C’est un déjeuner en famille avec mon fils venu de Miami, ma fille cadette et son compagnon, ses deux enfants et sa nounou qui a logé chez nous toute la semaine pour nous régaler avec une cuisine forte d’émotion et de sentiment.
J’ai choisi des vins pour ce déjeuner en mêlant des bouteilles de belle maturité et des bouteilles qui ont un risque possible d’avoir été affaiblies par le temps ou sont en grand danger. Vers 10 heures, je commence à ouvrir un Meursault de 1942 au niveau bas dans la bouteille et à la couleur du vin qui paraît sombre. En déchirant la capsule, je vois un trou béant : le bouchon est tombé dans la bouteille. Il est difficile d’imaginer situation plus horrible. Je carafe le vin au teint un peu grisé et le nez me semble possible. Nous verrons.
J’avais pris une bouteille de Johannisberg de Sion 1962, vin présenté dans une jolie bouteille de forme alsacienne. C’est en fait un vin suisse sec dont, hélas, le parfum annonce qu’il est mort, ayant perdu le tiers de son volume. J’avais gardé la bouteille de Beaucastel Vieilles Vignes 2010 bue en partie hier au restaurant Langosteria. Il y aura donc un blanc de secours.
Le Pommard 1961 au beau niveau a un parfum idéal. Le Châteauneuf du Pape 1970 au niveau correct a un nez relativement neutre qui ne m’a pas interpellé outre mesure. J’ai ouvert suffisamment de bouteilles pour que nous trouvions notre compte, c’est du moins ce que je pense.
Mon fils a apporté des victuailles, des crèmes aux diverses saveurs et épices, du saumon fumé délicieux et surtout des bulots fantastiques. On mange généralement les bulots sur des plateaux de fruits de mer et les bulots sont posés sur des glaçons, ce qui neutralise leur goût. Alors que ces bulots, à température ambiante, sont parfaits. Avec le Champagne Dom Pérignon 1980 que j’ai ouvert il y a deux heures, l’accord est magique. Le champagne a une couleur d’un ambre profond et orangé. La bulle est faible mais le pétillant est motivant. Le champagne est large et grand, au sommet de son art. C’est un champagne superbe et glorieux.
J’avais gardé trop longtemps un saint-nectaire qui avait pris des couleurs foncées. Je me suis dit que ces saveurs avancées ressusciteraient peut-être les vins blancs fatigués. Nous mangeons ce fromage et il joue effectivement un rôle diplomatique pour adoucir le Meursault Patriarche 1942 qui à ma grande surprise se révèle plus sympathique que ce que je craignais. Il a même quelques accents charmants, au point que ma fille classera ce vin premier des vins du repas. J’en suis content car cela prouve – une fois de plus – que tous les vins méritent qu’on leur donne une chance.
Evidemment cela ne se produit pas toujours comme nous le démontre le Johannisberg de Sion 1962 qui est mort et imbuvable, ce que l’on reconnaît à un parfum qui semble définitivement bloqué. C’est donc le moment de servir le Châteauneuf-du-Pape Vieilles Vignes Château de Beaucastel 2010. Il est beau, fruité, juteux, joyeux et en même temps frais aux accents aqueux. Un vrai bonheur naturel. 24 heures de plus lui ont donné une belle largeur.
Sur deux poulets délicieux, le Pommard Naigeon-Chauveau 1961 qui avait le plus beau nez à l’ouverture montre à quel point il est velouté et charmant. C’est l’amour courtois d’un vin féminin au final riche. L’année 1961 est décidément une grande année.
Le Châteauneuf-du-Pape Clos Saint-Marc A. Estevenin 1970 a une odeur extrêmement désagréable qui ne m’avait pas frappé à l’ouverture. Le vin est désagréable et repoussant. Nous n’insistons pas. Il faut donc ouvrir un autre vin rouge pour les fromages dont un Mont d’Or séduisant. Jamais je n’aurais pensé devoir ouvrir une nouvelle bouteille.
C’est donc sur l’instant que se présente un Clos de Vougeot Méo-Camuzet 1992 qui est le vin qui, le premier, m’a fait apprécier les immenses qualités de ce domaine. Ce 1992 se présente un peu plus mature que ce que j’attendais, ayant perdu un peu de fraîcheur pour de la rondeur. C’est un vin que j’adore, aristocrate, qui profite du crémeux du Mont d’Or.
Le dessert est de sorbets qui n’appellent aucun vin.
Le soir, il ne reste que mon fils. J’ouvre une boîte de caviar osciètre de Kaviari pour un Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème qui est de la deuxième génération des Grande Cuvée. La bouteille est d’une beauté splendide. Le champagne est un peu rigide, avec une toute petite acidité, aussi il manque un peu de charme, même si c’est un grand champagne. Aujourd’hui j’ai préféré la rondeur du Dom Pérignon 1980. Ce qui vaut un jour ne vaut pas toujours. Ce qui est plus important c’est d’avoir donné des chances à tous les vins de ces deux repas, et d’avoir eu des moments passionnants.
Mon classement serait : 1 – Pommard 1961, 2 – Dom Pérignon 1980, 3 – Beaucastel Vieilles Vignes 2010, 4 – Clos de Vougeot 1992, 5 – Krug Grande Cuvée étiquette crème.
Ce fut une belle journée en famille.
on voit que le bouchon du Dom Pérignon est beaucoup plus court que celui du Krug