés. Cette couleur est plaisante même si elle est plus sombre que celle des Chypre 1845 dont j’ai ouvert déjà une bonne quinzaine d’exemplaires.

Le nez est riche de fruits lourds et bruns. En bouche, on sait immédiatement que l’on a gagné. L’attaque est d’une magnifique acidité porteuse de fraîcheur comme s’il y avait un jus de citron mélangé au vin. Puis le vin est lourd. Décrire est toujours réduire mais on peut ressentir des notes de grains de raisin confits, de pruneaux, de café, d’un peu de réglisse mais moins que dans les Chypre 1845, de poivre et de zestes suggérés. Le vin est lourd, gourmand, et d’une longueur infinie. Il est impossible de s’en séparer. Et on constate que contrairement aux 1845, ce vin se boit comme un alcool et non pas comme un vin. Il est tellement puissant et lourd que l’on en prend deux petits verres et cela suffit, comme on le ferait d’un alcool fort. Mais malgré cela la fraîcheur acidulée domine.

Mon plaisir en buvant ce vin est double. Tout d’abord il est délicieux. On peut ressentir qu’il n’est pas totalement parfait et que la baisse de niveau qui existe depuis des décennies l’a un peu asséché et concentré, mais force est de dire qu’il est extrêmement plaisant, vin de grande noblesse qui nous époustoufle par sa fraîcheur poivrée extrême.

Le deuxième plaisir c’est de se dire que si la bouteille la plus basse a ces qualités, l’ensemble des vins de Chypre que j’ai acquis a des fortes chances d’être de haute qualité. Et ce plaisir est renforcé par le fait que beaucoup d’amateurs moins patients auraient sans doute condamné le vin qui se montrait si vilainement vinaigré. Des gâteaux financiers sur ce vin sont les partenaires parfaits.

Deux émotions de suite, l’une avec ce bordeaux inconnu hier et l’autre avec ce superbe Chypre de 1869, c’est beaucoup. Alors pour finir ce semblant de repas j’ouvre un Champagne Bollinger Grande Année rosé 1996. Le mot qui vient pour caractériser ce champagne c’est : « noble ». Il est grand mais il est surtout noble. Le deuxième mot c’est : « accompli ». La cohérence de ce rosé incroyablement charmant est parfaite. On ne peut pas imaginer le moindre défaut à ce champagne qui se montre au sommet de son art. C’est un champagne de plaisir, élégant et convaincant qui se prêterait volontiers à de belles expériences gastronomiques.

Il est temps d’aller dormir et de rêver à ces paradis que nous offrent ces vins parfaits.

Déjeuner au restaurant La Cagouille mardi, 13 mars 2018

Déjeuner au restaurant La Cagouille. J’aime l’atmosphère de ce restaurant. Le personnel est sympathique et les clients sont le plus souvent des habitués. On choisit son menu en lisant une immense ardoise sur un pupitre, qui se déplace de table en table. La carte des vins est intelligente et tarifée raisonnablement. Mon menu consistera en des pétoncles farcis et un saint-pierre. Je choisis sur la carte des vins un Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel blanc 2015. La couleur du vin est d’un jaune affirmé. Le nez est puissant et ce qui est très intéressant c’est que le vin ne fait pas du tout trop jeune. Il est bien affirmé avec un joli fruit doré, rond et puissant. Le vin est arrivé peu frais et cela lui va bien car il se montre plus gras, plus épais. Je ne m’attendais pas à tant de présence.

Le vin s’accorde naturellement avec les plats que j’ai choisis. Une tarte fine aux pommes conclut le repas. Je vais ensuite bavarder avec des habitués que je connais. Venir déjeuner à La Cagouille est une tradition que j’apprécie.

An incredible « unknown soldier » probably prephylloxeric, was immense lundi, 12 mars 2018

An incredible « unknown soldier » probably prephylloxeric, was immense

I bought a cellar which is a cave of Ali Baba, because there are wines that are part of dear desires. All are over 140 years old. The wines arrived in my cellar and I put them in areas that I organized to make me dream. Of course, when my son comes to Paris, I want urgently to show him. We spend long hours looking at the bottles and putting nearby the bottles I already had that are from the same origins. We are talking, we are like in a dream and I think of tonight’s dinner. My wife being in the south, we will be two. It is tempting to take a bottle in the new shipment and in a natural way I take the lowest of the many bottles of Cyprus 1869 wines that are one hundred years older than my son. A bottle, the only one, has a level at half height. I take it.

We need big champagne and it will be a beautiful 1973. To begin, we will take champagne more likely without risk and it will be a 2005. It lacks something else. When a young collaborator helped me organize my cellar, she had stored unidentifiable wines in specific places. In one of the places, the bottle ass that I see is likely to be from the 19th century. Depth, irregularity of the circumference of the bottom of bottle, all sign the seniority. I look at the bottle without indication. It must be a white Burgundy whose color is beautiful. Another bottle has the same bottom but not quite. That’s when I see a Bordeaux bottle infinitely smaller than the broad and Burgundian dresses, and what strikes me is the incredible finesse of the crease of the bottom of the bottle, between the cylinder and the ass. The ass is deep but everything in the bottle is frail. With the help of a lamp I try to see the color of the wine and I have a click. It is this bottle that must be chosen.

We go home and at 5 pm I open the bottles. The Bordeaux wine capsule is blue, a dragonfly blue softened by the years. And on the top of the capsule there is a marine anchor on which rests a bunch of grapes. Nothing else is visible. Classically the cork is crumbling because there is in the middle of the neck an extra thickness that strangles the cap. We must tear the plug so that it is removed. Even in crumbs we see that the quality of the cork is very beautiful. The level in the bottle is mid-shoulder. When I feel, I am surprised that there is such a generous red fruit. The promise is beautiful too is it appropriate to leave the bottle quiet in a rather cool atmosphere.

The bottle of 1869 Cyprus, which has lost nearly half of its content, has on the contact disc between the surface and the glass a myriad of white bubbles which are frankly uninviting. But it must be said that I chose the most injured of all the bottles. The cap is covered with a huge light wax hat that is cut with a knife. The cap is not two centimeters long and as often with this type of wine, it has twisted, the bottom of the cap having nothing horizontal. The cap smells of vinegar and the wine in the bottle smells of vinegar. It seems bad to me.

For the aperitif we will have small sardines, sausage, pâté, and for the dish we will have delicious ribs of lamb prepared with many spices of the south and for the continuation, we will improvise.

Pierre Péters Blanc de Blancs Grand Cru Champagne The spirit of 2005 has a color that is darker than I could imagine. The bubble is active. The champagne is beautiful, but what is it young! I lost the taste for so young champagnes. The more time passes and the more the qualities of this Blanc de Blancs are shown. It is with the sardines that it is the most alive, more than with the sausage or the pâté. It’s really a champagne of gastronomy.

My son cooks lamb chops and we taste the unknown wine. The nose evokes red fruits. It is generous. On the palate, the wine is a miracle. It has intonations of beautiful red fruits with an exemplary freshness. Its length is unreal. Immediately I think of Chateau Margaux 1928 because of the red fruits and the feminine side of the wine, but it is clear that the wine is much older, because the bottle is from the 19th century and cannot be a re-used bottle. So I’m looking for what it is. It is a wine so feminine that it evokes me a Margaux. But it has such an aromatic persistence and such freshness that it must be an eternal wine. And the idea comes to me that it could be a prephylloxeric wine. As it is necessarily the 19th century, as it has the nobility of a first grand cru classé, why not imagine that it is a Chateau Margaux 1870 or a prephylloxeric year of this castle. And that’s when I remember that I have a Château Margaux 1887 whose capsule is blue. I’ll have to go look in the cellar. But for now I want it to be a Chateau Margaux 1870. No one can contradict me, I do not try to convince anyone, but there is an important point that deserves to be reported. I drink with my son many very great wines. This is the first time I say to him during a meal: « Let’s be silent and concentrate on this wine ». I would not be far from thinking it’s the biggest Bordeaux I’ve drunk, but if I want to be objective, Mouton 1945 or Lafite 1900 have more presence. But in terms of charm, I do not see any wine that could offer such a beautiful romantic fruit associated with such length. The prephylloxeric character is felt because of the youth of the wine and especially the impression that this eternal wine would be the same if it was open in one hundred years.

My son and I are knocked out. We look at each other as two athletes who have just realized that they have finished running a marathon. We know that we have accomplished a feat. That’s what we feel. And all the more so because we do not know what we drink. This moment of grace has a particular importance.

After this unforgettable moment that justifies more than ever the risks that I took to buy bottles that are of no interest to many people, what to drink? The Cyprus wine, which had long held a belt of white bubbles, lost them. The wine looks much more pure. And there is no longer any sketch of vinegar. But after a wine as extraordinary as this Bordeaux, the Cyprus wine, even getting rid of its defects, will not shine. Also, as the aeration makes him progress, let him one more day to aerate.

I open the Charles Heidsieck Royal Charles Brut Champagne 1973. The bottle is beautiful and very original. His label is like new. The stopper breaks and even with the corkscrew it cannot be prevented that the cork bottom also breaks. The color of the champagne is magnificent; a light blond gold, the imperceptible bubble at the exit of the cap gives way to a sparkling very clear and very active. The champagne is lively, vibrant, and sharp as the blade of a samurai sword. It is huge and shows that if the champagne Péters has great qualities, it cannot fight against the effect so beneficial of age. I take some Camembert on the Royal Charles. We then nibble biscuits and chat about everything and anything.

It seems to me that we have probably never been so moved by a wine like this unknown Bordeaux with incredible red fruit and the length and freshness of the greatest wines that we have drunk.

(pictures of this dinner are in the article below)

Un incroyable « soldat inconnu » probablement préphylloxérique lundi, 12 mars 2018

J’ai acheté une cave qui est une caverne d’Ali Baba, car s’y trouvent des vins qui font partie de chers désirs. Tous ont plus de 140 ans. Les vins sont arrivés dans ma cave et je les range dans des zones que j’ai organisées pour qu’ils me fassent rêver. Bien évidemment, lorsque mon fils vient à Paris, je n’ai qu’une envie, c’est de lui montrer. Nous passons de longues heures à regarder les bouteilles et à ranger près d’elles les bouteilles que j’avais déjà et qui sont de mêmes origines. Nous parlons, nous nous extasions et je pense alors au dîner de ce soir. Ma femme étant dans le sud, nous serons deux. Il est tentant de prendre une bouteille dans le nouvel arrivage et de façon assez naturelle je prends la plus basse des nombreuses bouteilles de Chypre 1869 vins qui sont plus vieilles de cent ans que mon fils. Une bouteille, la seule, a un niveau à mi-hauteur. Je la prends.

Il faut ensuite un grand champagne et ce sera un beau 1973. Pour commencer, on prendra un champagne plus probablement sans risque et ce sera un 2005. Il manque autre chose. Lorsqu’une jeune collaboratrice m’avait aidé à organiser ma cave, elle avait stocké dans des cases des vins impossibles à identifier. Dans une des cases, le cul de bouteille que je vois a toutes chances d’être du 19ème siècle. Profondeur, irrégularité de la circonférence du bas de bouteille, tout signe l’ancienneté. Je regarde la bouteille sans indication. Ce doit être un blanc de Bourgogne dont la couleur est belle. Une autre bouteille a le même fondement mais pas tout à fait. C’est alors que je vois une bouteille bordelaise infiniment plus menue que les larges et fessues bourguignonnes, et ce qui me frappe, c’est la finesse incroyable du pli de bas de bouteille, entre le cylindre et le cul. Le cul est profond mais tout dans la bouteille est frêle. Avec l’aide d’une lampe j’essaie de voir la couleur du vin et j’ai un déclic. C’est cette bouteille qu’il faut choisir.

Nous rentrons à la maison et à 17 heures j’ouvre les bouteilles. La capsule du vin bordelais est bleue, d’un bleu de libellule adouci par les ans. Et sur le haut de la capsule il y a une ancre de marine sur laquelle repose une grappe de raisin. Rien d’autre n’est visible. Fort classiquement le bouchon vient en miettes car il y a au milieu du goulot une surépaisseur qui étrangle le bouchon. On doit donc déchirer le bouchon pour qu’il s’extirpe. Même en miettes on voit que la qualité du liège est très belle. Le niveau dans la bouteille est à mi- épaule. Lorsque je sens, je suis surpris qu’il y ait un fruit rouge aussi généreux. La promesse est belle aussi est-ce opportun de laisser la bouteille tranquille dans une atmosphère assez fraîche.

La bouteille de Chypre 1869 qui a perdu près de la moitié de son contenu a sur le disque de contact entre la surface et le verre une myriade de bulles blanches qui sont franchement peu engageantes. Mais il faut savoir que j’ai choisi la plus blessée de toutes les bouteilles. Le bouchon est recouvert d’un énorme chapeau de cire très légère qui se découpe au couteau. Le bouchon ne fait pas deux centimètres de longueur et comme souvent avec ce type de vins, il s’est twisté, le bas du bouchon n’ayant rien d’horizontal. Le bouchon sent le vinaigre et le vin dans la bouteille sent le vinaigre. Ça me paraît mal parti.

Pour l’apéritif nous aurons des petites sardines, du saucisson, du pâté, et pour le plat nous aurons de délicieuses côtes d’agneau préparées avec moult épices du midi et pour la suite, nous improviserons.

Le Champagne Pierre Péters Blanc de Blancs Grand Cru L’esprit de 2005 a une couleur qui est plus foncée que ce que je pouvais imaginer. La bulle est active. Le champagne est beau, mais qu’est-ce qu’il est jeune ! J’ai perdu le goût pour des champagnes si jeunes. Plus le temps passe et plus les qualités de ce blanc de blancs se montrent. C’est avec les sardines qu’il est le plus vif, plus qu’avec le saucisson ou le pâté. C’est vraiment un champagne de gastronomie.

Mon fils cuit les côtelettes d’agneau et nous goûtons le vin inconnu. Le nez évoque des fruits rouges. Il est généreux. En bouche, le vin est un miracle. Il a des intonations de beaux fruits rouges avec une fraîcheur exemplaire. Sa longueur est irréelle. Immédiatement je pense à Château Margaux 1928 à cause des fruits rouges et du côté féminin du vin, mais force est de constater que le vin est beaucoup plus vieux, car la bouteille est du 19ème siècle et ne peut pas être une bouteille de réemploi. Alors je cherche. C’est un vin si féminin qu’il m’évoque un margaux. Mais il a une telle persistance aromatique et une telle fraîcheur que ce doit être un vin éternel. Et l’idée me vient qu’il puisse s’agir d’un vin préphylloxérique. Comme il est forcément du 19ème siècle, comme il a la noblesse d’un premier grand cru classé, pourquoi ne pas imaginer qu’il s’agisse d’un Château Margaux 1870 ou d’une année préphylloxérique de ce château. Et c’est alors que je me souviens que j’ai un Château Margaux 1887 dont la capsule est bleue. Il faudra que j’aille la regarder en cave. Mais pour l’instant j’ai envie que ce soit un Château Margaux 1870. Personne ne pourra me contredire, je ne cherche à convaincre personne, mais il y a un point important qui mérite d’être signalé. Je bois avec mon fils de nombreux très grands vins. C’est la première fois que je lui dis en cours de repas : « taisons-nous et recueillons-nous sur ce vin ». Je ne serais pas loin de penser que c’est le plus grand bordeaux que j’aie bu, mais si l’on veut être objectif, Mouton 1945 ou Lafite 1900 ont plus de charpente. Mais au niveau du charme, je ne vois pas de vin qui pourrait offrir un si beau fruit romantique associé à une telle longueur. Le caractère préphylloxérique est ressenti à cause de la jeunesse du vin et surtout de l’impression que ce vin éternel serait le même s’il était ouvert dans cent ans.

Mon fils et moi, nous sommes KO. Nous nous regardons comme deux athlètes qui viennent de se rendre compte qu’ils ont fini de courir un Marathon. On sait qu’on a accompli un exploit. C’est ce que nous ressentons. Et c’est d’autant plus fort que nous ne savons pas ce que nous buvons. Cet instant de grâce a une importance particulière.

Après ce moment inoubliable qui justifie plus que jamais les risques que j’ai pris d’acheter des bouteilles qui n’intéressent quasiment personne, que boire ? Le vin de Chypre qui avait gardé longtemps une ceinture de bulles blanches les a perdues. Le vin paraît beaucoup plus pur. Et il n’y a plus la moindre esquisse de vinaigre. Mais après un vin aussi extraordinaire que le bordeaux, le Chypre, même débarrassé de ses défauts, ne pourra pas briller. Aussi, comme l’aération lui fait faire des progrès, laissons-lui un jour de plus à s’aérer.

J’ouvre le Champagne Royal Charles Brut Charles Heidsieck 1973. La bouteille est belle et d’une forme très originale. Son étiquette est comme neuve. Le bouchon se brise et même avec le tirebouchon on ne peut empêcher que le bas de bouchon se brise aussi. La couleur du champagne est magnifique, d’un or blond léger, la bulle imperceptible à la sortie du bouchon laisse la place à un pétillant très net et très actif. Le champagne est vif, vibrant, tranchant comme la lame d’un sabre de samouraï. Il est immense et montre que si le champagne Péters a de grandes qualités, il ne peut lutter contre l’effet si bénéfique de l’âge. Je prends un peu de camembert sur le Royal Charles. Nous grignotons ensuite des petits biscuits et nous bavardons de tout et de rien.

Il me semble que nous n’avons probablement jamais été aussi émus par un vin comme ce bordeaux inconnu aux fruits rouges invraisemblables et à la longueur et la fraîcheur des plus grands vins que nous ayons bus.

le vin de Chypre 1869 a une cassure de verre sur le goulot qui doit dater de plus d’un siècle

photos prises lorsque la bouteille est vide :

les deux bouteilles, celle du bordeaux étant vide

les côtelettes