Archives de catégorie : vins et vignerons

Des Krug encore chez un caviste vendredi, 6 juin 2008

Des Krug encore chez un caviste

Le lendemain matin de ma visite à Reims, je publie le compte-rendu sur un forum et l’un des membres m’annonce qu’un caviste du 12ème arrondissement organise une dégustation de Krug Grande Cuvée et de Krug 1995. Alors que je viens de boire ces deux vins, j’aurais pu décliner mais je dis oui, par caprice de saisir une occasion apparemment inutile. Je rencontre le jeune amateur et le sympathique caviste qui me fait faire un tour de cave. Je repère une bouteille de Vega Sicilia 1980 qui ne me paraît pas chère, et j’ai l’idée de l’emporter pour l’ouvrir à dîner le soir même.

visite à Krug et déjeuner aux Crayères jeudi, 5 juin 2008

Lorsqu’à Vinexpo en juin 2007, dans un splendide hall musée, l’aristocratie du vin de France avait attiré ceux qui achètent ou jugent le vin, j’avais rencontré Olivier Krug à la table où le Gotha du champagne exposait ses plus beaux joyaux. Promesse de se revoir, mais, mais, dans ces grands groupes, les impératifs commerciaux déterminent les emplois du temps. Un jour de juin, près d’un an après, la fenêtre de tir entrouvre ses volets et je me présente au siège de Krug. Un jeune ambassadeur anglais me fait patienter et Olivier rejoint la salle de réunion. Il parle du vin qui porte son nom avec un enthousiasme communicatif. Tout ce qui fait l’exception de Krug m’est exposé avec passion. Nous visitons la salle de fûts dont l’âge de certains dépasse quarante ans, puis la cave imposante où dorment des trésors, et nous remontons dans une petite pièce qui évoque ce que pourrait être un petit musée de la tonnellerie. Il y a chez Krug un minimalisme qui ressemble à celui de la Romanée Conti.

Alors qu’à Dom Pérignon on m’avait entraîné vers les 1973 ou les 1959, ce sont des fioles de 2007 qui vont être dégustées. J’ai pris des notes qui ne sont que des flashs éphémères, car ces vins vont évoluer à chaque mois de leur vie. Ce qui compte surtout, c’est le chemin qui conduit à l’assemblage du champagne Grande Cuvée. Voici ce que j’ai écrit sur ces vins clairs :

Mesnil 2007 : nez de miel et de caramel, belle acidité. Très buvable, agréable, citron vert.

Villers-Marmery 2007 : nez qui est plus pâte de fruits, un peu perlant, évoque les fleurs blanches et les groseilles blanches. Très belle acidité un peu mentholée. Acidité de cassis.

Ay  2007 : nez floral élégant et raffiné, mais plus simple en bouche. Il est fruité, de fruits roses, très goulu, aux accents de pêches, très goûteux et sexy, bonbon acidulé.

Ambonnay 2007 : nez discret, floral, subtil et racé. La puissance en bouche est spectaculaire. C’est fabuleux. L’équilibre est énorme. Il y a des fruits, des fleurs, des fruits confits et même des légumes verts. J’aime ce vin d’une grande fraîcheur.

Sainte-Gemme 2007 : nez très fin, subtil, presque indéfinissable. L’équilibre en bouche est joli. Il y a des fruits doux, jaunes et encore du bonbon acidulé. J’aime la fraîcheur de ce vin plus classique.

L’Ay 2004 a un nez nettement minéral par opposition à tous les 2007. L’attaque est merveilleuse. C’est doux comme de la soie et minéral come de l’ardoise. Puis apparaissent les fruits, les pêches et un soupçon de beurre et de toasté. Il est très joli, épicé, et j’aime sa fraîcheur.

L’Oger 2001 a un nez très rond, ensoleillé de fruits rouges et une trace de beurre. En bouche il y a des fleurs et des fruits classiques. Il joue un peu en dedans, d’une personnalité moins marquée, un peu conventionnelle, et je me demande si ce n’est pas moi qui sature à ce stade. Le citron vert et la groseille à maquereau lui donnent une fraîcheur remarquable.

Le Verzenay 1996 a un nez très pur, de cassis. Le vin a un bel équilibre, accompli, fait de fraîcheur et d’acidité jolie. Il y a des agrumes et des zestes, mais c’est la fraîcheur qui est confondante.

Nous arrivons enfin au Krug Grande Cuvée assemblage de ce qui précède, mais pas uniquement. Il y a en effet 118 vins différents dans l’assemblage, de sept millésimes remontant jusqu’en 1995. Le nez est plus vineux avec des légumes verts. Il est subtil. L’attaque est très belle, ronde, et plus joyeuse que chacun. Le milieu de bouche est structuré, plus feutré, mais va s’ouvrir. La fraîcheur est là, de fruits rouges et d’agrumes. Le final est long et complexe. Bien sûr, il faut que le vin se forme, car son bal des débutants, c’est dans six ans au moins. Sa rondeur joyeuse et sa fraîcheur de fleurs blanches sont déjà prometteurs.

Nous goûtons par contraste le Krug Grande Cuvée mis en bouteille tout récemment, qui a donc à peu près six ans de plus. Le premier changement, c’est la bulle, qui était en filigrane jusque là. Le nez est très Krug, le goût est très Krug, pur, typé, élégant et subtil en bouche. Il a un goût de revenez-y qui ne trompe pas. J’ai senti des notes fumées proches de l’infusion.

Si la soif de Krug est intarissable, les propos enflammés d’Olivier le sont aussi. En souriant il me dit : « si je parle trop, tirez sur la prise ». Je n’en aurai pas besoin, car tout ce qu’il dit parle de passion.

Nous allons déjeuner au restaurant les Crayères ou Didier Elena et Philippe Jamesse, chef sommelier, voulaient infléchir le jugement que j’avais eu lors du séjour qui suivait le centième dîner. Le jeune sommelier qui nous accueille nous emmène en cuisine saluer le chef, prêt pour un nouveau challenge.

La salle à manger est de toute beauté, et les tons de gris ocre sont apaisants. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’une charmante femme vient m’embrasser. Elle déjeune avec son mari. C’est la responsable d’un des vignobles d’Ile de France, le vin de Villiers-sur-Marne, dont je suis membre de la confrérie. Olivier suggère que nous goûtions le Krug rosé. Il a une phrase admirable lorsque je dis que je ne suis normalement pas fanatique de champagnes rosés : « c’est justement pour cela que nous avons fait Krug rosé ». J’adore. Olivier propose que nous goûtions le Krug Grande Cuvée. Je suggère que nous abordions aussi un millésimé. Olivier pense au 1995. Philippe demande dans quel ordre déguster. J’imagine que nous boirons les trois ensemble. Le décor est planté. Le maître d’hôtel demande ce que nous souhaiterions déjeuner. Nous nous en remettons à Didier Elena. Le bateau est lancé.

Il n’est pas tellement question de juger chaque vin, car chaque saveur va le faire varier, mais plutôt d’analyser les comportements. Sur un petit biscuit au chaource, le Krug rosé réagit comme le public quand un crooner esquisse les trois premières notes d’un standard. Sa couleur de rose saumonée appelle des saveurs de même couleur. Le cromesquis au champagne  vibre bien sur le Krug Grande Cuvée. Seul l’amuse bouche qui comporte un granité alcoolisé impose de boire de l’eau.

Dès que l’on présente devant mes yeux les langoustines, je sais que l’on a changé de monde. Nous sommes dans « ma » gastronomie. Le « ma » ne veut pas dire que j’en serais propriétaire mais plutôt qu’elle est celle que j’appelle de mes vœux. La chair de la langoustine est divine. Elle fait vibrer le Krug 1995 d’une impériale sérénité. Ce champagne est assis sur son trône, écoute ses sujets, et leur annonce que son règne ne se compte ni en septennats ni en quinquennats mais en siècles. Champagne taillé pour l’éternité il affirme son emprise sur nos sens. D’autres langoustines dans une pâte croustillante se trempent dans une rouille qui est un appel au Krug rosé. Ce plat aux cuissons exactes, à la lisibilité totale, nous fait entrer dans un monde qui est celui du vrai Elena.

Alors que Philippe m’avait dit que le pigeon que j’espérais pour le Krug rosé n’était pas présent à l’appel, voilà que l’on nous sert un pigeon sur un canapé flanqué d’un foie gras à peine poêlé. La chair du pigeon seule, sans sauce est un hymne à l’amour avec le Krug rosé qui gagne en noblesse. Le raffinement est total. Le foie gras quant à lui, d’une tendreté exemplaire, cohabite aussi bien avec le millésimé 1995 qu’avec la Grande Cuvée. Cette cuisine bourgeoise est un appel au bonheur.

J’essaie trois fromages différents pour chacun des Krug et le choix fait à l’œil se trouve justifié au palais. L’essai d’un roquefort au miel est plus ludique que gastronomique. Une tarte à la fraise des bois vient clore l’expérience dans un politiquement correct assumé.

Que dire des champagnes ? Le rosé a sa vie propre, capable de soutenir de nombreux plats, à condition que l’on reste dans un certain code de saveurs, car sa flexibilité est plus étroite que celle des blancs. Le Grande Cuvée est un champagne assuré, solide, à l’aise, mais il a quand même un peu souffert de la présence du 1995. Car ce champagne, c’est Stonehenge, c’est les pyramides d’Egypte, d’une solidité qui ne supporte aucune contradiction, taillé pour l’histoire, inébranlable ce qui n’est pas antinomique d’une capacité à créer l’émotion. Car ce champagne imperturbable sait se marier au foie gras, à la langoustine, et à une myriade de goûts.

Didier Elena est venu à notre table et je lui ai dit à quel point j’étais heureux que cette expérience corrige mon impression récente. Partager une journée avec Olivier Krug est un privilège auquel je suis infiniment sensible. Y ajouter l’expérience d’une cuisine qui tutoie les sommets, c’est  un couronnement à Reims.

visite de la maison Krug – photos jeudi, 5 juin 2008

Les établissements au centre de Reims

les fûts de vieillissement d’âges variables jusqu’à plus de quarante ans. A droite on voit des fûts neufs qui arrivent.

Je veux bien être fidèle à Krug, mais faut-il aller jusqu’à me marquer au fer ?

la petite salle de dégustation avec des vestiges de tonnelier et les vins clairs que nous avons dégustés.

étiquettes de vieux Krug – musée Krug jeudi, 5 juin 2008

Etant dans la salle de réunion, attendant Olivier Krug, j’ai eu le temps d’être émerveillé par ces rares témoignages :

Est-ce Gold Lac ou Cold Lac, ce Krug a une belle étiquette. Qui aurait dit que le nom de Krug serait associé au mot "mousseux" ?

Jean Henri Laffitte aîné à Rheims (!) livrait les Krug en bâteau à aubes. A droite, un ancêtre Krug (je suppose, ou est-ce George Washington ?).

deux magnifiques exemples de bouteilles fermées à l’aide de lanières avant que le fil de fer ne s’impose

Krug 1926 et Krug 1937, des légendes à faire rêver tous les collectionneurs de ce vin immense

deux Sillery "mousseux". Pourquoi ne fait-on plus aujourd’hui d’étiquettes aussi belles que ces oeuvres d’art ?

On pense souvent que Dom Pérignon est le seul à faire une communication sexy. Mais M. Collomb annonçait que son Sillery mousseux était un "Vénus Brand".

L’étiquette de Private Cuvée est encore en usage pour des millésimes récents. Celle-ci est plus rare, car il s’agit de commandes speciales pour le Royaume Uni.

visite au Domaine Leflaive et petit crochet par la Romanée Conti mardi, 29 avril 2008

Je rends visite à Anne-Claude Leflaive au domaine Leflaive à Puligny-Montrachet. Elle est occupée par un rendez-vous qui se prolonge, aussi est-ce Antoine qui commence à me faire goûter. Le Puligny-Montrachet Domaine Leflaive 2006 est bien ouvert. Son nez est très aromatique et je sens instantanément la signature Leflaive. Il est fort, pas très long mais déjà d’une expression chaleureuse.

Le Puligny-Montrachet Clavoillon Domaine Leflaive 2006 est très aromatique. Un perlant assez fort lui donne de l’amertume. Nous quittons maintenant les vins en fûts métalliques pour goûter des vins en bouteilles. Anne-Claude nous rejoint. Le Puligny-Montrachet Folatières Domaine Leflaive 2006 a la même signature que les deux autres. Il est très aromatique avec un final que je trouve un peu aqueux. Le Puligny-Montrachet  les Pucelles Domaine Leflaive 2006 a un nez beaucoup plus subtil, impression qui se dégage aussi en bouche. Je le trouve romantique avec un final plus homogène.

Le Bienvenue-Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2006 a un nez plus discret. C’est un vin plus équilibré mais encore discret. Je pense à la crème de lait ce qui plait à Anne Claude. Je suis sensible à un léger perlant qui n’apparaît que dans le final, plus minéral et de jolie fraîcheur. Une deuxième gorgée me paraît meilleure car le vin s’est ouvert dans le verre.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2006 a un nez chaud et généreux. En bouche il n’est pas très ouvert. Il est plus délicat que les Bâtard-Montrachet plus anciens que je connais. Il reste aérien, tout en retenue. Subtil, fait de fruits blancs et de fleurs blanches, il a un final très pur dont j’aime la fraîcheur.

Anne-Claude Leflaive me demande quel vin j’aimerais goûter au restaurant. Elle avait pensé à un Chevalier-Montrachet mais je lui confesse mon amour pour le Bâtard-Montrachet aussi prend-elle un Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1990. Nous allons à pied au restaurant Le Montrachet avec Antoine dont je découvre qu’il sort de la même école militaire, mais hélas pour moi, trente cinq ans plus tard. J’avais beaucoup entendu parler de ce restaurant et j’avoue avoir été surpris de le voir jouer un peu en dedans, comme un vin dans sa phase de repli sur soi. Est-ce parce que l’on est en dehors des saisons actives ? Le service fait un peu « Belle au bois dormant ».

Le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1990 a un joli nez de miel. Anne-Claude Leflaive lui trouve une évocation de vieille armoire mais précise que pour elle, c’est une qualité. Dans ce vin, tout s’est arrondi, intégré, avec une sérénité totale. Le vin réagit très bien sur des asperges vertes et blanches dont j’ai demandé que l’on simplifie totalement la présentation. Ce fut fait et bien fait.

J’avais apporté une bouteille de Château d’Yquem 1984 à la couleur déjà sympathiquement dorée. Cette année est une des pépites d’Yquem car beaucoup d’amateurs l’ignorent. Sa pureté est saisissante. On sent l’abricot et la pâte de fruit. Le vin est juteux et joyeux. Sur un canard cuit de belle façon, l’Yquem gagne en longueur tout en devenant plus sec, ce qui lui va aussi bien. Sur un comté, il est assez à l’aise. Comme je l’avais pronostiqué, un roquefort trop salé bloque le goût d’Yquem. Un ananas agréablement goûteux cohabite avec le vin sans le faire vibrer.

Mais le plus bel accord, c’est celui que nous avons trouvé avec Anne-Claude Leflaive en parlant de vins et de gastronomie et de l’école qu’elle est en train de créer pour apprendre et approfondir le vin, la vigne, les terroirs, dans une optique écologique et humaniste.

Discutant avec Anne-Claude Leflaive des années non produites par Yquem, une divergence conduisit à un pari car j’avais pris la sage précaution de faire mine d’hésiter. Le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1990 que j’ai gagné aura encore plus de saveur quand je me remémorerai ce moment passé en compagnie d’une vigneronne de talent.

Etant dans la région, je remonte vers le nord pour aller saluer Aubert de Villaine et Jean-Charles Cuvelier et leur montrer la feuille de match du centième dîner. Ma fierté d’avoir mis en premier dans mon vote la Romanée-Conti 1972, il me fallait la partager avec Aubert de Villaine. L’après-match, comme un bon vin, on voudrait que ce soit éternel.

De retour chez moi, seul, je me verse un verre du Bâtard 1990 gardé de ce midi. Le vin est divinement épanoui, ayant gagné en magnitude, mais je me sens tellement bête de boire seul que j’arrête. Les derniers verres ont été trinqués avec mon fils le lendemain. Un vin avec mon fils c’est quand même infiniment plus chaud, surtout quand il est si bon.

visite au Domaine Leflaive – les photos mardi, 29 avril 2008

Nous buvons les premiers vins 2006 en fûts.

 

Dégustation de vins en bouteilles, les 2006.

 

Plats délicieux l’un pour le Bâtard 1990, l’autre pour l’Yquem 1984.

Ananas qui cohabite sans plus avec l’Yquem

Ces bouteilles ne seront pas bues, hélas ! Elles sont dans le bureau du domaine, évocations du passé prestigieux.

Etiquettes pour habiller les 2006 mis en bouteilles.

On habille le 1990, pari gagné !

 

dîner au Domaine de Chevalier avec des vins en « 3 » vendredi, 18 avril 2008

J’arrive chez Anne et Olivier Bernard, propriétaires de Domaine de Chevalier, pour le dîner qui est l’objet principal de mon voyage. Etant logé chez eux, j’ai le temps de prendre un repos salutaire, après les agapes de Pujols. Descendant dans la cuisine pour prendre de l’eau, je croise quelqu’un à qui je dis : « il me semble bien que je vous connais ». Tel Dom Gormas répondant à Rodrigue, il me répond : « peut-être ». C’est le sommelier qui travaille avec le traiteur Marc Demund, qui a composé le repas de ce soir, et avec lequel j’ai réalisé deux dîners au château d’Yquem.

A l’heure dite, je me rends au salon décoré avec un goût très sûr, devant une cheminée qui réchauffe les jolies femmes. Pour nous faire patienter, Olivier nous sert un champagne Besserat de Bellefon rosé non millésimé qu’il avait ouvert lors d’un repas précédent. Ce rosé sympathique me rapproche un peu plus des champagnes rosés que je prise normalement assez peu. Olivier a choisi comme thème du dîner les vins en « 3 » dont il faudra trouver la décennie à l’aveugle. Cela paraît simple, car de dix ans en dix ans, les types des vins sont très différents. L’expérience va montrer que l’on se trompe facilement. Olivier nous demande si nous sommes effrayés par le chiffre « 13 », car il a poussé la règle du final en « 3 » jusqu’au nombre des convives. Sont présents autour d’Anne et Olivier Bernard : Stephan von Neipperg et son épouse, Robert Peugeot, son épouse et une amie, Alexandre de Lur Saluces, Aude et Xavier Planty, Patrick Baseden avec qui j’avais partagé le dîner à « La Poudette », mon ami américain S. et moi.

Toujours au salon, nous buvons un Champagne Pol Roger Chardonnay 1993 très plaisant et très champagne. Olivier débouche une bouteille qui fait un petit pschitt, voire pas de pschitt du tout. C’est un champagne Krug Clos du Mesnil 1983. Malgré une bulle rare, ce champagne est d’un goût exceptionnel, d’une grande pureté de définition. Certains convives apprécient et d’autres sont hermétiques au goût des champagnes âgés. Je suis enchanté de l’exotisme de ce vin malgré un mûrissement qui me paraît supérieur à ce que j’en connais.

Nous passons à table dans la salle à manger aussi élégamment décorée, avec des tons qui réjouissent le cœur. Le menu de Marc Demund est : amuse-bouche / noix de Saint-Jacques aux endives confites / émincé de volaille et foie gras aux morilles / fromages / gratin de pamplemousses rouges. Ce fut délicat.

Découvrir les vins à l’aveugle est amusant. Mais cela monopolise les conversations, et quand on pense à trouver l’année, on analyse moins bien le vin. Cela donne aussi quelques piques acerbes sur des vins des vignerons présents. Comme au jeu de la vérité, c’est parfois brûlant, mais l’atmosphère riante et joyeuse gomme tout cela. Le Domaine de Chevalier blanc 1963 est assez acide ce qui limite un peu le plaisir, mais il faut dire que ce millésime ne l’aide pas beaucoup. Le Champagne Krug extra dry 1953 est un des nombreux cadeaux de mon ami S., qui nous aura comblés par des attentions savamment étudiées. Ce champagne est généreux, charmeur, et provient d’une année exceptionnelle que j’ai – pour une fois – immédiatement reconnue.

Le Montrachet Domaine Ramonet 1983 de mon ami américain est étonnant, car il n’a pas le caractère extraverti des montrachets. Nous sommes plusieurs, dont des vignerons, à avoir pensé qu’il s’agissait d’un bordeaux, alors qu’Alexandre de Lur Saluces, mon voisin de table, a immédiatement reconnu la Bourgogne. Comme nous étions majoritaires à nous être trompés, on conviendra que ce n’était pas facile. Mais, honte sur nous.

Le Château Margaux 1933 est d’une forte acidité. On sent le charme des margaux, mais sous un voile. A côté de lui, le Domaine de Chevalier rouge 1943 est magnifique de rondeur et de douceur. C’est lui qui a le vrai charme. Je me suis trompé de dix ans pour chacun des deux rouges et lorsqu’on m’annonce les millésimes, tout me paraît plus cohérent.

Le Château Canon-La-Gaffelière 1953 est absolument grandiose, magnifique, superbe, épanoui. L’année est évidente. C’est une année de réussite exceptionnelle en saint-émilion, comme pour le cousin La Gaffelière Naudes que j’ai eu l’occasion de boire de très nombreuses fois, avec un permanent succès. Le Château Latour 1973 est noble, meilleur que ce que l’année suggère, mais il lui manque quand même ce petit quelque chose qui n’appartient qu’aux millésimes accomplis. Là aussi l’année se trouve par déduction.

Le Domaine de Chevalier 1983 est très plaisant et j’ai hésité longtemps, alors que pour le Château La Mondotte 2003 très riche et de belle qualité, qui titre 14,5°, le choix s’impose sans variante possible.

Le Château Guiraud 1983 est un jeune sauternes fort plaisant. Le Château Guiraud 1893 étonnamment clair, offert par mon ami S. qui devait savoir, sans doute, que nous avions autour de la table le tour de table complet du capital de Château Guiraud, fait beaucoup plus jeune que son millésime, que j’ai déjà abondamment exploré en sauternes. Je suis un peu gêné de le voir si jeune, ce qui n’enlève rien au plaisir de ceux des administrateurs de Guiraud qui n’avaient jamais bu d’exemplaire ce vin du 19ème siècle. Ils apprécient la valeur du cadeau de S. qui a tapé dans le mille.

Nous passons au salon qui se remplit de volutes de cigares rares. S. a offert à Olivier un cigare de 1953 (encore une année en « 3 »), ce que je trouve assez ahurissant. On nous sert alors un champagne Cristal Roederer 1973 encore de mon ami, non inscrit sur la liste du menu. Si l’on excepte le premier rosé déjà ouvert auparavant, nous finissons d’avoir bu treize vins, chiffre terminant aussi par trois. Je mets longtemps à hésiter entre champagne blanc et rosé tant l’ambre du champagne a des accents de rose mauve. Absolument délicieux, il offre une délicatesse romantique qui clôt en beauté le voyage de nos papilles.

Classer autant de vins aussi dissemblables et une gageure,  mais je vais essayer : 1 – Château Canon-La-Gaffelière 1953, 2 – Champagne Krug extra dry 1953, 3 – champagne Krug Clos du Mesnil 1983, 4 – Domaine de Chevalier rouge 1943. Je suis sûr que les votes eussent été disparates si nous nous étions livrés à cet exercice. J’ai privilégié l’accomplissement au moment où nous les avons bus des deux rouges en pleine forme, et la race de deux grands champagnes.

Dans une ambiance enjouée, nous avons découvert des vins très originaux. Le chiffre trois qui termine chaque millésime est le chiffre du divin. C’est le qualificatif qui s’impose pour l’accueil d’Anne et Olivier Bernard.

dîner au Domaine de Chevalier – les photos vendredi, 18 avril 2008

La maison privée d’Anne et Olivier Bernard, propriétaires de Domaine de Chevalier.

La table joliment préparée.

Noix de Saint-Jacques aux endives confites.

Emincé de volaille et foie gras aux morilles.

 

Fromages et gratin de pamplemousses rouges.

Belle cuisine réalisée par l’équipe de Marc Demund.

 

Champagne Cristal Roederer 1973

 Bouchon du Domaine de Chevalier rouge 1943. La bouteille a été reconditionnée en 1994.

 Impressionnante série de bouteilles :

Champagne Pol Roger Chardonnay 1993, champagne Krug Clos du Mesnil 1983, Domaine de Chevalier blanc 1963, Champagne Krug extra dry 1953, Montrachet Domaine Ramonet 1983, Château Margaux 1933, Domaine de Chevalier rouge 1943, Château Canon-La-Gaffelière 1953, Château Latour 1973, Domaine de Chevalier 1983, Château La Mondotte 2003, Château Guiraud 1983, Château Guiraud 1893.

Le Champagne Cristal Roederer photographié ci-dessus et ne figurant pas sur la photo de groupe fut bu au moment des cigares en fin de repas au salon.

visite à Climens et déjeuner chez Claude Darroze avec un 1964 vendredi, 18 avril 2008

Je me rends au Château Climens pour rendre visite à Bérénice Lurton, la propriétaire de ce château de Barsac. Elle conduit un groupe d’anglais et je les rejoins au moment de la dégustation de vins récents. Nous commençons par Cyprès de Climens 2004, le second vin de Climens, déjà ouvert, à boire jeune, aux accents de pruneaux. Le Château Climens 2004 montre sa différence qui est très nette, surtout en ce qui concerne la longueur et l’élégance. Le Cyprès de Climens 2005 est fort sucré, moins agréable actuellement que le 2004. Le Château Climens 2005 montre ses gros muscles. Il a la puissance et un fort sucre, mais qui est compensé par une fraîcheur rare. Ce sera un grand vin. Bérénice me fait raconter aux visiteurs que mon coup de foudre pour les vins anciens est né d’un Climens 1923. Les yeux de ces amateurs anglais se mettent à pétiller au récit de mes histoires. Quand leur minibus est parti, nous allons chercher dans un recoin difficile d’accès une bouteille de Climens 1964 pour aller déjeuner au restaurant de Claude Darroze à Langon. Je suggère le menu : asperges blanches, ris de veau et dessert aux agrumes. Sur de petits amuse-bouche, nous testons le Château Climens 1964. Dès la première gorgée, ce Barsac d’un or clair au nez généreux montre un équilibre spectaculaire. Il m’évoque les pomelos. Sur une petite brouillade d’œufs aux truffes, il réagit bien. Sur une crème brûlée au foie gras, le sucre chavire le vin. Dans un petit pot, tomates et huile refusent le liquoreux. L’amertume des asperges est idéale pour amplifier la longueur du vin. Mais c’est surtout avec le ris de veau et ses champignons que le Climens 1964 est éblouissant. D’une année où Yquem n’avait pas fait de millésime, Climens a réussi à faire une petite merveille. Nous sommes particulièrement heureux et nous devisons de milliers de sujets. Sur des quartiers d’orange jaune, le Climens est plus à l’aise que sur des pamplemousses roses. Couleur sur couleur se prouve une fois de plus.

Les accords de ce repas ont montré un très grand Barsac équilibré, cohérent et structuré, qui garde une légèreté et une fraicheur qui en font comme nous l’avons vérifié, l’agréable compagnon de tout un repas.