Nous avions dîné il y a un mois, ma femme et moi, au restaurant Pages, tenu par le talentueux chef Ryuji Teshima. Nous avions tellement aimé qu’il fallait vérifier si le restaurant tient l’épreuve de la seconde fois. Nous attirons avec nous deux amis esthètes pointus en gastronomie pour dîner ensemble.
Le lieu est toujours aussi accueillant. Sur une table de la cuisine ouverte sur la salle trône un magnifique morceau de bœuf Wagyu, un Ozaki rose aux épaisses veines graisseuses. J’ai apporté un magnum de champagne que je fais mettre au frais pour qu’il se repose un peu du transport. Nous commençons par un Champagne Version Originale, blanc de blancs extra-brut Jacques Selosse dégorgé en mai 2013. Ce champagne a une forte personnalité. Il est franc, direct et emplit joyeusement la bouche. On ne sent même pas qu’il est extra-brut tant il est généreux.
Les amuse-bouche sont : riz croquants aux choux Kale / ceviche de lieu jaune / dauphine d’agneau braisé, crème au curry / pain soufflé, crème au chorizo. Ils plantent le décor, celui d’un extrême raffinement. Chaque petite bouchée est un exercice de style intelligent. Le champagne réagit bien. C’est un très beau Selosse, moins complexe qu’un Substance, mais plus aisément amical.
Le menu dégustation que nous avons pris, avec ses deux suppléments, truffe et Wagyu, est ainsi rédigé, a posteriori, puisque nous n’en savons rien : raviole du veau de lait du limousin et Wagyu, bouillon de racines au panais, bœuf Ozaki et truffes noires du Vaucluse / cromesquis de foie gras fumé, purée de topinambour à la truffe noire / langoustine et ormeau, endive caramélisée, sauce au saint-nectaire / la barbue, jus de coques et de couteaux / la poulette de Pascal Cosnet, jaune d’œuf, quinoa, poireaux, mousse à la reine des prés, truffes noires de Vaucluse / trois morceaux de bœuf : la Normande 7 semaines, Simmenthal 4 semaines de maturation et Ozaki grillé au charbon Bincho / sorbet aux agrumes, fromage blanc-noir aux pommes, mousse au chocolat et litchi, mousse aux pralines / tartelette au caramel, financier à la pistache.
Tout est impressionnant au point que sur la majorité des plats, nous sommes au niveau de trois étoiles. Va-t-on, avec ce restaurant, vivre la même histoire que celle de Pascal Barbot qui, à l’Astrance, a atteint les trois étoiles en un temps record ? Je ne serais pas éloigné de le penser, car tout est d’une grâce extrême, d’une intelligence rare, d’une grande virtuosité et goûteux à souhait. Le bouillon de panais avec l’Ozaki est merveilleux. Le cromesquis fond en bouche et change de goût à chaque seconde. C’est fantastique. La langoustine est divine et l’ormeau lui apporte beaucoup. Le jaune d’œuf qui s’éclate à côté du poulet est fondant et émouvant. Les trois morceaux de bœufs sont d’un niveau rare. De plus la présentation esthétique des plats est élégante, à la japonaise.
Le Champagne blanc de blancs extra-brut Jacques Selosse magnum Millésime 1999 dégorgé en avril 2011 marque un saut qualitatif important par rapport au beau « Version Originale ». Il a beaucoup plus d’ampleur et de largeur en bouche. Il a de beaux fruits jaunes, il est vineux, pénétrant. C’est un champagne dont la maturité est idéale. De plus, il est accessible et franc. Et le format magnum lui convient parfaitement. L’accord avec le bouillon est divin, car ils se prolongent. Avec la barbue et son jus il est aussi passionnant. Et sur le dessert, le champagne est frais, vibrant et vif. Mais globalement, ce menu ne peut pas se satisfaire d’une seul champagne. L’idéal serait d’avoir un programme comme : un champagne, puis un vin blanc de Loire ou d’Alsace suffisamment léger pour laisser s’exprimer les plats, ensuite un vin rouge énergique mais romantique, comme Rayas par exemple, puis un champagne final pour les desserts.
Ce repas fut parfait et les deux Selosse se sont bien comportés, même si une rupture de rythme eut été nécessaire avec un ou deux vins.
Un détail qui ne trompe pas : lorsque toutes les tables ont été servies, l’éclairage de la cuisine s’assombrit et il ne reste que l’énorme lampe qui surplombe le centre de la cuisine et joue l’effet d’une salamandre. Au centre de ce cône de lumière, une fleur blanche est posée dans un soliflore. C’est d’un raffinement de haute volée.
Ce restaurant a tous les atouts pour devenir un des grands restaurants de Paris, avec le couronnement suprême des trois étoiles. C’est ce que je souhaite à cette équipe très sympathique.
amuse-bouche
plats
la cuisine en fin de service : la classe