Mon ami Jean-Philippe cuisine comme un chef trois étoiles. Mon ami Tomo cuisine de façon très délicate. L’idée d’organiser un dîner mettant en commun les talents de mes deux amis est excitante. Si c’est l’occasion de sortir de beaux vins, le plaisir sera encore plus grand. La date est choisie. Ce sera chez Tomo.
Les ouvriers ont besoin de savoir s’ils utilisent les bons outils, aussi semble-t-il nécessaire que Jean-Philippe vérifie les équipements de Tomo. Si Jean-Philippe va visiter Tomo, pourquoi ne pas déjeuner sur le pouce ? Et si cette expédition se fait, pourquoi ne pas en profiter pour visiter ma cave ?
A 11 heures, un dimanche, Tomo et son épouse ainsi que Jean-Philippe se retrouvent dans ma cave. Ils sont comme des gamins dans une confiserie, s’émerveillant des pépites qu’on y trouve. Ma femme non présente nous a préparé un foie gras. Nous l’étalons sur des tartines de pain dans l’une des pièces de la cave. Repérant une bouteille mise de côté pour bas niveau, j’ouvre un Château Margaux en 1/2 bouteille 1970 dont le niveau est mi-épaule, mais au moment où je décapsule la bouteille, le bouchon tombe. Le nez ne traduit aucune déviation, sauf une trace de torréfié. Le goût est possible. On reconnaît un margaux, sans problème, mais le vin est dévié. Il est inutile de poursuivre l’expérience après une ou deux gorgées. J’ouvre Château d’Yquem en 1/2 bouteille 2002. La surprise est belle, car le vin est beaucoup plus généreux que ce qu’on pourrait attendre. C’est un Yquem au bel équilibre, avec de l’ampleur en bouche, porteuse de joie. Les fruits confits sont ordonnés, et ce qui me frappe, c’est l’après de l’arrière-bouche, si l’on peut dire. Après le final, il y a un retour gustatif extrêmement plaisant. Le botrytis est bien présent et cet Yquem a de belles années devant lui.
Je prends vite une bouteille pour le déjeuner et nous arrivons chez Tomo. Pour finir le foie gras, Tomo nous sert à l’aveugle un Bourgogne blanc Domaine Comte Georges de Voguë 2007. A l’aveugle, on est en Bourgogne, mais on n’ose en dire plus, car le vin est très vert et montre une acidité certaine. Dès que l’on découvre ce que nous buvons, nous accueillons avec joie ce vin qui est fait sur une terre de grands crus, et sera appelé Musigny blanc dans quelques années, dès que les vignes replantées il y a de treize à vingt-cinq ans auront les années qui leur permettent d’être appelées "vieilles vignes". Le vin s’ouvre progressivement, et ce qui frappe, c’est sa précision. Il est encore vert bien sûr mais il va s’étoffer avec quelques années de plus. Citronné, bien construit, il promet.
Tomo a tellement envie de nous faire plaisir qu’il va chercher dans sa cave des vins blancs plus intéressants les uns que les autres. On me demande d’en choisir un pour accompagner les coquilles Saint-Jacques, et mon doigt pointe le Meursault Désirée domaine des Comtes Lafon 1979. Ce vin, qui n’est pas un premier cru, a tous les attributs d’un grand cru. Sa couleur est d’un bel or glorieux. Le nez est puissant et expressif. En bouche, c’est un vin d’une belle complexité et d’un grand plaisir. J’adore ce vin qui change en bouche sur des notes citronnées, avec un bel équilibre et une longueur appréciable. Ce vin un peu imprévisible est d’un grand plaisir. Les coquilles Saint-Jacques ont été poêlées à la minute par Jean-Philippe et leur léger sucre résiduel met en valeur le blanc de belle expression.
Jean-Philippe a cuit séparément les coraux des coquilles que nous mangeons avec le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 que j’ai pris en cave. Ce vin est chaque fois une réussite. Il est tout en délicatesse. Il a le charme bourguignon joyeux, naturel, qui n’exclut pas la complexité. Il a une légère amertume bourguignonne qui lui va bien. Les coraux s’ajustent très naturellement à ce vin ainsi que le délicieux pot au feu de volaille réalisé par Tomo.
Pour la tarte douce à l’orange de Philippe Conticini, Tomo nous ouvre un Scharzhofberger Auslese Egon Müller Mosel Wein 2009 qui titre 7°. Le vin est agréable, délicat pour le beau dessert, mais il est vraiment très jeune pour mon palais.
Pendant le repas, nous élaborons le programme des vins du futur dîner et les plats qui iront avec. Ce qui a été vu dans ma cave donne des ambitions. Nous concluons sur un programme assez équilibré. Dans deux semaines, ça va chauffer chez Tomo !