Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner à la maison avec mon fils samedi, 17 février 2018

Mon fils fait son habituel voyage en France pour gérer les sociétés qu’il dirige. Le rituel du premier dîner chez ses parents laisse peu de place à l’improvisation. Il y aura un pâté de tête, puis un poulet avec une purée à la truffe, suivi de fromages dont un camembert Jort à boîte bois, et enfin les meringues rondes saupoudrée de fines pépites de chocolat qui nous plaisent d’autant plus que leur nom originel est interdit par le politiquement correct.

L’apéritif se prend avec une bouteille de Champagne Krug Private Cuvée probablement des années 50 au niveau très bas car le court bouchon n’a pas joué son rôle sur la durée. La bouteille en verre vert ne permettait pas d’estimer la couleur du champagne aussi est-ce une belle surprise de voir un liquide à peine ambré. Le bouchon totalement rétréci ne laissait aucune possibilité de pschitt, et le champagne au parfum discret mais droit fait nettement sentir son pétillant. L’amertume est belle, la longueur est belle tant le champagne est imprégnant. Si le champagne n’est pas parfait, il a gardé une force de persuasion. Avec le pâté de tête, on se régale.

J’ai ouvert il y a moins de deux heures une bouteille illisible, sûrement du 19ème siècle compte tenu du verre de la bouteille, de l’usure de l’étiquette, de la désagrégation de la capsule et de la charpie du bouchon. C’est franchement vieux. Le niveau est à la limite entre basse épaule et vidange et ce qui m’a surpris, c’est que l’odeur à l’ouverture soit aussi sympathique. On sent un vin qui ne demande qu’à s’ouvrir.

Il va nous manquer les deux heures d’aération supplémentaire que je n’ai pu donner. Le vin servi dans le verre a une couleur acceptable. Ce n’est pas flamboyant, mais il y a quand même des ébauches de sang de pigeon. Dans le verre, on sent beaucoup plus qu’à l’ouverture un nez de bouchon, mais qui n’altère pas la bouche. Le vin est vieux, bien sûr, mais très intéressant. Je vois poindre des évocations de fruits rouges sympathiques qui confortent mon sentiment que deux heures d’aération de plus auraient transformé ce vin en un grand vin. Sur le poulet et surtout sur la purée à la truffe, le vin se tient très bien. On oublie la trace de bouchon pour ne garder que le fruit délicat. L’étiquette est illisible mais les rares lettres que l’on croit lire pourraient faire penser qu’il s’agit d’un Gruaud-Larose # 1890.

Pour le fromage, j’ouvre une deuxième bouteille de Champagne Krug Private Cuvée probablement des années 50 dont le niveau est meilleur que celui de la première bouteille. La couleur est plus claire et le champagne est plus ensoleillé que le précédent. Les amertumes d’agrumes confits sont les mêmes, mais il y a plus de joie de vivre et de soleil dans ce deuxième champagne.

Ce que j’aime en dégustant avec mon fils c’est son ouverture d’esprit pour savoir lire au-delà des brumes d’imprécisions. Tant qu’il y a un message dans des vins anciens, il convient de l’écouter si, bien sûr, le plaisir est là. Il le fut. La ‘tête’ de ‘meringue chocolatée’ s’est mangée pour elle-même puisque le sucre n’est ami d’aucun vin. Nous avons laissé une chance à des vins d’âges canoniques. Ils nous ont remercié en exhumant de belles complexités.

Premier Krug

Bordeaux du 19ème siècle

Deuxième Krug

les deux bouchons

La Saint-Valentin au restaurant l’Ecu de France jeudi, 15 février 2018

La Saint-Valentin, c’est la Saint-Valentin, ça ne se discute pas, comme la saucisse de Morteau, le lièvre à la Royale ou la crêpe Suzette : lorsque l’on est face à face, il est interdit de se dérober. C’est ma femme qui a le choix des armes et ce sera le restaurant l’Ecu de France. On pourrait penser que nous aurions une table sans difficulté mais Madame Brousse m’annonça que le restaurant est complet et me passa au téléphone son mari qui eut la bonne réaction : « on s’arrangera ». Lorsque nous nous présentons à 20 heures, le parking du restaurant est déjà bien rempli. Monsieur Brousse nous accueille et nous dit : « je vous ai attribué la table que vous aimez ». Elle est tournée vers la Marne et malgré la nuit nous voyons que le niveau de l’eau est très élevé, ayant masqué une bonne partie du jardin. La cave a été inondée, mais comme les Brousse sont habitués aux crues hivernales, les bouteilles sont à l’abri et celle que je prendrai ce soir est impeccable.

Nous nous asseyons à notre table et le menu de la Saint-Valentin est ainsi composé : amuse-bouche, homard en habit rouge / foie gras truffé au caramel de betterave, espuma de mangue / velouté de potimaron, coquille Saint-Jacques et langoustines rôties, confiture de rose, caviar de hareng / baronnade de pigeonneau truffé, beurre Suzette au piment d’Espelette / pomme d’amour confite en coque de chocolat et praline rose, glace à la rose et au litchi.

L’idée de mettre des tons de rouge ou de rose sur tous les plats est charmante. Peter Delaboss le chef, est né en Haïti et sa cuisine généreuse s’est épanouie. Il garde ses penchants exubérants mais les plats sont très cohérents, fondés sur de bons produits. Le homard enveloppé dans de fines tranches de betteraves rouges arrive un peu froid, mais le plat est bon. Le foie gras est superbe, goûteux et gourmand, les coquilles dans le velouté sont parfaites. Le pigeon est d’une chair idéale, et le foie qui l’accompagne, très différent du premier, est d’une rare gourmandise. Quant à la pomme, elle est exquise. Tout fut grand, charmant, joyeux. C’est ce qu’il faut pour une Saint-Valentin.

Avant de commencer le repas, je prends un Champagne Bollinger sans année au verre. Comme la bouteille a été ouverte il y a un certain temps, le champagne est large et très plaisant, paraissant plus vieux que son âge ce qui lui convient. Il se boit bien.

J’ai choisi un Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2010. La bouteille arrive froide et Hervé Brousse me demande si je souhaite qu’on carafe ou qu’on réchauffe le vin. Je préfère laisser faire la nature pour que le vin s’ébroue à son rythme. Le premier contact est effectivement froid. Le nez exhale d’abord l’alcool du vin et en bouche on ne reconnaît pas le domaine. Comme une rose qui s’éveille au soleil du matin, le vin va progressivement me conquérir. Je dis « me » car je suis seul à boire. Ma femme qui a un nez pertinent pour jauger les vins sans les boire, va commenter avec moi l’éclosion du vin.

La première approche est assez dure, car le vin est froid. L’alcool est sur le devant de la scène. Ensuite viennent des fruits discrets et délicats. L’amertume est marquée, annonçant que les grappes entières sont abondantes, non éraflées. Puis progressivement, on ouvre les portes de la Romanée Conti. Le sel combiné au goût de rafle, sont les premiers marqueurs du domaine et je commence à me sentir bien. Le vin prend la bonne température et comme le chef a eu l’heureuse idée de mettre de la rose dans presque tous les plats, j’attrape au vol les beaux symboles de la Romanée Conti, la rose et le sel. Je me sens de mieux en mieux et le vin s’épanouit et devient joyeux. Attention, c’est une joie très intérieure car dans ce domaine on n’extériorise pas ses sentiments. Je bois un vin d’une rare élégance et d’une rare délicatesse. C’est si élégant et raffiné que la question de l’âge ne se pose même pas. Le vin est là, à cet instant béni par le calendrier, et mon plaisir est total.

Je verse un verre pour qu’Hervé le goûte. Hervé s’empresse d’en faire goûter à son père et je vois que le verre se retrouve sur la table d’un habitué, bien connu des Brousse.

Pour finir mon vin je demande un peu de fromage avant le dessert qui exclut tout accord et un Brie fourré à la noix est un très beau compagnon des derniers verres. C’est alors qu’arrive sur ma table un verre de Château Latour 1975 servi en demi-bouteille. C’est l’ami des restaurateurs, d’une table lointaine, qui avait goûté le bourgogne. Il me renvoie la balle avec ce bordeaux. Les deux vins ne s’excluent pas, quel que soit le sens de la dégustation. Le bordeaux est plus carré, solide, concentré. Le Grands Echézeaux a la narine plus frémissante. Le bordeaux est un seigneur en arme, le bourgogne est un poète romantique. Pour ce soir, c’est le bourgogne qui pianote de rares complexités qui emporte mon cœur, mais le Latour est un beau vin, de belle charpente et de belle vibration.

Avant de partir nous allons chaudement féliciter le chef qui a réalisé un repas très sensible, généreux, au cœur innombrable. Bravo au chef et à la famille Brousse d’avoir permis que nous passions un repas de grand bonheur.

les beaux verres gravés

Déjeuner à la maison samedi, 10 février 2018

Depuis quatre jours la France s’est parée de blanc. La neige recouvre tout et le monde entier se gausse de l’incapacité de notre beau pays à s’organiser pour que la vie continue. Les municipalités sont plus promptes à verbaliser qu’à saler les réseaux routiers. Mais on se débrouille. Ma fille cadette vient déjeuner chez moi avec ses deux enfants. Il y aura des petits fours salés et du poulet. Sans aucune idée préconçue je choisis en cave une demi-bouteille et une bouteille de vins rouges.

Le Château Pichon Baron de Longueville 1970 a un très beau niveau, à la base du goulot. A l’ouverture peu avant midi, le beau bouchon vient normalement. La première odeur est un peu fermée, avec une petite pointe d’acidité.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1964 en demi-bouteille a un niveau qui a un peu baissé mais de façon normale pour son âge. Le bouchon est très beau et bien souple. Le parfum du vin est immédiatement plaisant, réjouissant et très bourguignon. On sent déjà qu’il sera grand.

Le Château Pichon Baron de Longueville 1970 est servi presque deux heures après ouverture, ce qui a laissé peu de temps au vin pour s’épanouir. Les premières notes de ce vin sont poussiéreuses. Il y a un peu d’acidité et le vin est assez fade, sans vibration. Tout change au deuxième verre qui est servi. C’est assez incroyable car le vin offre maintenant un fruit qu’il n’avait pas auparavant. Il devient beaucoup plus généreux et son fruit me plait. Il accompagne les petits fours salés mais surtout le délicieux poulet de bien belle façon. On ne peut pas dire que c’est un grand vin car il manque de panache. Mais c’est un bon partenaire du repas. Lorsque l’année 1970 était apparue, on annonçait un très grand millésime pour les bordeaux rouges. Pendant plus de dix ans, on a attendu que ce millésime s’ouvre, et ça ne venait pas. Jamais n’ai-je entendu quelqu’un dire : « ça y est, 1970 arrive ». Il y a bien sûr quelques belles exceptions, mais on pourrait qualifier ce millésime de « rendez-vous manqué ». Nous n’avons pas boudé notre plaisir, sans cependant être émus.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1964 en demi-bouteille est beaucoup plus avenant, chaleureux, agréable. C’est le vin bourguignon accueillant, gratifiant et souriant. Il a un peu vieilli, mais il sait offrir suffisamment de charme pour qu’on l’aime. Il y a des Cortons de Bouchard qui sont beaucoup plus riches et profonds, comme le 1934, le 1947 ou le 1959, mais celui-ci est un bon compagnon de repas impromptu.

Un test intéressant est celui du repas du soir. Le Pichon a perdu de son fruit mais a gagné en opulence. Il s’oriente plus vers la truffe et devient plus imposant. C’est manifestement un vin qui a un bel équilibre et une belle prestance auquel il manque seulement une vibration que l’année 1970 ne lui donne pas.

Le Corton est devenu plus velouté. Son velours est extrêmement plaisant. C’est un vin de charme, pas totalement parfait mais de grand plaisir. Ces deux vins pris au hasard en cave se sont révélés de bonnes pioches.

Dom Ruinart et Palmer à la maison dimanche, 28 janvier 2018

Ma fille cadette vient confier ses enfants à ma femme. Elle arrive à l’heure de l’apéritif et s’apprête à repartir. Elle a suffisamment de temps pour trinquer sur un Champagne Dom Ruinart 1990. Le bouchon résiste un peu mais vient sans faire le moindre pschitt. Je suis désolé car ce champagne de 27 ans n’est pas si vieux.

Je verse le champagne et quelle n’est pas ma surprise de voir qu’il a une bulle abondante et active. Comment est-ce possible ? En bouche la bulle est vive, comme celle d’un très jeune champagne. On peut même dire que ce champagne n’a pas d’âge. Il est d’un équilibre absolu, généreux, incisif, de forte personnalité. C’est vraiment l’expression d’un champagne parfait, goûteux, très masculin, imprégnant, au finale inextinguible. Je ne m’attendais pas à autant de perfection. Sa couleur est très claire. C’est un champagne bâti pour l’éternité.

Ma fille vient reprendre ses enfants le lendemain et va déjeuner avec nous. J’ai ouvert un vin rouge près de deux heures avant le repas. Il s’agit d’un Château Palmer, Margaux 1964. Son niveau, entre mi- épaule et haute épaule est acceptable. Sous la capsule, le haut du bouchon est recouvert d’une poussière noire. Lorsque je veux piquer le tirebouchon le bouchon descend un peu aussi faut-il faire très attention pour que le tirebouchon ait une prise suffisante. Le bouchon est d’une très belle qualité. L’odeur à l’ouverture est belle et prometteuse. La couleur est d’un rouge rubis sans l’ombre d’une trace de tuilé. Le vin est jeune.

Sur un agneau aux gousses d’ail il a une énergie remarquable. Son alcool s’expose spontanément et ce qui frappe, c’est le velours de ce vin. Tout est suggéré et enveloppé. Le côté truffé et mine de crayon est marqué. Le vin est splendide et laisse à penser que tout ce qui se dit sur les vins « vieux » a besoin d’être remis en cause. Ce vin a 53 ans et il est vif, présent et chaleureux. Avec ma fille, nous nous régalons.

Le soir, j’ai fini la bouteille et le dernier verre, beaucoup plus sombre puisque la lie est présente, délivre un vin d’une richesse extrême, profond et ample. Ce 1964 est un vin serein de grande présence, un régal.

on a profité de la présence des petits-enfants pour tirer les rois, une nouvelle fois !

Déjeuner au restaurant Laurent avec les gagnants de l’énigme vendredi, 26 janvier 2018

Le déjeuner qui se tient au restaurant Laurent réunit les deux gagnants de l’énigme qui accompagnait le bulletin n° 762. Aucun de nous trois ne connaît les deux autres, ce qui fait très speed dating ! La récompense de l’énigme est de partager un Bonnes-Mares Clair Daü 1961. Lorsque j’ai pris la bouteille en cave, j’ai eu envie d’en ajouter deux autres, de la même case de rangement, car elle me tendaient les bras. Ce sont en effet deux vins dont je pense que la probabilité que les deux gagnants les aient bus est nulle et celle qu’ils connaissent les vins est aussi nulle, pour la simple raison que je ne les connais pas moi-même. J’ai donc extrapolé pour eux.

Avec les crues de la Seine j’avais anticipé des encombrements que je n’ai pas rencontrés aussi suis-je à pied d’œuvre pour ouvrir les bouteilles à 10h30. Je m’installe, je déploie mes outils, et débute la cérémonie d’ouverture non pas des jeux olympiques mais de cette phase si cruciale d’ouverture des vins. Le blanc de 1949 m’avait plu en cave car son niveau dans la bouteille est impeccable et la couleur que je devine à travers la bouteille poussiéreuse est de toute beauté. Le bouchon du blanc est de splendide qualité et si le bouchon se brise en quelques morceaux, c’est très naturel. Le nez me plait et promet des délices.

Le vin rouge de 1946 a une étiquette très noircie par le temps. Le vin est d’Antonin Rodet qui n’est pas présenté comme propriétaire, comme domaine ou comme négociant mais avec l’intitulé « Antonin Rodet Maître de Chais ». On lit cette même mention sur le haut de la capsule. Et le vin est un Côtes de Beaune Villages, avec un « S ». Bien sûr il y a l’indication « Antonin Rodet Négociant à Mercurey Saône et Loire », en tout petit en bas de l’étiquette, mais c’est Maître de Chais qui est clairement mis en valeur. Le bouchon se brise mais sans problème et l’odeur qui apparaît est celle d’un vin légèrement torréfié, sans que ce soit particulièrement gênant. J’ouvre maintenant le 1961 qui nous rassemble et le bouchon comme les précédents se brise en trois morceaux sans que cela représente un quelconque problème. Le nez est immédiatement généreux, plein, et annonce un vin riche qui va nous plaire. Je suis assez content qu’il n’y ait aucun problème majeur.

Denis arrive en avance ce qui va nous permettre de bavarder, de quoi ? De vin bien sûr. Il est né en 1985 et s’intéresse au vin. Il lit mon blog avec une assiduité qui me fait plaisir. Il a apporté un vin mais je le dissuade de l’ouvrir puisqu’il y aura suffisamment. Gilles nous rejoint à l’heure du déjeuner. Il est né en 1955 et mes deux compères sont donc de deux années splendides pour les vins. Le plus vieux vin bu par Gilles est de 1945 alors que pour Denis le plus vieux est de son année de naissance, 1985. Il va donc boire trois vins plus vieux que ses parents. J’ai commandé une demi-bouteille de Krug Grande Cuvée d’une dizaine d’année pour servir d’entrée en matière. Le champagne qui a déjà une certaine maturité est glorieux, riche, carré, droit, serein et persuasif. Les trois amuse-bouche sont talentueux. C’est avec le petit toast au poisson que le champagne s’exprime le mieux. Ce Krug est vraiment noble et excellent.

Le menu que nous prenons est le menu de saison : araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / coquilles Saint-Jacques truffées cuites à la vapeur, pleurotes, épinards et nage onctueuse au chardonnay / agneau de lait des Pyrénées grilloté aux pignes de pin, pommes de terre à la cendre / soufflé chaud à la noix de coco et citron noir.

L’araignée, plat emblématique du Laurent, est accompagnée d’un suc un peu fumé aux intonations de café ou quelque chose de similaire. Le Migieu Appellation Bourgogne Contrôlée Poulet Père & Fils 1949 a dans le verre une couleur plus foncée que celle que je percevais dans la bouteille. L’ambre est très beau. Le nez est droit et précis, convaincant. En bouche le vin offre un café qui ressemble à s’y méprendre à l’impression de café de l’araignée et ce qui assez intéressant c’est que c’est le vin qui donne de la longueur à l’araignée, et de façon plus significative que l’inverse.

Arrêtons-nous un instant sur l’étiquette. Ce qui est marqué en gros et au centre c’est Migieu en dessous on lit « Appellation Bourgogne Contrôlée ». « Poulet Père & Fils » est annoncé comme « propriétaire et négociant au château de Chorey-lès-Beaune », et l’on voit ensuite en tout petit « ancien domaine des marquis de Migieu de 1610 à la Révolution ». Avais-je déjà vu un vin qui s’appelle « Migieu » ? Jamais. Et mes complices non plus.

Ce vin fait partie intégrante de ma démarche. Certains voient en moi un buveur d’étiquettes pour la bonne raison que je bois des grands vins. Mais j’ai autant de plaisir avec ces découvertes. Ce vin très pur, droit et précis, de belle longueur et de grand équilibre accompagne parfaitement l’araignée. Il va aussi se marier avec la sauce onctueuse au chardonnay des coquilles, qui va lui apporter fraîcheur et longueur.

On peut essayer le Côtes de Beaune Villages Antonin Rodet 1946 avec la coquille Saint-Jacques car la truffe intense le permet. Le vin au début montre un peu son caractère torréfié mais très vite il gagne en fluidité. Il est riche, lourd, épais, et s’il n’a pas une palette aromatique très complexe, il se comporte très bien car il est droit et long, avec une belle persistance. Ce n’est pas un grand vin mais c’est un vin qui excite l’intérêt. Il s’est d’ailleurs bien comporté tout au long du repas, la fatigue disparaissant et la légèreté s’affinant.

Le Bonnes-Mares Grand Cru Domaine Clair-Daü Ancien Domaine Belorgey 1961 est l’objet de notre rencontre et il tient admirablement son rôle. Ce vin est un grand bourgogne. Il a toute la subtilité râpeuse des vins de Bourgogne et il a la force tranquille et la carrure du millésime exceptionnel qu’est 1961. C’est un vin glorieux, intense, profond et aussi gourmand. L’agneau rosé est idéal pour lui donner de la longueur tandis qu’un morceau de gras convient idéalement au vin de 1946.

Ce qui est intéressant c’est que le Bonnes-Mares est très nettement au-dessus des deux autres mais mes invités prennent autant de plaisir avec les deux autres qui sont des curiosités complètes. Et nous passons d’un vin à l’autre toujours avec le même plaisir.

Il reste du vin à boire aussi prenons-nous du fromage. Pour moi ce sera saint-nectaire et Brillat-Savarin. C’est ce deuxième fromage qui est de loin le plus complice du Bonnes-Mares.

Le blanc, toujours aussi fringant en fin de repas, arrive à cohabiter avec le soufflé délicieux car la noix de coco est toute douce.

En fin de compte, le bourgogne blanc est un vin parfait, précis, sans la moindre faute et n’a pas d’âge, semblant taillé pour l’éternité. Il n’a pas le coffre des plus grands mais sa précision est absolue. Le Côtes de Beaune est un peu fatigué et torréfié au début mais son message est intéressant tout au long du repas. Le Bonnes-Mares enfin est un très grand vin d’une grande année, fait par un vigneron de grand talent. Le fait que nous ayons eu autant de plaisir sur chacun des trois est évidemment un plaisir pour moi. et c’est une leçon non prévue au départ : des vins ‘fantassins’, des ‘sans grade’ peuvent susciter un réel intérêt.

La cuisine du restaurant est de grande qualité, lisible, compréhensible sans aucun chichi inutile. La coquille Saint-Jacques délicieuse est très originale. C’est le plat qui m’a le plus enthousiasmé par sa recherche de saveurs, la sauce au chardonnay mettant en valeur le blanc.

Chacun étant inconnu des deux autres, nous avons déjeuné comme si nous nous connaissions depuis toujours. C’est la magie du vin de rapprocher les amateurs.

Voilà de quoi inciter à trouver toutes mes énigmes.

Déjeuner au restaurant A Mère mardi, 23 janvier 2018

Nicolas est un gastronome averti, perfectionniste, qui est un volcan d’idées qui fusent comme en une éruption de haute magnitude. Il me propose que nous déjeunions à trois, avec un de ses amis. Il choisit le restaurant A Mère tenu par deux jeunes chefs, Mauricio Zillo et Francesco Ruggiero.

En proposant d’apporter La Petite Chapelle Hermitage Paul Jaboulet Aîné 2007, il plante le décor. Pour aller dans le sens de sa proposition j’annonce un Bourgogne Pinot Noir J.F. Coche-Dury 1995, vin générique d’une redoutable personnalité et son ami ajoute un Hermitage Cave de Tain 2007.

Le restaurant est de décoration minimaliste passepartout mais agréable. J’apprends que Nicolas est venu répéter la veille, afin d’ajuster les plats et les quantités. Il demande un champagne qu’il avait déjà repéré, un Champagne Vincent Charlot « le fruit de ma passion », blanc de noirs 1997 dégorgé en 2014. Ce champagne 100% pinot noir est extrêmement confidentiel puisque seulement 300 bouteilles ont été faites. A l’attaque on sent une assez forte acidité, et le champagne combine des notes lactées avec des notes de fruits un peu aigrelets. Si l’impression est positive, je trouve qu’il y a un certain manque d’ampleur dans le finale qui fort heureusement va disparaitre totalement sur le premier plat. Au fur et à mesure le champagne va gagner en largeur.

Le menu composé par les deux chefs sur des souhaits de Nicolas est : tempura de moules, patate douce et wasabi feuille, chou rave et escarole / artichaut à la Juive, rognons de lapin, orange sanguine, rosa di Gorizia / bar sauvage, chou-fleur, Romanesco, beurre blanc, vanille-curcuma / faux-filet de bœuf, brocoli, pleurotes, champignons / sorbet kiwi du Lot, compotée de pommes Boskoop, granité oseille / Chocolat, bergamote de Calabre, glace aux amandes, crème café.

Il y a énormément d’intelligence et de talent dans cette cuisine. Les tempuras de moule sont délicates et bien croquantes, l’artichaut est profondément goûteux, les rognons sont tendres, le bar est cuit à la perfection et le faux-filet, très concentré, est une viande expressive. Nicolas avait pris la précaution de demander des demi-portions pour chaque plat ce qui est idéal.

Sur l’entrée le champagne s’imposait et le chou rave lui a donné une longueur qu’il n’avait pas. Il s’est révélé accompli et gastronomique. J’ai eu envie d’essayer les tempuras sans aucun accompagnement sur le Bourgogne Pinot Noir J.F. Coche-Dury 1995. Ce bourgogne est ciselé. C’est une mécanique de précision. Il n’est pas large, il n’est pas puissant, il est précis et charmant. C’est un très beau bourgogne qui continuera de briller sur tous les plats. Son nez à l’ouverture était très élégant. Il est expressif et noble. Jean-François Coche-Dury a signé un grand vin.

A l’ouverture le nez de La Petite Chapelle Hermitage Paul Jaboulet Aîné 2007 était riche et voluptueux. Il est encore très séduisant. Il a des côtés généreux que l’on trouve chez Vega Sicilia Unico mais il veut sans doute en faire un peu trop. Le désir de séduction est trop visible.

Au contraire, l’Hermitage Cave de Tain 2007 joue beaucoup plus naturellement, sans prétention et délivre un discours mesuré, presque bourguignon tant il est sur un registre de délicatesse.

Sur l’artichaut, c’est le bourgogne qui est le plus adapté, sur les rognons chacun des trois rouges est acceptable sans créer de réel accord. J’aime beaucoup l’Hermitage de la Cave de Tain sur le bar mais c’est surtout sur la viande de bœuf que ce beau vin du Rhône va s’accomplir.

Nous ne voulions pas passer aux desserts sans avoir mangé de fromage aussi Nicolas est-il allé en acheter dans une boutique voisine. Le vin de Jaboulet m’a beaucoup plu sur les fromages car il a trouvé une opposition de choc qui lui manquait. Essayer de marier les desserts et les vins est un exercice de style auquel j’ai préféré ne pas me livrer, même si le cacao appelait la Petite Chapelle.

Nicolas, toujours aussi entreprenant, nous a fait apporter à chacun un verre de Liqueur d’Elixir des Pères Chartreux, dont la fonction est d’apaiser nos papilles et de préparer d’éventuelles langueurs postprandiales.

La cuisine est manifestement de grande qualité mais pour des repas de vins, je ferais enlever beaucoup de saveurs parasites qui n’apportent rien aux vins.

J’étais avec deux esthètes amoureux de vins et de bonne chère. Une revanche prochaine est prévue. Ce restaurant A Mère est une adresse à conserver et à encourager.

Le chef du restaurant Le Gabriel cuisine à la Manufacture Kaviari vendredi, 19 janvier 2018

La Manufacture Kaviari organise des « repas de chef » en invitant des chefs à venir cuisiner en inventant un menu fondé sur les caviars Kaviari. J’avais assisté à celui fait par Valérie Costa, chef de la Promesse à Ollioules et je vais assister à celui fait par Jérôme Banctel, chef du restaurant Le Gabriel situé au sein de l’hôtel La Réserve à Paris. Etant invité et sachant que l’événement est sponsorisé par la maison Billecart-Salmon, j’ai envie d’apporter un vin dont je pense qu’il s’intégrera bien dans ce type de dîner.

Nous sommes huit à dîner dont Karin Nebot directrice générale de Kaviari qui nous reçoit, Alexandre Bader représentant les propriétaires de la maison de champagne Billecart-Salmon, le directeur de La Réserve, un couple d’amateurs de bonne chère et de bons vins, un photographe qui réalise des portraits de haut intérêt et une personne qui travaille avec Karin. Arrivé en avance, on me sert un verre du Champagne Billecart-Salmon Brut Magnum sans année qui me semble fermé et amer. J’aurais tendance à l’écarter. On me sert un verre du champagne en bouteille au lieu de magnum et je ressens la même amertume, ce qui m’indique que c’est mon palais qui n’est pas réceptif. C’est un appel à goûter un peu de caviar pour remettre en place mes organes sensoriels. Le caviar Kristal Kaviari est légèrement ambré et vient de Chine. Il joue son rôle car le champagne devient plus amène, même si je trouve qu’il est quand même un peu fermé. Mais c’est un très bon accompagnateur du caviar.

Nous bavardons avec les arrivants et lorsque j’annonce à Jérôme Banctel mon apport de vin que j’imagine pouvoir cohabiter avec la volaille prévue au menu, le chef a immédiatement la bonne réaction. Il me dit qu’il fera servir la volaille d’abord sans sauce pour aller avec mon vin, puis avec sauce pour le champagne. J’aime quand on se comprend ainsi à demi-mot.

Le menu composé par Jérôme Banctel est : apéritif et caviar service à la française / œuf coque, caviar, espuma cresson / meringue, tourteau, wasabi, caviar / volaille Cour d’Armoise, coussinets d’épinard, caviar, raifort / saint-nectaire et champignons / grain de café meringué, crème glacée au sirop de merisier / mignardises.

Nous commençons à déguster le caviar Kristal avec gourmandise. Un détail mérite d’être signalé. Alors que nous avons abondamment goûté le caviar sans rien, soit sur des blinis soit juste à la cuiller en bois, je tartine un morceau de pain avec du beurre et le caviar exprime beaucoup plus de sel. Je dis à Karin : « le beurre salé donne un coup de fouet de salinité au caviar » et Karin me répond : « mais, le beurre n’est pas salé ». C’est très intéressant car le beurre bien gras a joué comme un amplificateur du sel du caviar et cela m’a beaucoup plu.

L’œuf coque est un ami naturel du caviar. J’avais peur du cresson mais en fait il est traité avec douceur et l’accord se trouve bien. A côté de l’œuf, une « mouillette » est un bâtonnet de pain épicé assez mou. J’en fais la remarque à Jérôme car j’attendais plutôt un stick ferme mais Jérôme confirme que c’est son choix.

Il est indispensable de manger chaque meringue en une seule fois pour profiter d’un accord sucré/salé très pertinent. Le wasabi et le tourteau forment avec le caviar sur la meringue un accord original très intéressant, peut-être le plus inventif du repas.

Jérôme a ajouté une surprise qui est pomme de terre, crème et caviar. La présentation de la pomme de terre est curieuse et je ne comprends pas ce plat que je me force à manger comme d’autres sans éprouver le moindre plaisir. Personne n’a osé poser de question et je n’ai pas compris ce plat que j’aurais volontiers laissé de côté.

La volaille a une chair d’une tendreté infinie et elle forme avec mon vin un accord sublime. Le Côtes du Jura Robert Jeannin 1973 a une couleur d’un or clair, beau comme une peau de pêche. Le nez exhale une noix luxuriante. Ce parfum est tout en charme. La noix du vin résonne avec la noix du caviar de parfaite façon et la chair tendre et délicate de la volaille bénit cette union. Le plat est magistral et les à-côtés sont très cohérents, même le raifort justement dosé. Le champagne et le vin du Jura se fécondent, le Côtes du Jura élargissant le champagne qui, en retour, donne au vin de la fraîcheur. Cet accord à quatre, volaille, caviar, champagne et vin, est un sommet gastronomique.

L’association entre un saint-nectaire bien moelleux et des tranches fines de champignon de Paris est aussi d’une extrême délicatesse. On peut boire aussi bien le vin que le champagne sur cet intelligent fromage.

Je tombe amoureux de la texture du dessert. Ce grain de café meringué est d’une mâche invraisemblable, marqué par la fraîcheur et la légèreté. Ce dessert est fou.

Le Champagne Billecart-Salmon Brut sans année bu soit en bouteille soit en magnum est un très agréable compagnon pour les saveurs multiples de ce dîner. Le vin du Jura a contribué à lui apporter une vibration positive supplémentaire.

La meringue au tourteau est le plat le plus original combinant sucré/salé et fraîcheur. La chair de la volaille est sublime et a porté l’accord avec le Côtes du Jura. La mâche du grain du café est d’une luxure infinie. Il suffit de ces trois merveilles pour avoir passé un dîner de haute gastronomie sur le support d’un caviar goûteux au sel remarquablement dosé.

Il faut vite revenir !

Le chef Jérôme Banctel jonglant avec le caviar (par le photographe Stéphane de Bourgies présent à ce dîner)

    

Déjeuner avec des vins de plus de 140 ans samedi, 6 janvier 2018

Nous nous retrouvons tous au petit-déjeuner dans la salle à manger. Nous évoquons bien sûr le magique dîner de la veille. Je vais me mettre à écrire le compte-rendu avant le déjeuner et Lucien-François et son épouse nous quittent. Hugues et sa fille ont l’humeur exploratrice. Hugues souhaite que je goûte les Rully blancs du domaine de la Folie dont il est actionnaire et Victoria est curieuse de goûter un « bon » Constantia.

Nous retournons fureter dans la collection de vins liquoreux d’Hugues et Victoria déniche un Constantia qui lui paraît de bonne constitution. Je le prends en mains et je pense aussi que cette bouteille devrait convenir.

Victoria aimerait goûter un vin de Chypre. L’étiquette est illisible mais par assimilation avec d’autres, c’est presque sûrement un Chypre de 1870. C’est à Hugues de vouloir que nous essayions un Rhum Saint-Martin 1864. Il y a une bouteille à moitié pleine et Victoria croit en elle. Je la regarde et je suis plus circonspect, car la couleur est d’un orangé un peu gris et l’alcool semble trouble.

Hugues serait favorable à ce qu’on ouvre une bouteille de niveau parfait mais je calme ses ardeurs car nous ne sommes que trois buveurs . En rester là me semble la sagesse. Nous remontons toutes les bouteilles et je procède aux ouvertures. Les deux Rully 2015 ont des bouchons Diam de liège reconstitué très compacts et difficiles à retirer mais qui ont bien joué leur rôle.

Le Constantia 1861 a un bouchon de belle qualité contrairement à ceux d’hier. Le parfum du vin est superbe. Ouf ! Le Chypre 1870 a aussi un beau bouchon mais qui se brise en morceaux. Un ou deux tombent dans le liquide mais ça ne m’effraie pas car la qualité du liège permettra d’éviter une déviation du vin. Le parfum du Chypre semble plus vif et plus cinglant que celui du Constantia plus doux.

Le bouchon du rhum 1864 est très court et a laissé la place à l’évaporation. Le parfum du rhum me semble poussiéreux et faible. Nous verrons.

A déjeuner nous avons un plat fait de poissons variés avec une sauce en forme de bisque. Le Rully Clos du Chaigne domaine de la Folie 2015 a un joli nez expressif. Il est plutôt doux alors que le Rully Clos Saint-Jacques domaine de la Folie 2015 est beaucoup plus tendu. Hugues, comme la délicieuse cuisinière, préfèrent le Clos du Chaigne mais je préfère le Clos Saint-Jacques plus tendu, car la douceur du précédent fait apparaître un certain manque de corps.

Le dessert au chocolat et crème de marron d’hier est idéal pour accompagner les vins doux. Le Constantia J.P. Cloete Afrique du Sud 1861 est incroyablement sucré. Il a un goût de raisins de Corinthe pressés. On dirait un Passito di Pantalleria, le muscat sicilien fort sucré de Carole Bouquet. Le Vin de Chypre 1870 au contraire est d’une grande vivacité. Il n’est pas parfait car il a une petite amertume excessive dans le finale, mais il est d’un tel charme fondé sur du poivre et de la réglisse qu’il parle à mon cœur. Il a un cousinage certain avec « mes » Chypre 1845 qui sont encore plus longs en bouche.

Les deux vins sont absolument remarquables et très différents, l’un doucereux, l’autre piquant de raffinement. Et le chocolat convient idéalement.

Victoria voulait tellement que le Rhum Saint-Martin 1864 au niveau bas soit bon que son souhait a été entendu. Tout ce qui paraissait amer a disparu et le rhum chaleureux a exposé sa rondeur, sa douceur, avec une grâce infinie.

Je ne ferai pas de classement car les trois vins ou alcools doux ont été, chacun dans son genre, des moments d’intense émotion. Cette immersion dans un trio de vins de plus de 140 ans est un grand moment de bonheur. Quel beau séjour chez des amis charmants.

Chypre 1870

Constantia 1861

Rhum 1864

le gâteau au chocolat idéal !

Dîner chez des amis avec des vins antiques samedi, 6 janvier 2018

Pendant plusieurs années j’ai été membre de l’Automobile Club de France. Des amitiés se sont nouées et il arrivait bien sûr que l’on parle de vin. Un des membres, Hugues, m’avait parlé de bouteilles anciennes qu’il a dans sa propriété du sud qui ont des analogies singulières avec des bouteilles de ma cave, des pourtours de la Méditerranée ou des îles méditerranéennes, vins liquoreux qui m’enchantent.

Vingt ans plus tard, un ami avec lequel je m’étais battu sur des circuits avec des voitures rouges recrée le contact avec Hugues. Nous déjeunons et un rendez-vous est fixé pour passer une soirée ensemble dans la demeure d’Hugues. Nous serons sept, Hugues et sa femme qui nous reçoivent, Lucien-François et son épouse, la cinquième fille d’Hugues, ma femme et moi.

Lucien-François nous rejoindra à l’apéritif du soir. J’arrive avec ma femme à l’heure du café. La demeure d’Hugues est implantée sur la place circulaire d’un village anciennement fortifié où la mairie est flanquée de la police municipale, elle-même flanquée de l’école communale. Sur l’autre façade de l’immense bastide une terrasse où nous prenons le café offre une vue sur la mer et les plaines du sud de Grasse. On voit Nice, la frontière italienne et Cannes est cachée par une colline. La famille d’Hugues vit dans cette demeure depuis quatre siècles et le panorama a changé du fait de l’urbanisation galopante de terres autrefois dévolues aux plantes aromatiques qui composent les parfums de Grasse.

La terrasse encaissée entre deux maisons me fait penser aux terrasses des maisons de Vézelay. Des orangers sont rangés le long des murs. Une orange tombée sur la pelouse me tente. Elle est légèrement acide mais délicieuse.

Nous allons maintenant nous consacrer aux vins du dîner. Hugues propose un jeune chablis mais il a lu dans mes écrits que j’aime ceux de Long-Dépaquit. Je lui demande s’il en a de vieux et il me dit qu’il a des 1966 en lesquels il n’a pas une grande confiance, les récents essais ayant été peu concluants. J’aime fanfaronner et je déclare sans avoir vu la bouteille : ce chablis sera bon. Hugues va chercher une bouteille de Chablis Moutonne Long-Dépaquit 1966. La bouteille n’a pas d’étiquette mais la capsule confirme le nom du vin. Seule l’année est absente. La couleur du vin me tente et je confirme ma fanfaronnade en disant : il sera bon.

Hugues a préparé pour les rouges un Chambolle-Musigny 1995 qui a belle allure, un Mercurey et trois Rully de la même maison de 2012, 2014 et 2016. Hugues suggère que l’on prenne un jeune Rully et je lui demande s’il en a de vieux. Il est en effet actionnaire du domaine et les dividendes versés le sont en liquide. Le plus vieux millésime qui date de sa prise de participation est 2009. Nous irons chercher un 2009 en cave. Pour compléter le programme nous descendons dans la cave qui est assez extraordinaire. Elle est voûtée, et la hauteur de la voûte dépasse les cinq mètres car ici on faisait du vin, avec une cuve de vinification pour les blancs et une pour les rouges. On dirait que le temps s’est arrêté il y a trois siècles.

Hugues a gardé des bouteilles poussiéreuses du vin local. Certaines sont vides ou quasi vides. Nous en prenons deux, une à mi-hauteur sans grand espoir et une de beau niveau et nous prenons un magnum du Rully 2009.

La séance des ouvertures commence. Le chablis a l’élégance de confirmer ma fanfaronnade, il sera grand. Le Chambolle-Musigny Guy Cocquard 1995 a un nez prometteur. Le Rully Clos de Bellecroix Cuvée Marey domaine de la Folie 2009 a un nez encore timide mais je crois en lui.

La bouteille à moitié pleine du vin local a un nez horrible. La tentation est grande de le jeter à l’évier et je vois des têtes étonnées lorsque je dis : « ne jetons pas, les miracles ne sont jamais exclus ». Ma remarque est plus pédagogique que réelle, car le vin ne sera pas buvable, mais ce qui est étonnant, c’est que toutes ses mauvaises odeurs auront disparu quelques heures plus tard.

Le dessert sera au chocolat et à la crème de marron. Il faut un vin de dessert, ce qui est un appel à aller voir la collection de vins anciens liquoreux d’Hugues. Je suis sidéré de trouver des bouteilles qui ont la même façon de poser la cire sur les bouchons, les mêmes petites étiquettes carrées et jaunies et les mêmes étiquettes de cahiers d’écoliers que les bouteilles que je possède des mêmes vins. Mais il y en a d’autres que je n’ai pas. C’est de cas du Constantia d’Afrique du Sud dont l’étiquette dit qu’il a obtenu une médaille d’or à une exposition universelle de 1855. De quand datent ces vins, c’est difficile à dire mais ce pourrait être 1861 car Hugues me montre le menu d’un repas tenu le 29 octobre 1934 qui comportait des vins de cette collection dont un Constantia 1861. Partons sur cette idée.

La tentation est grande d’essayer ce vin. Après de longues hésitations, nous prenons trois bouteilles : une totalement vide dont le vin s’est évaporé, une à moitié pleine et une totalement pleine.

J’ai envie d’ouvrir en premier la totalement vide pour l’odeur mais la fille d’Hugues préfère la garder intacte. J’ouvre ensuite celle qui est à moitié pleine. Le bouchon est conique, en forme de « V » car le goulot a lui-même cette forme conique. Le nez est fade. Le liquide que je verse dans un verre est noir, avec des morceaux de lie. Je goûte et c’est affreux, il me faut cracher au plus vite.

La bouteille de Constantia J. P. Cloete Afrique du Sud 1861 qui est pleine a un bouchon qui ne me plait pas, avec des traces noires. Et contrairement au précédent bouchon qui ne pouvait pas glisser, celui-ci tombe dans le liquide. Il faut vite carafer. Le liquide est épais et noir. Il sent mauvais. Je demande qu’on le laisse respirer sans goûter. Hélas, je constaterai après le dîner qu’il ne reviendra jamais à la vie, ayant un goût aqueux de lavasse.

Nous n’avons pas de vin de dessert. J’avais vu dans la collection des bouteilles de Sherry du Cap 1862. Nous en ouvrirons une en fin de repas avec l’accord d’Hugues.

Nous allons tous dans nos chambres nous préparer au dîner et à 20h30 nous nous retrouvons dans un agréable salon avec une cheminée qui crépite, autour d’un Champagne Pol Roger. Il est agréable et de bonne soif mais il est vite asséché. Hugues sert un chablis qu’il aime mais je le trouve dévié et je n’insiste pas.

Le menu préparé par la femme d’Hugues est : tartare de saumon sur un lit de fenouil / cuissot de sanglier aux deux purées de pomme de terre et de céleri / fromages de chèvre / dessert au chocolat et à la crème de marron.

Le Chablis Moutonne Grand Cru Long Dépaquit 1966 a une robe d’une rare jeunesse. Le nez est subtil. Ce qui est fascinant c’est que ce chablis n’a pas d’âge. Si on disait qu’il est de 2010, on ne se tromperait pas. Equilibré, serein, noble et plein, c’est un chablis parfait et le plat dans toutes ses composantes lui convient.

Le Chambolle-Musigny Guy Coquard 1995 est très agréablement construit. Il est fruité, mais il est un peu scolaire, plaisant à boire mais sans grande émotion.

Le plaisir est beaucoup plus grand avec le Rully Clos de Bellecroix Cuvée Marey domaine de la Folie 2009 qui est beaucoup plus intéressant. Il pianote ses complexités avec beaucoup de charme. Ce n’est pas un vin puissant, c’est un vin de subtilité. Le mariage avec le délicieux cuissot est idéal.

Hugues n’en revient pas car il connaît par cœur le chablis et le Rully et il constate qu’ils s’expriment infiniment mieux du fait de l’aération qu’ils ont eue pendant plus de cinq heures. Nous sommes tous heureux de faire ce constat car les trois vins se sont présentés au mieux de ce qu’ils peuvent offrir, c’est-à-dire beaucoup.

J’ouvre le Sherry du Cap 1862 et dès le premier nez je jubile. Je le fais sentir à Victoria, la fille d’Hugues et je lui dis : « un tel parfum, c’est la récompense de ma passion, c’est ce que je guette avec attention ». Le parfum est très proche de celui de mes vins de Chypre, tout en douceur.

La surprise sera avec la bouche qui n’a rien à voir avec le premier nez. Le gâteau a été fait avec du beurre salé. En buvant le Sherry, ce qui s’impose en premier, c’est le sel. Puis le vin est diablement sec en bouche et il finit sur une longueur impressionnante virevoltant sur des saveurs sèches. Cet alcool, ou plutôt ce vin car l’alcool est faible, est insaisissable et nous emmène sur des pistes inconnues. Je l’adore car il est racé. Ce qui m’étonne c’est que le nez dans les petits verres n’a rien à voir avec le nez à l’ouverture. Le doucereux fugace a disparu.

Le repas fini nous revenons au salon et Hugues nous sert un cognac maison fait par ses ancêtres. En le goûtant il me fait penser à des cognacs Hardy du 19ème siècle. Hugues me confirme qu’il s’agit très probablement d’un Cognac 1860. Il a des intonations de caramel. Il est délicieux et contribue à doper nos discussions qui se sont prolongées jusqu’à 1h30 du matin. On reconstruit le monde beaucoup mieux, un verre de cognac à la main.

Si je dois classer les vins c’est chose facile : 1 – Sherry du Cap 1862, 2 – Chablis 1966, 3 – Rully 2009.

Tous les accords ont été subtils et parfaits. Ce fut un grand repas.


le village avec la place, l’église,une rue et une grappe qui est restée sur son arbre même après des vents violents récents

la cave

deux Constantia, un « Red » et un « Frontignac » qui ont reçu une médaille d’or à l’exposition universelle à Paris en 1855

bouchon de la Constantia au goulot conique (le bouchon est tout petit)

le repas

le Sherry du Cap 1862

Déjeuner d’huîtres le 31 décembre dimanche, 31 décembre 2017

Ma dextérité toute nouvelle pour ouvrir les huîtres appelait une confirmation de mes talents. Nous allons acheter 24 huîtres pour le déjeuner du 31 décembre, que j’ouvre comme si j’avais été écailler toute ma vie. Les huîtres appellent un Champagne Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle que j’ai depuis peu en cave, car il vaut mieux en prendre un qui a encore la fougue de la jeunesse.

L’accord avec les huîtres, surtout les petites fines de claires, est d’une précision absolue. Le champagne a un citron bien affirmé, entouré d’une rondeur naissante. Il est vif, simple, facile à comprendre et parfaitement équilibré. C’est un plaisir immédiat.

Une soupe aux légumes verts sert de plat central qui préserve nos capacités futures à festoyer et le reste du Vega Sicilia Unico 1996 accompagne un Jort qui a, comme le vin rouge, profité d’une nuit pour s’épanouir.

Le Vega Sicilia Unico, c’est l’apparition de la Vierge Noire de Montserrat. La nuit l’a amplifié, sanctifié oserais-je dire. Il est vif, au velours puissant et je retrouve enfin cette signature que j’adore du Vega Sicilia Unico : le finale mentholé. Avec le Jort plus affiné c’est orgasmique.

Nous revenons au champagne pour finir le Jort. L’accord est moins brillant mais il est pertinent, ce beau Grand Siècle montrant déjà une belle assurance. Il s’affirme avec des notes citronnées pulpeuses. On pourrait en boire sans fin.

 

Les trois sortes d’huîtres

joli centre de table, prêt pour ce soir