L’épouse de Tomo est au Japon. Mon épouse est dans le sud. Tomo me demande si nous dinons ensemble demain. Que veut-il apporter ? Il me dit Musigny Roumier 1999. Je réponds Montrachet domaine de la Romanée Conti 2002 et un Musigny Comte de Vogüé 1978. Cette proposition force Tomo à réagir qui indique qu’il ajoutera un Dom Pérignon P3 1982. Quatre bouteilles pour deux, cela fait beaucoup. Vogue la galère. Tomo me suggère le restaurant Pages. Je téléphone au restaurant. Demain soir est complet, mais on fera en sorte, si nous ne sommes que deux, de nous accueillir.
Tomo livre ses bouteilles le matin. Je me présente à 17h30 pour ouvrir les vins. Tomo préfère une ouverture à l’avance de son Musigny plutôt qu’une ouverture au dernier moment. A l’ouverture le bouchon du Montrachet de la Romanée Conti est impressionnant de qualité et d’élasticité. Le nez du vin est superbe et promet mille merveilles. Le bouchon du Musigny Roumier est d’une qualité superbe aussi. Le nez est un peu plus discret mais racé. Je veux ouvrir le Musigny de Vogüé et Tomo arrive au restaurant. Nous regardons l’étiquette très abîmée et il apparaît que c’est un Musigny 1972. Le haut du bouchon sous la capsule a des poussières noires qui ne sentent pas la terre comme cela arrive pour les vins du domaine de la Romanée Conti. Le bouchon est noir, vient d’une pièce mais laisse quelques débris que je pêche avec un ustensile adapté. Le nez est peu engageant, mais je sens qu’il s’améliorera.
Il est 18h15, nous sommes là, pourquoi ne pas trinquer ? Tomo ouvre le Champagne Dom Pérignon P3 1982. Le parfum du champagne est d’une vivacité extrême. Il est intense, marquant, d’une rare noblesse. En bouche, le vin est vif, percutant, et j’ai l’impression que la liqueur de dosage plombe le vin. Il n’est pas trop dosé, c’est le dosage qui est trop appuyé. Il s’agit d’un grand champagne, mais on est très loin à la fois de ce qu’est Dom Pérignon et de ce qu’est le 1982 de Dom Pérignon. C’est donc un exercice de style qui nous éloigne de l’histoire de Dom Pérignon. Ayant en tête la grâce du Dom Pérignon 1982 au dégorgement d’origine, je suis obligé de dire que ce vin n’est pas pour moi Dom Pérignon. C’est un grand champagne dont le parfum est éblouissant, mais qui, en voulant être trop consensuel, passe à côté de la grâce ineffable du Dom Pérignon 1982. Bien sûr, on s’en régale.
Le menu qui nous est proposé est : pain soufflé et crème de cédrat / céviche au lieu jaune / chips de pommes de mer / pousse-pied / bœuf Ozaki en carpaccio / Saint-Jacques de Morlaix, racines, truffes noires de Vaucluse / asperges blanches du sud-ouest, encornet / asperges vertes / turbot, choux frisés et choux de Bruxelles / cochon Xintoa sauce vin rouge / Bœuf Simmental 60 jours, Galice 100 jours, bœuf Ozaki sur fonte et sur Bincho. Sur le menu que je recopie, on aoublié le caviar qui s’enroule dans une crèpe.
Le Dom Pérignon est manifestement à l’aise sur les premiers plats, mais dès qu’on fait entrer en scène le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2002, les pendules s’arrêtent. Le parfum de ce vin est intense et frais. Il n’a pas du tout la force de celui d’un montrachet. En bouche, c’est un miracle qui s’accomplit. Il y a des fleurs, des fruits roses et frais, une fraîcheur invraisemblable qui contraste avec ce que l’on attend d’un montrachet, et une présence étonnante. Le vin laisse une trace indélébile en bouche. Il ne s’agit plus de compter les caudalies, car la trace est éternelle. Nous nous regardons avec Tomo et c’est lui qui tire le premier. Il dit : c’est certainement le plus grand montrachet que j’ai bu et c’est probablement le plus grand vin blanc de ma vie. Et il va même plus loin en disant : c’est peut-être le plus grand vin, toutes catégories confondues.
Je suis fasciné par la persistance aromatique de ce vin qui prend possession du palais et ne le quitte plus. Et pour un montrachet, il n’a pas la puissance mais la grâce romantique et florale, qui combinée à cette trace indélébile en fait un vin hors du commun. J’ai bu vingt millésimes du Montrachet de la Romanée Conti et je dirais bien volontiers que c’est le plus grand de tous. Il est extraordinaire, de fraîcheur, de caractère floral, mais aussi d’intensité infinie. Je le fais goûter au chef Teshi, à son épouse et à toute l’équipe de cuisine et leurs mines s’allongent tant ils sont subjugués par la perfection de ce vin.
Le Musigny Domaine Georges Roumier 1999 a un peu de mal à passer après ce vin extra-terrestre. Son nez est grand et profond. La bouche fait un peu imprécise après le montrachet mais il suffit d’attendre car progressivement il va étaler sa grandeur. Il est grand sur les asperges vertes, grand sur le turbot, et évidemment sur les viandes qui sont son territoire naturel. Plus le temps passe, plus la noblesse et la richesse de ce vin s’affirment. Ce n’est peut-être pas le plus émouvant des Musigny, mais c’est un grand vin.
Après ce festival comment va se comporter le Musigny Comte de Vogüé 1972. Le nez imprécis à l’ouverture se montre plus civilisé. Et comme dans les contes de fées, c’est la sauce au vin rouge qui va faire de ce vin un petit miracle. J’ai fait essayer au chef Teshi la sauce au vin avec ce Musigny et l’accord est phénoménal. Plus nous avancerons dans les viandes plus le Musigny 1972 s’assemblera, donnant un message de Musigny plus orthodoxe que celui du Roumier, et lorsque j’ai versé dans mon verre la lie du 1972, j’ai eu la chance de sentir un parfum de rose d’un charme inouï. Bien sûr le vin de Vogüé n’a pas la prestance du vin de Roumier, mais il a montré des qualités que jamais à l’ouverture je n’aurais imaginées. A deux tables où j’étais connu j’ai porté un verre de ce 1972 qui fut apprécié par des connaisseurs.
Tomo et moi sommes d’accord sur le classement des vins : 1 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2002, 2 – Musigny Domaine Georges Roumier 1999, 3 – Musigny Domaine Comte de Vogüé 1972, 4 – Champagne Dom Pérignon P3 1982.
Nous nous sommes aperçus que le caviar dans son blini, qui normalement irait avec le Dom Pérignon, mais nous étions à marée basse, est divin avec le Montrachet. Nous avons vu que la truffe n’excite pas le montrachet qui est capable de flirter aussi bien avec les asperges qu’avec les viandes rouges. C’est un vin gastronomique dont la puissance s’adapte aux plats.
Le Musigny Roumier a brillé avec le turbot mais aussi avec les viandes et le de Vogüé s’est trouvé sur les viandes intenses et sur la sauce au vin qui l’a transcendé.
La cuisine du restaurant Pages est toujours aussi brillante. Les asperges vertes et blanches sont croquantes et se montrent amies des vins. Le plat le plus abouti c’est le caviar qu’on enroule dans sa petite crêpe. Les viandes sont divines. Et ce qui fait qu’on adore Pages, c’est cette atmosphère amicale, ouverte. On se sent comme en famille.
Nous avions choisi de lourds témoignages du vin français. Nous avons été comblés plus que nous le souhaitions. Le Montrachet est une illumination spectaculaire qui fait que l’on touche le paradis.
dans le menu, le caviar a été oublié !