Les Caves Legrand organisent de façon régulière de belles dégustations avec de grands vignerons. Je n’allais pas manquer la présentation de champagnes Selosse par Anselme Selosse, vigneron atypique et emblématique de sa région.
Il commence son propos en nous disant que nous allons "travailler" en atelier, pour participer à des questions qui se posent. Il rappelle que les caves Legrand ont été le premier caviste qui a cru en Selosse. Il indique qu’ayant été en biodynamie de 1995 à 2001, il a pris un peu de distance par rapport à cette vision. Il dit que parfois on est enfermé dans un système, et l’on ne se pose plus la question de faire ou ne pas faire. Anselme réfléchit chaque année et à chaque instant à ce qu’on doit faire, et faut-il le faire ? Sa volonté est d’adopter le "juste geste". Il estime que le vin ne doit pas être le concept d’un homme. Les hommes passent et le terroir reste. Il veut que l’on voie l’originalité du lieu dans le vin et non pas un concept humain. Originalité et singularité sont dans sa recherche.
Six vins sont versés dans nos verres avec un petit décalage dans le temps, pendant qu’Anselme Selosse parle. Nous dégustons à l’aveugle et je n’ai pas modifié d’un iota ce que j’ai écrit.
Le vin n° 1 a un nez assez extraordinaire de complexité. Le premier contact est toujours très significatif et il est normal que je le magnifie. La couleur est celle du coing, que l’on retrouve aussi dans le nez. En bouche, le vin est très original, de coing, de thé, légèrement fumé, mais pas trop. Le vin est délicat, tout en finesse, avec un fruit jaune et brun. J’aime beaucoup. Pendant ce temps, Anselme parle pour une deuxième fois de "geste juste".
Le vin n° 2 a une couleur plus claire. La bulle est très présente car le vin est servi un peu chaud. Le nez est plus intense mais moins large. Le vin est un peu aqueux, toujours dans les fruits jaunes et bruns; il a un final rêche et un peu moins d’ampleur.
Le vin n° 3 a une couleur plus dorée que le n° 2. La bulle est active, le nez est plus doucereux. Là aussi, le vin est aqueux, fluide, minéral, plus vin que fruit. Le final est plus imposant.
Le vin n° 4 a une couleur de pêche dorée; le nez est plus discret de fruits jaunes. Le goût est beaucoup plus plaisant, affirmé et puissant. Il n’est plus du tout aqueux mais riche. Je l’adore. C’est un vin de belle puissance.
Le vin n° 5 est d’un or cuivré. Le nez n’est pas très affirmé. En bouche il y a de l’ascétisme. Il est un peu rêche. Pendant ce temps, Anselme nous dit qu’il fait le vin selon son goût. Il ne veut pas mettre sa griffe, mais laisser son empreinte. Il essaie de donner au vin une texture qui ressemble à la craie du sol qui le fait. Anselme dit que dans le compagnonnage on ne donne pas la réponse aux questions, mais on donne les clés pour trouver la réponse. C’est ce qu’il essaie de faire.
Le vin n° 6 a une or cuivré (il est à noter qu’avec l’éclairage ambiant, il est assez difficile de juger des couleurs, car il n’y a aucun fond blanc qui permettrait de le faire avec précision) Le nez est très riche, opulent. La bulle est fine. C’est un beau champagne, un peu rêche mais au fruit plein. Son final est très pur.
Dans mon examen, je classe le 4 puis le 6 puis le 1. Anselme nous donne la clef. Il s’agit du même vin, venant de Mesnil sur Oger, tout en 2003. Les seules variations sont celles du dosage, qui sont en centilitres et dans l’ordre : 0,00 – 0,06 – 0,12 – 0,18 – 0,24 – 0,30. Et Anselme nous annonce que le vin qu’il a retenu pour faire son 2003 est celui dosé à 0,18 cl, c’est-à-dire le n° 4 que j’ai préféré. Et, comme moi, il préfère ensuite le n° 6 plus dosé et le n° 1 non dosé. Je suis content de cette similitude de vues. J’ai remarqué que si la variation d’un vin à l’autre est constante : 0,06 cl, le saut gustatif entre le non dosé et le premier est beaucoup plus fort que les variations entre deux autres vins voisins.
Anselme dit qu’il attend de son équipe qu’ils aient de l’enthousiasme et la notion du beau. Il dit qu’un terroir, c’est une société harmonieuse. Il fait une jolie digression sur la comparaison étymologique entre saveur et sagesse.
Nous avons maintenant cinq vins, servis décalés et à l’aveugle.
Le n° 7 est un vin très clair, blanc. Le nez est discret mais profond. Le goût est radicalement différent des six premiers. Il est très pur, très strict, "sans concession", à la Selosse.
Le n° 8 a un nez très intense. Il est de couleur plus foncée. C’est un champagne plus riche, plus rond et je note pour moi : attention, je mange du parmesan, ce qui change évidemment l’appréciation. Si le 7è est droit le 8è est rond, riche et ample.
Le n° 9 est d’un or léger, au nez fermé. La bulle est active. C’est un très beau champagne épanoui, très élégant. Pour mon goût, c’est un très grand champagne.
Le n° 10 est jaune clair, au nez vineux et puissant. C’est un beau champagne évolué déjà. Il est plein et grand. J’aime beaucoup ce champagne qui coule bien en bouche, fluide, clair et grand.
Le n° 11 a un nez puissant. Comment imaginer qu’il n’est pas dosé (car Anselme a levé un coin de la solution) avec ce nez riche et cette bouche de vin riche, beau, plein et épanoui.
Il s’agit de cinq Selosse millésimés des années 2005 – 2003 – 2002 – 1999 – 1998. Ils ont tous été dégorgés hier et sont tous non dosés. Comme le dernier millésime commercialisé de Selosse est 1999, les plus jeunes sont en vieillissement. Ils viennent tous de deux parcelles d’Avize.
Je préfère le 1999 et le 2002 mais d’autres amateurs dans la salle préfèrent le 2005. Anselme explique que dans ses vins il y a de l’amertume qui provient d’un pressurage lent. Il trouve le 1999 plus facile à comprendre. Il pense que le 2005 a des arômes qui vont lui permettre de grandir encore, le 2003 étant plus strict et le 2002 très vivace.
Anselme Selosse est passionnant. C’est intéressant de l’entendre exposer ses interrogations, ses réflexions. Il a une vision du champagne qu’il essaie de pousser le plus loin possible avec humilité et conviction. Les champagnes que nous avons bus sont convaincants, rendus encore meilleur par le dosage intense de sa passion.