Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner de surprises ! jeudi, 12 octobre 2017

Plus ça va et plus j’aime l’imprévu. C’est « étonnez-moi Benoît » de Françoise Hardy. Le fournisseur de la bouteille de Veuve Clicquot 1945 m’avait aussi vendu une bouteille de Ruinart des années 30 qu’il estimait avoir des risques de coulure. Les deux bouteilles devaient être livrées ensemble mais en fait elles furent livrées séparément. On m’appelle de la société où je reçois les vins que j’ai achetés et on me dit : « ça fuit grave ». Je vois une photo où sur mon bureau il y a une petite flaque. Je reçois la bouteille emmaillotée comme Moïse en son berceau et tout est humide, moite, avec des odeurs peu sympathiques. Moïse était incontinent. En manipulant le colis mes mains sentent et l’odeur ne me quitte pas. Je mets la bouteille encore humide dans un réfrigérateur pour la partager avec mon fils le lendemain.

Nous allons faire avec mon fils le dernier dîner de son séjour car dans les jours à venir il a d’autres dîners prévus sous d’autres cieux parisiens. Je viens par ailleurs de recevoir des achats que j’attendais depuis longtemps, venant du Danemark, aussi pour compenser la pression de l’attente, je prélève une des bouteilles reçues pour le dîner.

Le décor est planté. Je prépare les vins du dîner. Tout d’abord j’ouvre le vin prélevé sur la livraison du jour, c’est un Vega Sicilia Unico 1973 au niveau à 5 millimètres sous le bouchon, incroyable pour cet âge. Croyant le bouchon plus solide qu’il ne l’est je ne prends pas mes longues mèches mais seulement le limonadier et le bouchon se brise en deux, le bas étant normalement imprégné comme pour un vin de cet âge. Le parfum me plait, assez discret mais noble aussi vais-je faire une chose que je ne fais plus depuis longtemps, je carafe le vin dans ma plus belle aiguière, pour que mon fils goûte à l’aveugle.

J’ouvre ensuite le Champagne La Maréchale Ruinart Père & Fils Demi-Sec qu’on peut estimer des années 30 ou 40. L’acier du muselet est très résistant aussi en tournant le fil de fer, j’emporte le bouchon qui a depuis longtemps un diamètre inférieur au diamètre du goulot. Il faut nettoyer encore et encore pour enlever toutes les impuretés parasites. Le nez me surprend car il est pur.

Estimant que le Ruinart doit normalement être une catastrophe, par précaution j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1975 qui m’étonne parce que le bouchon est aussi chevillé que celui du Ruinart, le diamètre du bouchon étant devenu inférieur à celui du goulot, ce qui est l’indice d’une perte de bulle. Il est noir ce qui ne devrait pas exister pour un 1975.

Nous passons à table. Le début du repas est au foie gras d’un producteur que nous aimons. Je sers le Ruinart. La couleur est belle et ne deviendra sombre que pour les derniers verres versés. Le nez est pur. En bouche le vin est étonnant. Il est précis, chaleureux, joyeux et il m’étonne au plus haut point. Il est nettement meilleur que le Veuve Clicquot 1945 alors qu’il ne restait dans la bouteille que moins d’un tiers de volume. Je souris car c’est impensable que cette bouteille clocharde, pitoyable même, délivre un si beau champagne. Jamais personne ne pourrait imaginer que cette sale bouteille pourrait se montrer aussi joyeuse et gourmande. Il n’y avait qu’un tiers de la bouteille, au mieux et dès la moitié de ce que je verse le liquide devient beaucoup plus sombre. Mais même sombre, le champagne est gourmand. Qui peut croire un tel phénomène ?

Et quand je commence à verser le Champagne Dom Pérignon 1975 dont le bouchon n’était pas sain, c’est le Ruinart qui me plait le plus, car il y a une amertume trop forte dans le Dom Pérignon. Tous les curseurs se dérèglent. Mais il y a une explication. J’avais été gêné par l’amertume du Veuve Clicquot 1945 et je suis gêné par l’amertume du Dom Pérignon 1975 et je préfère le Ruinart clochard pour une seule raison : le Ruinart est un demi-sec, donc très dosé, et c’est le dosage qui permet au champagne de garder toute sa rondeur. C’est une constatation intéressante. Le foie gras sert de docteur miracle car l’amertume du Dom Pérignon s’estompe et il devient de plus en plus agréable. L’aération est aussi un solide coach pour ce vin.

Ma femme a prévu des steaks de cochon ibérique Pata Negra. Je verse le vin rouge et mon fils fait une recherche de bonne qualité. Il évoque la Californie, il évoque Vega Sicilia pour l’écarter et il cherche en dehors de France. Sa recherche est bonne et je lui dis que c’est Vega Sicilia. Il dit alors que si c’est Vega Sicilia ce doit être d’une année comme 2000. En fait il s’agit de Vega Sicilia Unico 1973. Le vin est noir, le nez est d’une délicatesse rare et mon fils a raison sur le fait qu’il n’y a pas la moindre trace d’âge. C’est quand même assez spectaculaire qu’un vin de 44 ans puisse être considéré comme n’en ayant que 17. C’est la magie de Vega Sicilia Unico. Au début je le trouve discret, calme, bien sûr avec une belle présence alcoolique, mais jouant sur la discrétion. Or si le premier morceau de viande joue sur le gras, le second joue sur le sang et ce morceau de viande propulse le Vega Sicilia à des hauteurs infinies car le sang vivifie le vin, le rendant vif et cinglant. Puis, ce morceau de viande étant remplacé par un autre, le velours du vin est apparu, impérial. Quel grand moment de ce seigneur, car le vin espagnol est noble. Il est quasi parfait car il lui manque le finale en fraîcheur mentholée que j’adore. Mais c’est un seigneur.

Rembobinons un instant le film. Il y a un Ruinart que l’on est prêt à mettre à l’évier et qui du fait de son dosage a gardé un doucereux qui le rend plaisant. Il y a un Dom Pérignon 1975 plutôt blessé car son bouchon n’a pas résisté au temps qui démarre amer et devint de plus en plus goûteux. Et il y a un Vega Sicilia Unico 1973 qui joue un peu en dedans comme un Kylian Mbappé mal réveillé et qui sur une viande grasse mais sanguine se montre aussi jeune qu’un vin de 2000. J’avoue bien humblement que pour moi, ces surprises sont des trésors. C’est le « étonnez-moi Benoît » que j’évoquais au début de ce récit. Nous avons vérifié que le camembert Jort marche aussi bien avec le Vega Sicilia qu’avec le Dom Pérignon et nous avons fini le Dom Pérignon sur des pommes cuites au four avec le sentiment d’avoir vécu un moment unique.

la cape collée au verre s’est déchirée quand j’ai voulu l’enlever, collant toujours.

les deux bouchons (le Ruinart à gauche)

Il est étonnant que la position de l’étiquette ne soit pas alignée sur le motif gravé dans le verre

le niveau est splendide

Déjeuner au restaurant Le Petit Sommelier mercredi, 11 octobre 2017

Déjeuner au restaurant Le Petit Sommelier célèbre pour sa carte des vins ample et à des prix attractifs. L’ambiance est celle d’une brasserie. Avec mon invité nous prenons des huîtres et une pièce de viande « L-Bone » à maturation longue. Je choisis un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en juillet 2013. Le champagne est typé, de forte personnalité et lorsqu’on le boit après avoir mangé une huître, c’est incroyable comme le champagne prend de l’ampleur, de la joie de vivre et du soleil. Il devient glorieux et c’est un bonheur certain de sentir une telle complémentarité. Sur la viande, le champagne se montre gastronomique mais sur un registre beaucoup plus classique. La tarte au citron du dessert est « revisitée » d’une agréable façon. Ce restaurant simple est une oasis de vins de qualité à recommander.

Veuve Clicquot 1945 or not Veuve Clicquot 1945 ? That is the question… mardi, 10 octobre 2017

Face à un vin, faut-il être indulgent ou critique ? Le problème se pose souvent avec les vins anciens. J’ai acheté une bouteille annoncée basse de Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1945. Les photos prises par le vendeur ne permettent pas de se faire une idée précise. Malgré tout je prends mon risque. Lorsque je reçois la bouteille envoyée par la poste, je vois que la capsule qui recouvre le bouchon a été chapeautée d’un tissu spongieux qui est humide. La bouteille a dû fuir pendant le transport. J’enlève tout ce qui recouvre la bouteille et le spectacle n’est pas très encourageant. Faire reprendre la bouteille m’entraînera dans des discussions ou des opérations qui vont coûter du temps. Je garde la bouteille. Avec qui d’autre que mon fils puis-je prendre le risque d’ouvrir ce flacon ?

C’est à l’occasion d’un dîner simple où rien n’est prévu pour le vin. Je tire le bouchon qui se casse dans le goulot. Il est extirpé au tirebouchon et ne produit aucun pschitt. La couleur est assez foncée et deviendra de plus en plus sombre lorsque l’on commencera à servir le bas de la bouteille. Le nez est assez encourageant. Et c’est maintenant que l’humeur joue son rôle. Beaucoup d’amateurs déclareraient que le vin est mort ou tout du moins fort fatigué. On pourrait s’arrêter là ou chercher ce qu’il raconte. Et sous le voile de la fatigue, tout ce qui fait un grand champagne est perceptible. Mon fils est beaucoup plus tolérant que moi. Ce qui me gêne, c’est une acidité un peu trop marquée. Sinon, les fruits présents sont beaux. A tout moment j’hésite entre le rejet et l’acceptation d’un champagne qui a encore beaucoup de choses à dire. Mon fils l’accepte. Je suis comme l’âne de Buridan. Il y a eu effectivement de beaux éclairs d’un Veuve Clicquot d’une grande année suivis de fatigues agaçantes. Alors, que dire. C’est manifestement un champagne trop fatigué mais qui raconte beaucoup plus de choses que beaucoup de champagnes sans grand intérêt (et il y en a !). Certains amateurs auraient abandonné. Nous avons eu le courage d’aller au bout, avec des lueurs qui sont la récompense des amateurs patients.

le niveau est bas

la couleur de la fin de bouteille

le camembert Jort, médecin qui soigne les champagnes

Caviars Kaviari et Valérie Costa lundi, 9 octobre 2017

Pendant l’été, nous avions été de fidèles clients du restaurant La Promesse à Ollioules tenu par Valérie Costa que je connais depuis environ dix ans, lors de sa participation à l’un de mes dîners. Je reçois un mail dont le texte est simple : « Je cuisine le caviar chez Kaviari, à la manufacture rue de l’Arsenal ». Nous répondons favorablement à cette sympathique invitation, sans savoir vraiment ce qui va se passer, et ma femme et moi nous nous présentons dans le 4ème arrondissement à la Manufacture Kaviari dont la devanture est d’une grande discrétion. Il y a juste en façade un esturgeon recroquevillé qu’on ne reconnaît que si l’on fait attention. Lorsqu’on passe la porte il y a un bureau avec de charmantes personnes et on se demande si c’est bien là. Je prononce le nom de Valérie Costa. Les sourires s’éclairent et on nous montre la direction d’un très long couloir. Nous arrivons dans une pièce dont la décoration moderne évoque les pays scandinaves. Ma femme pense immédiatement à Noma le célèbre restaurant danois. Tout ici est joli, accueillant et sympathique. Valérie et son mari Jean Marc nous saluent. Valérie est au fourneau, avec les ingrédients qu’elle va marier ce midi et deux imposantes boîtes de caviar trônent sur le plan de travail, l’une de caviar Kristal qui est relativement clair et l’autre de caviar Osciètre Prestige, beaucoup plus foncé.

Le compagnon du repas sera le Champagne Billecart-Salmon Brut réserve que l’on nous sert généreusement. La table est de dix personnes, table en bois avec des serviettes aux amusants motifs marins. Il y a Karin Nebot, la directrice générale de Kaviari qui nous reçoit, une journaliste belge, un sommelier indépendant connu pour faire de la formation à la dégustation, deux cadres du groupe LVMH en charge des vins du groupe à l’exclusion des champagnes et alcools, une spécialiste renommée des thés qui a participé à mes dîners, l’ambassadrice du champagne, Jean-Marc qui pour la première fois va profiter assis de la cuisine de sa femme sans participer au service, ma femme et moi.

Le champagne est absolument excellent, fait des trois cépages dans des proportions relativement équilibrées, dosé à 6 grammes, et qui me ravit par une acidité remarquablement mesurée. C’est un champagne cohérent, champagne de soif dont on ne demande qu’à en reprendre. Nous trinquons debout et rapidement nous passons à table pour une expérience que je n’avais jamais faite. Karin Nebot nous suggère de prendre le caviar sur la peau du dos de la main entre le pouce et l’index comme les vieux fumeurs qui prisaient le tabac. Cette approche du caviar est d’une grande pureté et donne au caviar encore plus de présence naturelle que lorsqu’on le prend à la cuiller. Le caviar est un peu salé et lorsque le palais s’habitue notamment avec du pain, le caviar retrouve un bel équilibre. Il est opulent et bien typé. C’est le Kristal de couleur gris foncé. Il est long en bouche et donne de la longueur au champagne qui en a déjà naturellement.

Le menu composé par Valérie Costa est : langoustines mi- cuites, agrumes et caviar Kristal / œuf de poule basse température, noisettes du Piémont, caviar Osciètre / poulpe, truffe, parmesan, fregola crémeuse / chocolat, fleur d’huile d’olive et or, caviar osciètre.

Valérie rappelle que le plat de langoustine a été inventé pour un de nos dîners ma femme et moi chez elle. Nous le reconnaissons avec bonheur. Comme pour le plat suivant il y a deux lectures possibles. Soit on le lit comme un plat et on est frappé par son équilibre et la justesse de l’agrume, soit on le lit en fonction du caviar et la langoustine aurait mérité d’être nue, sans l’accompagnement car il aurait trouvé sur la langoustine pure une longueur plus grande. Le plat est délicieux, le caviar est délicieux, mais l’agrume n’a pas joué le rôle de multiplicateur.

Le plat suivant est aussi gourmand, la noisette délicieuse, mais pour mon goût c’est le blanc de l’œuf seul, plus que le reste du plat, qui est le vecteur de la longueur du caviar très précis. C’est pour cela qu’il faut avoir les deux lectures, le plat pour la gourmandise gastronomique et isoler le blanc d’œuf pour trouver la profondeur absolue du caviar.

Le plat de poulpe participe à la renommée de Valérie car ce plat qu’elle adore faire est gourmand et construit. Beaucoup d’amateurs se demandent comment le poulpe peut être aussi bon. Il faut dire aussi que la truffe est abondante et cette truffe d’automne est diablement goûteuse et longue en bouche.

Nous nous levons de table pour aller contempler Valérie distillant les grains de caviar sur un gâteau au chocolat. L’exercice est particulièrement osé, et Valérie le réussit brillamment. Qui pourrait dire que chocolat et caviar cohabitent ? On sent clairement le sel du caviar et la douceur du chocolat mais ce qui nous subjugue c’est qu’aucune composante du plat ne nuit à aucune autre. On dirait de Valérie qu’elle est audacieuse. Elle l’est et elle a réussi.

Sans nul doute le dessert a la prime de l’audace et de l’originalité, et le poulpe a la prime de la gourmandise. Pendant ce repas, l’imposante boîte de caviar circulait autour de la table. Avec du pain et du beurre, le caviar exprime toutes ses qualités.

Grâce à la décoration de cette pièce chaleureuse, grâce au choix des convives, l’ambiance a été particulièrement agréable. Karine Nebot reçoit périodiquement des chefs qui viennent cuisiner ses caviars. C’est la première fois qu’elle accueille un chef femme et elle en est ravie. Nous aussi car Valérie nous a régalé avec une cuisine gourmande et raffinée et surtout d’une pertinente audace. Bravo Valérie.

les caviars

les ingrédients

la fontaine à caviar (virtuelle)

photo avec Karin Nebot DG de Kaviari

Valérie Costa expliquant son dessert

Anniversaire en famille samedi, 7 octobre 2017

C’est l’anniversaire de ma fille cadette ou du moins les préliminaires de son anniversaire car nous le fêterons à nouveau quand mon fils venant de Miami sera présent. Ma femme a prévu des choses simples. A l’apéritif, une mimolette un peu âgée et une tarte aux oignons avec des tranches de fromage de chèvre qui donnent à la tarte, à la cuisson, l’image de la planète du petit Prince. Les tranches rondes sont comme des pustules évoquant les volcans de la planète de Saint-Exupéry. Il y aura ensuite deux poulets accompagnés d’une purée et de fausses frites, fines tranches de pommes de terre délicieuses et croquantes, puis des fromages.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1971 a un bouchon de belle qualité qui vient assez facilement. Le pschitt est faible mais le pétillant est là. La couleur est d’un orange à peine rosé. La bulle est presque absente. Le nez est pur d’un champagne vineux où l’alcool est contenu. En bouche, ce qui apparaît immédiatement est le confort et le plaisir. Ce champagne est précis, doux, velouté, évoquant des fruits oranges, comme la couleur du vin, tels la pêche et l’abricot. Tout en ce champagne est sympathique. Il est confortable, rassurant. Bien sûr il n’a pas la complexité des champagnes plus typés mais il a une cohérence et une fluidité qui en font un champagne de vrai plaisir. C’est un plaisir franc et direct que nous offre ce Moët. Il y a un peu de râpe, liée à l’alcool, mais c’est le fruit doux et doucereux qui est porteur de plaisir. Sa seule limite est une légère monotonie dans un message un peu trop constant. Ma fille l’a beaucoup aimé ce qui est le principal.

J’avais ouvert à 17 heures un Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1974 de l’année de ma fille, acheté en pensant à elle. Le vin a un niveau à moins d’un centimètre sous le bouchon. Le bouchon se craquèle à la remontée mais vient entier. Le nez à l’ouverture était divin, expression bourguignonne subtile, racée, toute en suggestion. Au moment où je verse le vin, le parfum a gagné en puissance mais a toujours cette subtilité énigmatique de la Bourgogne. Il y a des intonations qui ressemblent à celles des vins du domaine de la Romanée Conti, tant le récit bourguignon est authentique. Il manque un peu de volume à ce vin pour qu’il exprime du velours, mais on n’en est pas loin. C’est un vin qui me séduit car il a toutes les subtilités des années discrètes. 1974 montre une fois de plus que c’est une année qui, en Bourgogne, se révèle d’une immense subtilité. Je suis très heureux que ce vin qui n’est pas tonitruant mais pianote ses subtilités soit d’une si grande précision. Il y a une profondeur dans ce vin que je n’aurais jamais attendue à ce niveau. Sa longueur défie les annales pour ce millésime.

Le dîner se poursuit avec une reine de Saba qui porte les bougies de circonstance et par une mousse au chocolat traditionnelle pour les anniversaires. Le vin et le champagne ont correspondu à mes attentes.

les bougies se soufflent

Déjeuner à l’Automobile Club de France mercredi, 4 octobre 2017

A l’invitation d’un ancien président de l’Automobile Club de France, je me rends au siège de ce prestigieux club dont j’ai eu l’honneur d’être membre pendant des années. Nous allons bavarder de vins et plus encore de vins d’âges canoniques dont le millésime commence par 18. Le lieu est toujours aussi select. Nous déjeunons dans la salle à manger des membres. Le soleil est de la partie et les hautes fenêtres le laissent percer dans la salle à manger. Il faut s’en protéger pour ne pas être aveuglé tant ses rayons d’automne sont intenses.

Le menu du cercle propose des options pour l’entrée et le plat. Nous y trouvons notre bonheur, œuf poché et pommes de terre suivi de cochon en sauce et pomme de terre. C’est une cuisine simple et goûteuse. Et le service est très attentionné. Sur proposition d’un maître d’hôtel nous buvons un Monthélie « Sous Roches » domaine Louis Jadot 2012. Sa couleur a des reflets violacés de vin jeune. Le nez est de bon aloi. En bouche le vin est fluide mais il manque de largeur. Il est bien fait mais jeune et peu étoffé. Il passe toutefois très bien sur les deux plats. Les desserts du club sont toujours gourmands. Je prends une interprétation innovante et délicieuse de la tarte Tatin.

J’ai revu avec plaisir des membres du club que je connaissais. L’ambiance y est toujours amicale et accueillante.

Dinner at restaurant L’Ecu de France in Chennevières dimanche, 1 octobre 2017

The restaurant L’Ecu de France in Chennevières has hosted family events for more than sixty years. My father had set up as an otolaryngologist at Champigny-sur-Marne shortly after my birth, and the place was one of his favorites. Directly on the Marne, in Normandy style, with a collection of earthenware that has never moved a thumb, with a monumental fireplace and old woodwork, it makes decades that I know by heart every nook of this home. I can easily imagine that it was more than a century ago that it welcomed wise family festivals or celebrations of passing love. The crinolines and greenguards should rustle along the Marne.

The Brousse family that operates the site has woven together with renowned winegrowers faithful friendships and there are on the wine list treasures that many restaurateurs and amateurs would envy. So, with my wife, we are faithful of the place that has kept its soul of yesteryear.

The chef is Haitian, cheerful, with exuberant cooking. As I know him, I can ask him to curb his vibrating talent to seek consistency with wines. Also for the red wine I want to order, the pigeon will have to forget the foie gras that accompanies it and the butter with the passion fruit perfume. It is accepted. Similarly, for blue lobster from Brittany, I ask that it be presented on a plate and that the cream of pleurotes mushrooms be served separately, whereas it is normally provided « à la nage ». These adjustments are made in good humor.

The wine that I chose is a Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2002. The bottle is opened on my arrival and the butlers of the place know that I will handle the service myself. The bottle has a nice cellar dust, the level is just under the cork. The cork is healthy and perfect. The glasses are beautiful. I feel the scent. The wine is brilliant.

The scent of wine is a rare delicacy. It is sweet. In the mouth two things are printed in my mind, velvet and coherence. Then comes a Burgundian bitterness of rare elegance. What is fascinating about this burgundy is that it synthesizes what a Chambertin graceful and feminine must be, without at any moment forcing its talent. It is there, it presents itself, and everything is equilibrium. An expression I like to use would suit him: this wine is a courteous speech.

To wait we are brought a slice of foie gras surrounded by a thousand different flavors nicely coherent. The liver itself is of high quality.

The entry arrives and it is a lobster of fine size, pure, without any frills which is on a plate while in another there is the heavy cream of oyster mushrooms. I was listened to. The lobster is tasty and its cooking is perfect. It is hardly seized and does not suffer from excessive cooking. The agreement is possible with the flesh of the lobster but it is especially on the thick consommé that the wine finds its happiness. Over time, the velvet of Chambertin refined and dominated while the Burgundian astringency was like a refrain of wine.

The pigeon is superb, sober and tasty. It is with its bleeding chew that the Chambertin finds its most beautiful vibration. We have the aristocracy of Burgundy and all the more so since the year 2002 has the discreet rhythm that allows to enjoy the subtleties of wine. Very good little vegetables calm the palate to resume the superb combination of the flesh of the pigeon with the Clos de Bèze.

The bottle ends with a Brie filled with truffle that does not create any particular agreement but does not harm the wine.

When the Haitian chef comes to greet us we laughed, for his exuberant nature has put himself at the service of wine, which I will never thank him enough.

A place full of memories, a cuisine of fine products, attentive service and a wine that I adore for its correctness of tone, what to ask for better?

Diner au restaurant L’Ecu de France à Chennevières samedi, 30 septembre 2017

Le restaurant L’Ecu de France à Chennevières a accueilli des événements familiaux depuis plus de soixante ans. Mon père s’était installé comme médecin oto-rhino à Champigny-sur-Marne peu de temps après ma naissance, et le lieu faisait partie de ses favoris. Directement sur la Marne, de style normand, avec une collection de faïences qui n’a jamais bougé d’un pouce, avec une cheminée monumentale et des boiseries anciennes, cela fait des lustres que je connais par cœur chaque recoin de cette demeure. J’imagine volontiers qu’il y a plus d’un siècle elle accueillait de sages fêtes familiales ou des célébrations d’amours passagères. Les crinolines et vertugadins devraient froufrouter le long de la Marne.

La famille Brousse qui exploite le lieu a tissé avec des vignerons renommés des amitiés fidèles et l’on trouve sur la carte des pépites que beaucoup de restaurateurs et d’amateurs envieraient. Alors, avec ma femme, nous sommes des fidèles du lieu qui a gardé son âme d’antan.

Le chef est haïtien, joyeux, à la cuisine exubérante. Comme je le connais, je peux me permettre de lui demander de freiner son talent vibrionnant pour chercher une cohérence avec les vins. Aussi pour le vin rouge que j’ai envie de commander, le pigeon devra oublier le foie gras qui l’accompagne ainsi que le beurre au fruit de la passion. C’est accepté. De même, pour le homard bleu de Bretagne, je demande qu’on le présente sur une assiette et que le velouté de pleurotes soit servi séparément, alors qu’il est normalement prévu « à la nage ». Ces ajustements se font dans la bonne humeur.

Le vin que j’ai choisi est un Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2002. La bouteille est ouverte à mon arrivée et les maîtres d’hôtel du lieu savent que je gérerai moi-même le service du vin. La bouteille a une sympathique poussière de cave, le niveau est juste sous le bouchon. Le bouchon est sain et parfait. Les verres sont de belle taille. Je sens les effluves. Le vin est brillant.

Le parfum du vin est d’une rare délicatesse. Il est doux. En bouche deux choses s’imposent dans mon esprit, le velours et la cohérence. Vient ensuite une amertume bourguignonne d’une rare élégance. Ce qui est fascinant dans ce bourgogne c’est qu’il synthétise ce que doit être un chambertin gracile et féminin, sans à aucun moment forcer son talent. Il est là, il se présente, et tout est équilibre. Une expression que j’aime employer lui conviendrait : ce vin est un discours courtois.

Pour patienter on nous apporte une tranche de foie gras entourée de milles saveurs diverses gentiment cohérentes. Le foie lui-même est de haute qualité.

L’entrée arrive et c’est un homard de belle taille, pur, sans aucune fioriture qui est sur une assiette pendant que dans une autre il y a le lourd velouté de pleurotes. On m’a écouté. Le homard est goûteux et sa cuisson et parfaite. Il est à peine saisi et ne souffre pas d’une cuisson trop souvent excessive. L’accord est possible avec la chair du homard mais c’est surtout sur le velouté épais que le vin trouve son bonheur. Au fil du temps le velours du chambertin s’affine et se montre dominant pendant que l’astringence bourguignonne est comme un refrain du vin.

Le pigeon est superbe, sobre et goûteux. C’est avec sa mâche saignante que le chambertin trouve sa plus belle vibration. On a l’aristocratie de la Bourgogne et ce d’autant plus que l’année 2002 a le rythme discret qui permet de jouir des subtilités du vin. De très bons petits légumes calment le palais pour reprendre l’accord superbe de la chair du pigeon avec le Clos de Bèze.

La bouteille se finit avec un Brie fourré à la truffe qui ne crée aucun accord particulier mais ne nuit pas au vin.

Avec le chef haïtien venu nous saluer nous avons bien ri, car sa nature exubérante a su se mettre au service du vin ce dont je ne le remercierai jamais assez.

Un lieu chargé de milles souvenirs, une cuisine de beaux produits, un service attentionné et un vin que j’adore pour sa justesse de ton, que demander de mieux ?

(du fait de l’éclairage au restaurant les photos ne sont pas très belles)

 

Dinner at restaurant Taillevent with 61 Hermitage La Chapelle jeudi, 28 septembre 2017

The story of the dinner that will follow begins with a mail that offers me a mythical bottle, which is probably the greatest red wine I drank, Hermitage La Chapelle 1961. The price is such that normally I should not follow this offer. But on the other hand it seems unthinkable to let such a bottle pass without acquiring it. As for Les Gaudichots 1929 of the domaine de la Romanée Conti, I call my friend Tomo to ask him if he wants to share this madness. Tomo agrees. We each pay our half and it is Tomo who receives the bottle in his cellar.

An appointment is made to share this wine and as two « thieves » we will compete nicely to define our complementary supplements for dinner. Tomo announces a Krug Clos du Mesnil 1979 which is the first vintage of Clos du Mesnil by Krug, a splendid bottle. I announce my desire to open the Hermitage La Chapelle 1962 to compare it to 1961. We both know that we will not stop there. During the discussion Tomo tells me of his desire to open Hermitage La Chapelle in red and white for the 1959 vintage and he says: « If we were six, I could open these bottles. » Instantly I contact some friends by telling them that they could be of this dinner, without obligation of contribution. It is natural that the answers come very quickly and I inform Tomo who has changed his mind and prefers that we are alone. For friends, disappointment follows enthusiasm and the only person who will escape this go and return promise is my younger daughter.

So we are three for a dinner at the restaurant Taillevent. We will have a choice between six bottles, the two Hermitage La Chapelle 1961 and 1962, the Krug Clos du Mesnil 1979 to which Tomo added a 1979 Cristal Roederer, a Krug Grande Cuvée with the cream label I added and a Mumm Cordon Green Half-dry probably from the 40s that I also added. Tomo joined me in the restaurant at 5.30pm for the opening of the wines and we decided to remove the Cristal Roederer and the Mumm.

Both Hermitage La Chapelle have superb levels. The colors are extremely dissimilar, the 1962 is clear with shades of pink while the 1961 is black indicating a very rich wine. The corks show that the 1962 has its original cork while the 1961 was recorked at the domaine in 2010. The two perfumes are very dissimilar. The 1962 has a subtle Burgundy nose, with delicacy while the 1961 exhales notes of rich and powerful wine. For a long time I smell the wine to try to detect if at the time of recorking one could have completed the wine with younger additions. The absolute purity of perfume convinces me that this wine is of total integrity. At least that’s what I feel.

The opening session being very fast and my daughter having to join us at 7:30, the desire exists to deceive our loneliness by opening the Champagne Louis Roederer Cuvée Cristal 1979. The cork is very dirty and molds appeared around the cork on the top of the neck. I cleaned thoroughly and the cork broke allowing me to clean even better. The level in the bottle is low. The color of the champagne is beautiful, fairly clear. The nose is neutral. In the mouth, the wine is quite bitter, with an acidity that lacks a little balance. The observation is not brilliant. But over time the champagne improves and its bitter aspects are more coherent, the wine lengthens and its astringency becomes civilized to the point that I tell Tomo that I like his champagne. It has intonations of Vin Jaune but with a sparkling present and it reminds me of some characteristics of the champagne Selosse among which the Substance.

Then come gougeres that normally highlight the champagne but it is the reverse that occurs, the gougères highlighting the defects of this champagne more than its qualities. My daughter arrives and finds this Cristal rather nice. She loves its old champagne accents.

When the chef Alain Solivérès came to greet us, we quickly built the menu that Jean-Marie Ancher
came to order in particular for the size of the portions he recommended in halves rather than whole. There will be: caviar and cress / spelled risotto with frogs’ legs / lobster / grouse.

The Champagne Krug Clos du Mesnil 1979 is a divine apparition. While the Cristal cork had produced no pschitt, the bubble of the Krug is of great vivacity. It is incredibly fine. The complexity of the champagne is stunning. There are saline notes, floral evocations but especially what fascinates me are the notes of red fruits jammed like the heart of a macaroon with red fruit. The fact that Chardonnay can evoke red fruits, is something special. The length is infinite, the directions of taste are all azimuths, we enjoy the absolute elite champagne. In a vertical of the Clos du Mesnil I had considered that the 1979 was the greatest. This one is even better than the best.

It combines well with the appetizers based on langoustine, preferring that the caviar is alone rather than with the watercress, and it gains in gluttony with the spelled risotto and the legs of frog.

The Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 and the Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 are served at the same time and in identical glasses so that the comparisons do not depend on the container. The colors are opposite, clairet and black ink, and nose too. The 1962 is very Burgundian, of a rare complexity. Everything in him is delicate and Tomo says he is feminine. The 1961 is rich, very rhodanian, with accents of truffle and small points of chocolate. The 1961 has the advantage of power, very masculine, while the 1962 is a courteous speech.

What is amusing is that the two wines go with two dishes, lobster and grouse, without it being possible to say that certain dish or part of the dish goes better with one wine. They print their mark on strong and tasty dishes without any exclusion. The lobster highlights refined notes while the grouse presented as terrine highlights the gluttony of the two wines.

With the 1961 of that day, I could enjoy the grandeur of an exceptional wine, but I did not experience the ecstasy of the previous bottle that gave me a physical emotion. The wine is tall, immense, infinite in length, but the spark of genius has not appeared and I would not put it on account of the filling in the domain.

Conversely, the 1962 is far above the 1962 that I already tasted during one of my dinners. And we agreed, my daughter, Tomo and me to say that the 1962 deserves in fact to have, of a hair, our preference because of its infinite delicacies.

At a neighboring table, the diners ordered flamed pancakes à la Grand Marnier. The mood being to enjoyment, we also command. Jean-Marie Ancher later told us that as soon as a table makes a command, envy spread like wildfire from table to table. What are we going to open with these pancakes, the Krug Grande Cuvée or the half-dry Mumm? This will be the Krug Grande Cuvée cream label that indicates a champagne thirty years or more.

We are blessed by the gods. Because the Krug is transcendental, offering a complexity almost as large as that of Clos du Mesnil, with a little more gluttony. And the echo he finds with pancakes is to be damned. It is absolute lust. I found red fruit evocations, more discreet than with the 1979, but equally charming.

At this late stage of the meal, we all look at each other and we are astonished to have had four perfectly perfect wines. The 1979 Krug is at the peak of the possible complexity of champagne. The two hermitages are at the top of the quality of red wine with decidedly different accents. And the Krug Grande Cuvée is at the very top of the aristocracy of champagne with an unparalleled gluttony and length.

Sowed by so much perfection, we promised ourselves that we would soon set the stage for new adventures.

(pictures can be seen on the article in French)

dîner au restaurant Taillevent avec Hermitage La Chapelle 1961 mercredi, 27 septembre 2017

L’histoire du fabuleux dîner qui va suivre commence par un mail qui me propose une bouteille mythique, qui est probablement le plus grand vin rouge que j’ai bu, Hermitage La Chapelle 1961. Le prix est tel que normalement je ne devrais pas suivre cette offre. Mais d’un autre côté il me paraît impensable de laisser passer une telle bouteille sans l’acquérir. Comme pour Les Gaudichots 1929 du domaine de la Romanée Conti, j’appelle mon ami Tomo pour lui demander s’il a envie de partager cette folie. Tomo accepte. Nous payons chacun notre moitié et c’est Tomo qui reçoit la bouteille dans sa cave. Un rendez-vous est pris pour partager ce vin et comme deux larrons nous allons rivaliser gentiment pour définir nos apports complémentaires pour le dîner. Tomo annonce un Krug Clos du Mesnil 1979 qui est le premier millésime du Clos du Mesnil de Krug, bouteille splendide. J’annonce mon envie d’ouvrir l’Hermitage La Chapelle 1962 pour le comparer au 1961. Nous savons l’un et l’autre que nous ne nous arrêterons pas là. Pendant la discussion Tomo me fait part du désir qu’il aurait d’ouvrir Hermitage La Chapelle en rouge et en blanc pour le millésime 1959 et il me dit : « si nous étions six, je pourrais ouvrir ces bouteilles ». Instantanément je contacte quelques amis en leur disant qu’ils pourraient être de ce dîner, sans obligation d’apport. Les réponses viennent très vite et j’en informe Tomo qui se ravise et préfère que nous soyons seuls. Pour les amis, la déception fait suite à l’enthousiasme et la seule personne qui échappera à cet aller et retour de promesse est ma fille cadette.

Nous sommes donc trois à dîner au restaurant Taillevent. Nous aurons le choix entre six bouteilles, les deux Hermitage La Chapelle 1961 et 1962, le Krug Clos du Mesnil 1979 auquel Tomo a ajouté un Cristal Roederer 1979, un Krug Grande Cuvée à l’étiquette crème que j’ai ajouté et un Mumm Cordon Vert demi-sec probablement des années 40 que j’ai aussi ajouté. Tomo me rejoint au restaurant à 17h30 pour l’ouverture des vins et nous décidons d’écarter le Cristal Roederer et le Mumm.

Les deux Hermitage La Chapelle ont des niveaux superbes. Les couleurs sont extrêmement dissemblables, le 1962 est clairet avec des tons de rose tandis que le 1961 est noir indiquant un vin très riche. Les bouchons montrent que le 1962 a son bouchon d’origine alors que le 1961 a été rebouché au domaine en 2010. Les deux parfums sont très dissemblables. Le 1962 a un nez bourguignon subtil, tout en délicatesse alors que le 1961 exhale des notes de vin riche et puissant. Pendant longtemps je hume le vin pour essayer de détecter si au rebouchage on aurait pu compléter le vin avec des ajoutes plus jeunes. La pureté absolue du parfum me persuade que ce vin est d’une intégrité totale. C’est du moins ce que je ressens.

La séance d’ouverture étant très rapide et ma fille devant nous rejoindre à 19h30, l’envie existe de tromper notre solitude en ouvrant le Champagne Louis Roederer Cuvée Cristal 1979. Le bouchon est très sale et des moisissures sont apparues tout autour du bouchon sur le haut du col. Je nettoie consciencieusement et le bouchon se brise net ce qui me permet de nettoyer encore mieux. Le niveau dans la bouteille est bas. La couleur du champagne est belle, assez claire. Le nez est neutre. En bouche, le vin est assez amer, avec une acidité qui manque un peu d’équilibre. Le constat n’est pas brillant. Mais au fil du temps le champagne s’améliore et ses amers sont plus cohérents, le vin s’allonge et son astringence se civilise au point que je dis à Tomo que le champagne me plait. Il a des intonations de vin jaune mais avec un pétillant présent et il me rappelle certaines caractéristiques des champagnes Selosse notamment le Substance.

Arrivent alors des gougères qui normalement mettent en valeur les champagnes mais c’est l’inverse qui se produit, les gougères mettant en lumière les défauts de ce champagne plus que ses qualités. Ma fille arrive et trouve ce Cristal plutôt sympathique. Elle aime ses accents de champagne ancien.

Lorsque le chef Alain Solivérès est venu nous saluer, nous avons rapidement bâti le menu que Jean-Marie Ancher est venu mettre en ordre notamment pour la taille des portions qu’il a recommandées en moitiés plutôt qu’entières. Il y aura : caviar et cresson / risotto d’épeautre aux cuisses de grenouilles / homard / grouse.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1979 est une apparition divine. Alors que le bouchon du Cristal n’avait produit aucun pschitt, la bulle du Krug est d’une grande vivacité. Elle est incroyablement fine. La complexité du champagne est renversante. Il y a des notes salines, des évocations florales mais surtout ce qui me fascine ce sont les notes de fruits rouges confiturées comme le cœur d’un macaron au fruit. Que du chardonnay puisse évoquer des fruits rouges, c’est particulier. La longueur est infinie, les directions gustatives sont tous azimuts, nous jouissons de l’élite absolue du champagne. Dans une verticale du Clos du Mesnil j’avais considéré que le 1979 était le plus grand. Celui-ci est encore meilleur que le meilleur.

Il se marie bien avec l’amuse-bouche à base de langoustine, il préfère que le caviar soit seul plutôt qu’avec le cresson, et il gagne en gourmandise avec l’épeautre et les cuisses de grenouille.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 et l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 sont servis en même temps et dans des verres identiques pour que les comparaisons ne dépendent pas du contenant. Les couleurs sont opposées, clairet et noir d’encre, et les nez aussi. Le 1962 est très bourguignon, d’une rare complexité. Tout en lui est délicat et Tomo dit qu’il est féminin. Le 1961 est riche, très rhodanien, avec des accents de truffe et des petites pointes de chocolat. Le 1961 a l’avantage de la puissance, très masculin, alors que le 1962 est d’un discours courtois.

Ce qui est amusant à constater c’est que les deux vins vont avec les deux plats, le homard et la grouse, sans que l’on puisse dire que tel plat ou telle partie du plat va mieux avec tel vin. Ils impriment leur marque aux plats forts et goûteux sans qu’aucune exclusion n’apparaisse. Le homard met en valeur des notes raffinées alors que la grouse présentée comme en terrine fait ressortir la gourmandise des deux vins.

Les lecteurs qui seraient intéressés à lire le compte-rendu de l’extase que j’ai connue avec un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 pourront se reporter au bulletin 480 qu’ils trouveront sur mon blog dans la catégorie « bulletins » où figurent tous les bulletins. Avec le 1961 de ce jour, j’ai pu profiter de la grandeur d’un vin exceptionnel, mais je n’ai pas connu l’extase de la précédente bouteille. Le vin est grand, immense, à la longueur infinie, mais l’étincelle de génie n’est pas apparue et je ne mettrais pas cela sur le compte du rebouchage au domaine.

A l’inverse, le 1962 s’est montré très au-dessus du 1962 que j’ai déjà goûté lors d’un de mes dîners. Et nous sommes tombés d’accord, ma fille, Tomo est moi pour dire que le 1962 mérite en fait d’avoir, d’un cheveu, notre préférence du fait de ses délicatesses infinies.

A une table voisine, on a commandé des crêpes flambées au Grand Marnier. L’humeur étant à la jouissance, nous en commandons aussi. Jean-Marie Ancher nous dira plus tard que dès qu’une table en commande, l’envie se propage comme un traînée de poudre de table en table. Qu’allons-nous ouvrir avec ces crêpes, le Krug Grande Cuvée ou le Mumm demi-sec ? Ce sera le Krug Grande Cuvée étiquette crème qui indique un champagne de trente ans ou plus.

Nous sommes bénis des dieux. Car Le Krug est transcendantal, offrant une complexité presque aussi grande que celle du Clos du Mesnil, avec un peu plus de gourmandise. Et l’écho qu’il trouve avec les crêpes est à se damner. C’est de la luxure absolue. J’ai retrouvé des évocations de fruits rouges, plus discrètes qu’avec le 1979, mais tout aussi charmantes.

A ce stade bien avancé du repas, nous nous regardons tous les trois et nous sommes sidérés d’avoir eu quatre vins absolument parfaits. Le Krug 1979 est au sommet de la complexité possible du champagne. Les deux hermitages sont au sommet de la qualité du vin rouge avec des accents résolument différents. Et le Krug Grande Cuvée est tout en haut de l’aristocratie du champagne avec une gourmandise et une longueur inégalables.

Sonnés par tant de perfection nous nous sommes promis de remettre bientôt le couvert pour de nouvelles aventures.

Seule la bouteille de Mumm à droite ne sera pas bue

couleur des vins rouges; à gauche le 1962

la couleur du Krug Grande Cuvée

avec ma fille, photo prise par Tomo