C’est assez impressionnant !
La lutte fut rude, mais toutes les bouteilles furent bonnes, profitant de leur oxygénation lente.
C’est assez impressionnant !
La lutte fut rude, mais toutes les bouteilles furent bonnes, profitant de leur oxygénation lente.
Bipin Desai, le célèbre amateur californien qui organise les extensives verticales que j’ai racontées dans ces bulletins fait en France plusieurs voyages par an. Depuis sept ans, j’organise le dîner « des amis de Bipin Desai » auquel je convie plusieurs vignerons amis. Alexandre de Lur Saluces sera à ce dîner. Lorsque je le rencontre au Grand Tasting, il me dit : « je reçois Bipin Desai chez moi deux jours avant. Voulez-vous vous joindre à nous ». La réponse est évidente. J’y serai.
En ces jours de décembre, le soleil se couche tôt et j’arrive dans la belle allée du château de Fargues sous un ciel sans nuage, où les étoiles nombreuses sont une des plus belles guirlandes de Noël qui se puisse concevoir. Alexandre a refait la décoration intérieure de sa maison avec des couleurs du plus bel effet. Nous sommes sept, Alexandre de Lur Saluces, Olivier et Anne Bernard du Domaine de Chevalier, Bipin Desai et un de ses amis grand collectionneur de vins et le jeune normalien qui avait réuni Alexandre et moi pour une conférence à l’Ecole Normale Supérieure, qui prépare aujourd’hui un doctorat d’œnologie.
Le champagne Bollinger sans année est servi très frais et cela lui va bien, car il affiche une charpente forte, une pesanteur vineuse, tout en gardant une légèreté et un final enlevé. Les discussions se font en anglais avec des incursions fréquentes dans la langue de nos aïeux.
Alexandre a choisi des plats et un ordre de vins qui montrent que même à Fargues il est possible de vivre l’aventure. Les Saint-Jacques et homard en truffe accompagnent Château de Fargues 1995, ce qui est d’une pertinence maintes fois vérifiée. Le Fargues a une couleur présentant déjà des ombres de bronze, son nez est direct et en bouche, il montre une étonnante maturité. Il est déjà très affirmé, dans le fruit sec, avec une rondeur opulente qui ne l’empêche pas de laisser une trace aérienne. Je dis qu’il me fait penser au Yquem 1988 et Bipin comme Alexandre s’inscrivent en faux, mais je persiste. C’est un très beau Fargues qui vieillira bien mais se boit sans complexe maintenant. La sauce du homard lui va bien.
Alexandre a oublié de faire préparer un bouillon pour atténuer le feu du sauternes et nous gratifie d’une Côte Rôtie Cordeloux 2003 splendidement à contremploi. Ce vin serait agréable si le menu était prévu pour lui. Mais son rôle de « rince-bouche » ne lui convient pas du tout. C’est amusant de voir qu’un vin dont on se régalerait dans un repas différent peut sonner faux quand il est hors sujet. Alexandre ne s’en formalise pas, comme chacun de nous, car cela n’a pas d’importance.
Les émincés de volaille et foie gras aux morilles ont une sauce assez sucrée qu’on pourrait voir associée à un sauternes. Mais en fait c’est un Château Lafite-Rothschild 1945 qui nous est servi. J’avais déjà goûté ce vin lorsqu’Alexandre nous avait reçus, mon épouse et moi, et celui-ci est nettement meilleur et me plait énormément. Alexandre l’avait ouvert à mon arrivée deux heures au moins avant que l’on ne le serve, et son bouchon entier était venu facilement. La pureté du Lafite est exemplaire. Il s’est simplifié avec l’âge et ne garde que la partie la plus noble de sa définition. Très grand vin qui s’adapte bien au plat délicieux et aussi à sa sauce fantasque. Un grand moment. Tout le monde se moque de moi parce que je bois la lie qui m’est servie par Alain. Ce qui compte, c’est que se confirme une fois de plus que c’est dans la lie que se trouve le secret d’un grand vin.
Sur le menu qui a été imprimé pour chacun il y a deux vins à venir et deux plats. Le fromage sera suivi d’un Passy aux framboises, cependant que le Château de Fargues 1951 sera suivi d’un vin jaune Château d’Arlay 1999. Il y a sur le plateau un délicieux bleu d’Auvergne et du Comté. Je suggère donc subrepticement à Alain de verser le vin du Jura en même temps que le Fargues, pour que l’on ait le vin adapté à chaque fromage. Il se trouve que j’avais déjà réuni Bipin Desai et Olivier Bernard lors d’un de mes dîners au restaurant Ledoyen et j’avais pu constater qu’Olivier a du mal à comprendre ou accepter les vins oxydatifs. Il en fut de même pour celui-ci, bien jeune pour figurer en ce dîner après Lafite 1945 et Fargues 1951. Ce Fargues est d’autant plus intéressant que son cousin Yquem n’a pas été millésimé en 1951 pour des raisons qui n’on rien à voir avec la climatologie. Sa couleur est ambrée dans des directions de thé, l’étiquette est vert pâle comme cela s’est produit pour quelques années d’Yquem. Le nez est discret et la bouche est élégante. C’est un vin raffiné. Il a perdu de son sucre mais a gagné en personnalité. Très long en bouche, il se boit plutôt seul, car le coulis de framboise du délicieux dessert n’a jamais été un ami des sauternes qui exigent des fruits de leurs couleurs.
Il n’y a qu’Alexandre, qui en a bien ri, pour mettre une Côte Rôtie en rince-bouche et un vin jaune après son ravissant Fargues. Les discussions enjouées mais très compétentes sur le vin ont complété le tableau de ce dîner amical très réussi. Quittant la table pour le café et les cannelés, il apparaissait comme un appel pour un alcool brun. Ce fut fait avec un cognac Hennessy joyeux qui ponctua ce grand moment.
Accord sublime
Le joker, le rince-bouche !
Les bouteilles de Lafite 1945 d’Alexandre de Lur Saluces ont l’année gravée dans le verre. Je n’avais pas remarqué cette scène champêtre sur l’étiquette de Lafite.
Le coulis de fruit rouge, c’est un ennemi pour les sauternes… et pour les vins jaunes !!!
Magnifique Fargues 1951
Une originale position en fin de repas !!
Le deuxième jour du Grand Tasting débute sur une « Master Class » consacrée à Moët & Chandon présenté par Benoît Gouez, le chef de cave qui fait l’assemblage du champagne le plus diffusé dans le monde. D’un discours très clair nous apprenons que « la grande maison » comme on l’appelle possède mille hectares dont 600 de grands crus, et achète les raisins de 2500 hectares supplémentaires, ce qui fait 200 crus différents dont la diversité requiert du talent à l’assemblage. La vision de Benoît est « d’être sur le fruit », comme il l’explique. Sa mission est de concilier qualité et quantité.
Le champagne Moët & Chandon Brut Imperial nous est servi en magnum, comme les quatre de cette réunion. Dans l’odeur, l’alcool domine. La bulle est bien dosée. Le non millésimé doit avoir de la constance. Il est frais, bien servi. On sent qu’il y a du vin de réserve plus mûr : du 2004 essentiellement et 30% de 2002 . C’est sans doute cela qui donne un petit goût toasté. Il y a 20 à 30% de chardonnay, 30 à 40% de pinot noir et 30 à 40% de pinot meunier. Le dosage de cette cuvée est de 11 grammes. L’assemblage est au cœur de l’action.
Le champagne Moët & Chandon rosé Brut Imperial en magnum est pour moi plus rosé que champagne. Je ne l’aime pas trop. Benoît dit qu’il a une suavité anachronique dans le monde des rosés. Il y a 50% de pinot noir et 50% de pinot meunier. C’est effectivement assez confortable, mais je préfère d’une façon générale le picotement du champagne blanc à la douceur du champagne rosé.
Le champagne Moët & Chandon Grand Vintage 2000 a un nez très minéral. Ce qui frappe c’est sa douceur. Il est charmeur comme pas deux. Benoît Gouez est présent chez Moët depuis 1998 et 2000 est son premier millésime. C’est un champagne de rêve, bien fait. Il est romantique, pamplemousse et ananas et d’une belle longueur. J’ai pensé à des plats qui doivent respecter sa douceur, son charme et son romantisme, comme le ris de veau ou la coquille Saint-Jacques.
Le champagne Moët & Chandon rosé 2000 a une magnifique couleur saumon ou pèche. Le nez est assez discret. C’est un rosé bien agréable, mais je préfère dix fois le blanc, brillant compagnon de gastronomie.
C’est intéressant de passer ensuite à la Master Class où Vianney Fabre, responsable de l’exportation, présence trois vins de Bollinger. Il raconte l’histoire de la famille et les choix très précis. Le raisin vient à 70% de vignobles de la maison qui possède 180 hectares de vignes. La maison Bollinger entretient encore à plein temps un tonnelier pour réparer les vieux tonneaux de mûrissement, puisque l’on n’utilise jamais de fût neuf, les plus vieux ayant jusqu’à quatre-vingts ans. Bollinger entretient une « librairie », que Vianney compare à une boîte à épices, de 500.000 magnums avec sucre et levure pour donner un quart de mousse. Ces magnums servent à l’assemblage des non millésimés.
Le champagne Bollinger spécial cuvée est le non millésimé de la maison. Il est particulièrement doré. Il y a plusieurs millésimes car l’assemblage comporte plus de 50% de vins de réserve. Le nez est très pur, intense. La bulle est belle. Le vin est fumé, toasté, pain d’épices. J’aime sa forte personnalité et sa grande élégance. Le final est léger, comme un coup de fouet sur la langue. Le dosage est de 7 à 9 grammes. Sa force permet d’en faire un vin de gastronomie.
Le champagne 2003 by Bollinger a été déjà décrit lors de la Master Class d’hier. Je peux vérifier que les informations données sont les mêmes ! Le nez est un peu dur. En bouche, c’est un champagne de fleurs blanches, élégant et romantique. Il est très suggestif, doux et discret. Il est très orienté chardonnay, ce qui n’est pas le style habituel Bollinger mais on sait les problèmes climatiques que cette année a connus. Il n’y a que 3,1 g de dosage. Ce vin a été vinifié à 100% en barriques et son vieillissement en bouteilles avec bouchons naturels explique la forme du haut de la bouteille, car le dégorgement est fait à la main. C’est un vin très frais, à la bulle noble.
Le champagne Bollinger Grande Année 1999 est la cuvée de prestige. Il y a 63% de pinot noir et 37% de chardonnay. Le champagne est composé de 82% de grands crus et la totalité est élevée en barrique. On sent une grande noblesse et une forte personnalité. Fort en bouche, il plombe le palais ce qui ne l’empêche pas d’évoquer des fleurs blanches. Le final est noble. Je le vois très bien être le champagne de tout un repas, car il autorise toutes les audaces culinaires. Vianney dit qu’il est féminin quand le 1997 est masculin. De bien beaux champagnes.
Ces salons étant très fatigants par les allées et venues que l’on fait entre les stands, par les sautes de température et par de vilains rhumes qui se propagent comme les mauvaises nouvelles à la Bourse, c’est-à-dire à la vitesse de l’éclair, je suis allé déjeuner avec ma fille aînée en dégustant un Beaune Clos des Mouches rouge Maison Chanson 2005 que m’a gentiment donné l’excellent sommelier qui a réglé avec une minutie digne d’éloge le service des vins de toutes les Master Class. Le vin est joyeux et intense comme cette rencontre avec ma fille.
Je garde le souvenir d’un Grand Tasting efficace, où des vignerons de grande qualité font goûter leurs vins à un public nombreux et connaisseur. C’est pour moi l’occasion d’être proche de Michel Bettane ou Bernard Burtschy dont la connaissance du vin, de sa géographie et de son histoire ne cessent de m’émerveiller. C’est aussi l’occasion de rencontrer des vignerons que j’apprécie pour parler des plaisirs que procurent leurs chefs-d’œuvre.
Le Grand Tasting démarre son premier jour et c’est toujours intéressant de voir les vignerons qui installent et débouchent leurs vins qui vont être livrés aux commentaires du public. L’assistance est nettement plus nombreuse que l’an dernier et paraît d’une grande qualité. Il y a de nombreux connaisseurs. La qualité du public répond à la qualité des vignerons, car il y a dans les stands de très grands noms du vin. On m’a proposé par amitié d’être à la table des conférenciers pour les « Master Class » de mon choix, pour apporter d’éventuelles anecdotes au-delà des commentaires brillants de Michel Bettane, Thierry Desseauve ou Bernard Burtschy. Je suis donc à la première session aux côtés de Marcel Guigal, Philippe d’Halluin de Mouton, Eric Rousseau, Mathieu Kaufmann de Bollinger, monsieur Humbrecht père et son chef de culture prénommé Alexandre pour déguster les vins en compagnie d’une assemblée de près de 200 personnes.
Le champagne Bollinger 2003 est le vin de toutes les anomalies. Il a donc reçu une étiquette qui diffère de celles des champagnes habituels. Il s’appelle 2003 by Bollinger et son carton d’emballage met en exergue les vignes sous la neige. En 2003, il a fait moins onze degrés le onze avril. 80% des grands crus ont eu des bourgeons brûlés par le froid. La récolte a été étonnamment précoce, sur seulement neuf jours du 21 au 30 août. L’acidité du vin est inférieure à la moitié de la norme habituelle, et, dernière anomalie, alors que Bollinger distribue en ce moment le millésime 1999, voilà que l’on sort en même temps le 2003. Mathieu Kaufmann dit que cela ressemble à ce qui s’est passé pour le millésime 1976. Il se pourrait donc que ce champagne hors norme vieillisse lui aussi. Je trouve son nez très racé, une belle fraîcheur en bouche, très peu d’acidité. On me souffle : compote, épices, fruits cuits, ce qui est vrai. La composition du vin a été faite avec seulement trois crus au lieu de quinze, mais ce sont les trois crus historiques de Bollinger. Je trouve à ce vin composé d’un tiers de chardonnay et de deux tiers de pinot noir une belle longueur vineuse.
Le Riesling Clos Windsbuhl Zind Humbrecht 2002, d’un domaine fondé en 1959, a un nez classique de pétrole auquel s’ajoutent les fleurs blanches. En bouche l’attaque est sucrée, puis le poivre s’installe avec des esquisses de violette et de rose. Le chef de culture Alexandre parle de biodynamie avec des mots enthousiastes mais mesurés ce qui rend le discours très crédible. Ce vin est très pur, mais on sentira mieux son talent dans quelques années.
Le Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2004 est présenté par Eric, petit fils du fondateur de ce domaine en 1910. La robe est rose grenat, d’un rubis clair. Le nez est très pur. En bouche, c’est d’une clarté absolue. Le vin est magnifique et c’est bien la pureté qui est remarquable.
Le Château Mouton-Rothschild 2005 a une couleur très sombre. Le nez est d’une densité immense à côté de celui du Chambertin plus léger. Le nez est lourd. En bouche, c’est d’une densité incroyable et l’on comprend que ce vin ait été encensé par la critique. Plusieurs personnes parlent de l’extrême précision des tannins. Ce vin combine élégamment force et finesse et son final est aérien. Il y a là la promesse d’un très grand vin.
La Côte Rôtie La Turque Guigal 1999 qui n’est que le quinzième millésime de La Turque a une couleur de sang de pigeon, d’un beau rubis sur les parois du verre. Le nez est un parfum doucereux. L’attaque du vin est d’une fraîcheur incroyable. La finale est mentholée, aérienne. C’est beau comme tout. Marcel Guigal explique que la côte blonde est calcaire et la côte brune est oxyde de fer. La Turque est une côte brune, la seule ayant une exposition plein sud, et Marcel parle d’un vin androgyne. La fraîcheur est éblouissante.
Les trois expressions de vins rouges sont saisissantes. J’ai suggéré aux deux cents personnes présentes de ne pas dire : « j’ai préféré tel vin » car il faut aimer les trois, qui représentent ce qui se fait de mieux dans trois régions qui font des vins très différents. Nous avons goûté trois vins qui représentent l’extrême de la qualité possible. Trahissant les conseils que je donne, je dirais que j’ai adoré La Turque. J’en ai trop dit ?
La deuxième « Master Class » à laquelle j’assiste me place à côté de Véronique Boss-Drouhin qui parle avec un charme rare des vins de sa propriété.
Le Chablis Grand Cru Les Clos Joseph Drouhin 2002 a un nez très discret. La robe est déjà d’un jaune qui commence à se frotter d’or. L’attaque est ensoleillée et le vin est joyeux en bouche. Alors que Michel Bettane vante ses qualités de chablis, je le trouve plus rond et moins orthodoxe que le Bougros de William Fèvre. Son final enlevé est très beau. Ce vin doit bien vieillir.
Le Beaune Clos des Mouches blanc Joseph Drouhin 2004 a un nez minéral très proche des nez de Meursault. Le nez est intense et le pétrole se supporte bien. Il y a des arômes de noisette grillée. Le vin est beaucoup plus ample. Le vin est très frais, très fluide et sa finale est fraîche.
Le Nuits-Saint-Georges Richemones 1er Cru Joseph Drouhin 2005 provient d’une parcelle dont le vin n’est normalement pas vinifié sous son appellation mais intervient dans des assemblages. Il a été jugé tellement bon qu’il a été décidé de le sortir sous son nom. L’attaque est forte en bouche. Il y a du poivre, un goût assez âpre, mais il a du charme et de la séduction. Il a de la force et des tannins riches qui attaquent la bouche. Il va grandir. C’est un vin original qu’il faut laisser vieillir.
Le Clos Vougeot Joseph Drouhin 2001 a une belle couleur assez pâle. L’attaque en bouche est exceptionnelle. Très fruité, doté d’une palette aromatique large, il frappe par sa belle fraîcheur en bouche. Ce bel aperçu de la maison Joseph Drouhin fut convaincant.
Je suis allé ensuite dans les allées, plus pour parler que pour déguster de façon systématique. J’ai goûté un Château Gilette 1985 encore gamin mais très prometteur, le Clos de Tart 2006, un gamin déjà très doué et le Clos de Tart 2001 d’une réussite technique exemplaire, la cuvée Femme de Duval Leroy 1998 bien faite mais manquant peut-être d’un peu de folie, un très jolie cramant de Mumm, quatre champagnes de Jacquesson que j’ai adorés dont le 732, puis les millésimes 1996 et 1990. J’ai un faible pour le 1996. J’ai bu un champagne Philipponnat Clos des Goisses 1999 dont j’aime la pureté et une magnifique cuvée du champagne Mailly.
Je suis allé voir Hervé Bizeul, vigneron d’avant-garde au verbe aussi audacieux que ses vins, et sur quatre rouges que j’ai bus, dont un Clos des Fées vieilles vignes et un Clos des Fées auxquels j’ai du mal à adhérer car les pistes explorées dont je comprends le risque sont extrêmes pour moi, c’est la Petite Sibérie qui m’a enchanté, car même si l’on est à l’avant-garde de l’avant-garde, je respecte la démarche et mon palais l’accepte. J’aimerais que la pendule puisse s’accélérer pour que je boive ce vin dans vingt ans. Il devrait être spectaculaire.
Je suis de nouveau retourné en « Master Class » car Alain Senderens allait expliquer sa démarche gastronomique en faisant des travaux pratiques sur des vins que nous allions goûter. J’aurais aimé dialoguer avec lui sur ses propositions, car la confrontation de nos points de vue eût été enrichissante, mais Alain était trop dans son sujet et c’est un plaisir immense de l’entendre, quand on y arrive, car Alain changeait constamment son micro de place, le son se perdant quand il bougeait les bras ce qui fut fréquent. Alain a expliqué sa démarche dont la majeure est le vin que le plat doit suivre et non précéder. Il dit une chose qui mériterait d’être méditée : « les accords aromatiques sont les plus faciles. Les accords tactiles sont les meilleurs ».
Le Meursault Charmes Bouchard Père & Fils 2001 a un nez extrêmement parfumé. En bouche c’est aussi parfumé. Alain pense à une langoustine croustillante dont il ajouterait à la sauce épicée des zestes de citron. Je partage cette analyse si la langoustine est volumineuse. La chair d’un gros turbot irait sans doute aussi.
Le Riesling Grand Cru Kessler Heisse Wanne maison Dirler 1998 a un nez subtil. En bouche, c’est doux, fruité. Il y a une légère amertume de thé. L’idée d’Alain du foie gras poché dans un bouillon aux épices est lumineuse. Il pense aussi à homard et volaille cuite dans l’argile. J’aurais vu aussi un veau avec une sauce au thé.
Le Beaune Grèves rouge Chanson 2005 est dur. C’est beaucoup trop jeune, quelle que soit sa promesse. Alain dit qu’il faut faire disparaître la sécheresse du vin. Il pense à un perdreau au choux ou bien à « l’oreiller de la belle Aurore », pâté en croûte servi froid, plat légendaire de Brillat-Savarin que peut-être seulement quatre chefs font encore en France, et seulement sur commande. J’ai aimé le final extrêmement mentholé, mais j’ai considéré qu’il vaudrait mieux laisser vieillir ce vin que de lui trouver un compagnon culinaire.
Le Chateau Suduiraut 2002 a un nez superbe. Le final est salin ce qui est curieux. Le vin combine élégamment sucre et acidité. La suggestion tourne autour des agrumes, mais Alain passera plus de temps à éreinter l’ineptie de mettre sauternes et foie gras qu’à suggérer un plat.
C’est sur le Maury Mas Amiel, cuvée Charles Dupuy, vintage 2005 qu’Alain Senderens me parut le plus extraordinaire, car il pense à son célèbre canard Apicius. Et c’est sûr que ce vin bien jeune dégusté déjà la veille et que j’ai adoré trouverait sa voie auprès de ce canard.
Alain Senderens a parlé de sa relation au vin en disant : « le vin me parle, et c’est lui qui corrige mes plats ». Grand moment de connivence avec un chef de génie.
Je devais assister à un cocktail après cette journée, réunissant tous les vignerons qui partageraient leurs vins entre eux, sans public. La fatigue était trop forte. J’ai abandonné ce qui fut sûrement un grand moment de convivialité.
Le Grand Tasting est un événement qui compte dans le monde du vin. C’est le successeur du feu « salon des grands vins » rebaptisé, géré maintenant par Michel Bettane et Thierry Desseauve. Ces deux compères ont recouvré le droit de publier un guide des vins sous leur nom, ce qu’ils ont fait avec bonheur et succès depuis 2007. La veille du salon se tient le « dîner des grands prix du vin Bettane & Desseauve », ce qui est l’occasion de retrouver au Grand Hôtel de nombreux vignerons et gens de la presse et du vin. Donner des prix, c’est sacrifier à cette mode des médailles et autres récompenses, qui font évidemment plaisir aux lauréats et un peu moins au nominés comme on dit aujourd’hui. Il y a cinq prix aux noms sympathiques. Le prix « le bonheur tout de suite ! » est attribué au champagne Fleury pour son brut rosé. Le prix « la découverte de l’année est attribué au jurançon du domaine Bellauc pour son Jurançon supérieur 2005. Le prix « le vin étranger de l’année » couronne deux vins, un suisse du domaine Cornulus, le Clos des Corbassières Cornalin 2004 et un argentin des vignobles Michel Rolland, le Val de Flores 2004. Le prix « le meilleur vin français de l’année » est aussi partagé en deux, pour le Château Pavie-Macquin 2005 et pour le Clos de Tart 2005. Enfin le prix « l’homme de l’année » est remis à Eric Rousseau du domaine Armand Rousseau, vinificateur d’un immense talent.
Avant le dîner je bavarde avec des aristocrates du vin comme Marcel Guigal, Philippe d’Halluin de Mouton et bien d’autres grands vignerons tout en buvant un Champagne Laurent Perrier Brut Millésimé 1999 qui glisse en bouche avec bonheur et un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 de belle race et d’une grande précision. Nous passons à table dans la magnifique salle dessinée par Garnier, l’auteur de l’Opéra éponyme, mais la sonorisation assez épouvantable rendra inaudibles certains propos tenus par les vignerons primés, ce qui est dommage. Le repas ne restera pas gravé dans les mémoires sauf sur une curiosité : dans le plat « oursin farci au tartare de fruits de mer », j’ai reconnu des crevettes grises, des pétoncles et des huîtres lovés dans une demi-coquille d’oursin. Point d’oursin, sauf le test, ce qui est piquant. L’attention se portait plus volontiers sur les vins. Le Chassagne-Montrachet Abbaye de Morgeot Louis Jadot 1999 est un blanc joyeux, d’une belle définition. Je ne lui vois pas de défaut. Il est précis, clair, sans fanatisme. Et la comparaison est intéressante avec le vin suivant, un Chablis Grand Cru Bougros William Fèvre 2005 que je trouve absolument chantant, magnifique, et dégageant une émotion beaucoup plus intense. Le Château Doisy-Daëne, Barsac 2002 est très précis et bien fait mais il écrase de sa puissance un foie gras amer. C’est décidément violent avant les rouges. Le vin qui suit est un cadeau d’une rare générosité pour plus de cinq cents personnes. C’est Château Latour 1986. Le nez est incroyablement minéral, de pétrole. Cette odeur s’estompera lorsque le plat de veau paraît et réapparaîtra dès que la viande est consommée. On ressent un grand vin, surtout par comparaison aux deux autres rouges, mais on est loin de la brillance habituelle de Latour, impression qui sera confirmée par des convives d’autres tables. Le château Prieuré Lichine 2004 est un peu fermé en ce moment et le Château Fonplégade saint-émilion 2005 veut trop jouer les vins du nouveau monde pour qu’on succombe à son charme, malgré le côté flatteur évident.
La divine surprise, si l’on peut dire, car je suis familier de ces vins, c’est le Maury Mas Amiel cuvée Charles Dupuy vintage 2005. J’adore le Maury, et celui-ci nous fit un numéro amusant. Quand on le boit seul, c’est du bois et de la griotte, combinés élégamment. Et dès que le délicieux dessert au chocolat et café entre en scène, le vin s’assemble, s’arrondit, perd le bois et la griotte au profit d’un vin aérien, d’une légèreté impressionnante. Je n’ai jamais bu un Maury aussi aérien que celui-ci.
Les discussions allaient bon train entre gens du vin heureux de se rencontrer et se retrouver. Les deux vins de cette soirée sont pour moi le Maury tout en finesse légère et le Chablis Bougros au charme élégant. Une bien belle soirée.
La magnifique salle classée du Grand Hotel de l’Opéra.
A ma table, deux convives parlent au téléphone, chacun de leur côté, ou se parlent-ils ?
Dans la coquille, ne cherchez pas d’oursin, il n’y en a PAS, malgré le titre du menu.
accord divin avec le Maury
Voici quelques renseignements sur ce salon, à jour à la date du 13/11 :
communiqué de presse : lire
liste des exposants : lire
Listeexposantsprsentsau23_10.pdf
les master class : lire
Le Grand Tasting, c’est un salon de dégustation de vins ouvert au public, qui se tiendra au Carrousel du Louvre les 30 novembre et 1er décembre.
Ce salon est animé et dirigé par Michel bettane et Thierry Desseauve.
On s’inscrit et on voit le programme sur leur site : Grand Tasting
Ce salon fait la suite du Salon des Grands Vins rebaptisé Le Grand Tasting. Vous pouvez aller consulter les comptes-rendus des précédentes éditions de ce salon en utilisant l’outil de recherche de ce blog.
J’ai exposé des bouteilles vides à ce salon, j’y ai même eu un stand (raconté dans ce blog).
Voici une photo d’une des vitrines d’exposition de mes bouteilles :
Je serai assez souvent auprès de Michel Bettane à la tribune des Master Class. Cela me donnera l’occasion de rencontrer des amateurs amis.
L’académie du vin de France, présidée par Jean-Pierre Perrin du Château de Beaucastel tient des séances de travail qui sont suivies chaque année par un dîner de gala auquel on me fait l’honneur de me convier. Les plus grands vignerons français sont présents, ainsi que des journalistes, des restaurateurs et quelques gastronomes bons vivants que l’on reconnaît au tour de taille dont j’ai le calibre. Ce dîner se tient au siège de l’académie, le restaurant Laurent, car chacun se plait à reconnaître en Philippe Bourguignon une excellence qui convient à celle des vins des académiciens.
A 19heures, au premier étage, sont alignés en quatre salles tous les vins qui font rêver les amateurs, généralement de l’année 2005 qui connaîtra un jour la renommée de 1990. Il y a les champagnes et les blancs, et j’adore la subtilité d’un Chablis de Raveneau 2005, d’un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 et un tonitruant Meursault Clos de la Barre Comtes Lafon 2005. Les blancs sont particulièrement brillants. La salle suivante est consacrée aux vins rouges qui ne sont pas de Bordeaux, et je suis très agréablement impressionné par le vin rouge du Château d’Arlay 2005. L’Hermitage rouge Chave 2005 est puissant, mais je le trouve serré en ce moment, moins chaleureux que le joyeux Hermitage blanc Chave 2005 que j’avais goûté dans l’autre salle. Le Beaucastel rouge 2005 est plus plaisant que le Chave à ce stade de sa croissance, plus harmonieux. Mais le vin qui remporte tous les suffrages, de cent coudées, c’est le Romanée-Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2004. Je souris, parce que ma passion pour les vins de DRC est telle que je suis probablement partial. Force est de constater que ce vin est absolument immense, d’une subtilité poivrée combinant raffinement, délicatesse et soleil. J’en complimente Aubert de Villaine qui reconnaît qu’il est bien fait. Dans la salle des bordeaux le Corbin Michotte 2005 me plait beaucoup, le Gazin 2005 est très bien fait, et le Montrose 2005 paresse en robe de chambre.
Dans un tout petit bureau il y a trois vins, mais quels vins ! Un Vouvray 2005 de Huet a une verdeur et une acidité qui sont la promesse d’un vin succulent et grandiose dans une trentaine d’années. Alexandre de Lur Saluces a apporté Château de Fargues 2003 élégant, pondéré, qui doit attendre encore avant de nous offrir toutes les merveilles qu’il cache encore. Mais c’est le dernier vin qui est un uppercut à l’âme. Le Gewurztraminer Hugel 2005 dont je n’ai pas noté s’il est sélection de grains nobles est merveilleux en bouche. La valse de la douceur entraînée par l’acidité se prolonge dans un final virevoltant quasi infini. Quelle promesse ! Si je dois voter pour quelques vins, alors que l’esprit de cette présentation n’est pas à comparer mais à profiter, je citerais en premier le Romanée Saint-Vivant DRC 2005, puis le Gewurztraminer Hugel 2005 et le Meursault Comtes Lafon 2005. Tous les autres, dégustés avec leurs propriétaires, sont de grands vins.
Nous passons à table et Jean-Pierre Perrin fait comme d’habitude un discours puissant, engagé, solennel. Le menu conçu par Alain Pégouret, chef sensible de grand talent, avec Philippe Bourguignon est un chef d’œuvre de cuisine et d’harmonie et Jacques Puisais, l’inénarrable raconteur des vins et des mets, signala que ce fut la plus belle réussite qu’il ait connue en cet endroit.
Voici le menu : Huîtres spéciales « Gillardeau » n° 2 lutées dans leurs coquilles, bouillon de mousserons citronné et fleurette au bacon. / Foie gras de canard grillé posé sur une cracotte, figues et amandes fraîches / Carré de chevreuil et son toast de légumes d’automne au mascarpone / Munster fermier et pain au carvi / Canons de chocolat, l’un finement cacahouèté et l’autre : cerises, oranges amères confites et sauge. Je m’amuse à classer mes préférences, le bouillon de mousserons est divin et la cuisson du foie gras est unique. L’accord le plus éblouissant est sans doute celui du foie gras et du riesling.
Les vins ont été nommés dans le menu qui nous est remis non pas du nom du domaine mais du nom de celui qui représente son domaine ou celui qui a fait le vin. L’attention est charmante.
Il faut bien vite prendre en premier le Chablis Grand Cru « Valmur » Jean Marie Raveneau 2000 pour goûter sa fraîcheur et son message floral et minéral, car le Meursault Premier Cru « Goutte d’Or » Dominique Lafon 2000 est du genre Terminator, à ne pas aimer partager la vedette. Et c’est le plat qui va permettre aux deux de briller d’égale façon, car l’huître seule préfère le Chablis quand les mousserons adorent le Meursault. Les huîtres lutées sont goûteuses à souhait.
Le Riesling Grand Cru « Rangen de Thann » Clos Saint-Urbain 2000 Léonard Humbrecht, quand on le boit seul fait un peu surmaturé, et l’amertume est un peu forte. Mais le foie gras joue un rôle déterminant car il transforme complètement le riesling qui se civilise, s’arrondit pour devenir le gendre idéal du foie.
La juxtaposition de deux monstres sacrés promet d’être passionnante. Comme le dira plus tard Jacques Puisais, ces deux frères ennemis vont en fait se mettre en valeur mutuellement. L’Hermitage rouge Gérard Chave 1998 a une attaque puissante, virile, mais derrière cette façade, il y a de jolies variations sur le fruit. Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel rouge Jean-Pierre Perrin 1998 paraît plus subtil et plus complexe, mais lorsque l’on passe de l’un à l’autre, on se prend à aimer celui que l’on boit. Après de multiples allers et retours, mon cœur penche pour le Beaucastel dont j’aime le romantisme. Mais je suis prêt à adorer les deux.
Le Gewurztraminer Grand Cru « Hengst » Léonard Humbrecht 2000 se prête avec bonheur au jeu des deux munsters, le plus jeune et le plus affiné. Sa jeunesse est quand même un handicap car je sais ce qu’il offrirait avec vingt ans de plus. Venant de boire il y a quelques jours un banyuls de 1925, j’accueille le Banyuls « la Coume » Jean Michel Parcé rimage 1985 avec amitié, sensible à son fruit exubérant. Mais là aussi, il faut à ces vins des décennies de plus pour qu’on en goûte la substantifique moelle.
Le repas fut une réussite spectaculaire. Le service et l’atmosphère sont uniques. Alain Pégouret fut fortement applaudi. J’ai revu des amis avec des milliers de promesses de se rendre visite. Cette fête de l’amitié vigneronne est un grand moment, cher à mon cœur.
Imaginons qu’un coup de baguette magique ait permis d’assister au même repas, avec les mêmes plats et avec les mêmes vins qui auraient, chacun d’eux, vingt ans de plus. Nous aurions gravi deux échelons de plus dans l’échelle du plaisir. Il serait impossible de rassembler autant de bouteilles d’un même millésime ancien pour autant de monde. Mais quel enjeu !