L’avion traverse des régions enneigées et désertiques. Il arrive à Pékin par un temps ensoleillé. Les valises tournent sur un carrousel et jamais je n’aurais soupçonné qu’il en eût tant. Le suspense de l’attente des valises est quasi insoutenable et je me rends compte que je ne suis pas fait pour ce stress. Un homme apparemment responsable annonce que toutes les valises ont été déchargées. Je m’inquiète. Quelqu’un me demande mon nom et me dit qu’il figure sur le tableau des bagages perdus. Comment peut-il être déjà inscrit ? J’apprends que la valise n’est jamais partie de Paris, ce qui fait que Pékin a été prévenu. Le responsable des objets perdus m’indique que ma valise sera livrée demain. C’est celle qui contient tous mes vêtements.
Le fils d’un autre ami d’enfance, consultant d’entreprises à Pékin m’a dépêché un chauffeur pour me conduire à l’hôtel, attention que j’apprécie. Lorsque je vois l’affichette à mon nom, j’ai envie de m’épancher sur la perte de ma valise mais le chauffeur ne parle que le chinois. Il me dépose à l’hôtel et lorsque je me présente, on me dit qu’il n’existe aucune réservation à mon nom. Pour prouver l’erreur de la réceptionniste, il me faut ouvrir mon ordinateur portable. Et c’est là qu’il choisit de s’ouvrir deux fois en mode erreur, rendant la tension au comptoir encore plus piquante. Lorsque le mail de confirmation s’affiche, la jolie jeune fille me dit que mon hôtel se situe dans le building d’à côté. Je pense immédiatement à ma valise, car si elle apportée elle aussi au mauvais endroit, je vais passer ma semaine avec des sous-vêtements couleur isabelle.
Un bloc plus loin, une fois les formalités faites, je rentre dans ma chambre. Il y fait une chaleur de sauna. Mon ordinateur se branche sur la connexion câblée de l’hôtel et je constate que si je reçois bien des mails, il n’est pas possible de leur répondre. Au bout de quelques minutes, ma chambre ressemble à la Gare de Lyon un jours de congés d’hiver car on compte : deux informaticiens pour ma connexion internet, un spécialiste du chauffage qui se révélera aussi inefficace que les informaticiens, et une charmante jeune fille apparemment peu farouche puisque l’ayant appelée pour donner au pressing le seul linge que je porte, elle n’éprouve aucun besoin de faire semblant de ne pas regarder lorsque je lui donne les seuls accessoires vestimentaires que j’avais.
En attendant le retour du pressing, je prends une douche, car le trajet en avion en a décuplé l’envie. La pomme de douche est aussi large qu’un parasol, ce qui exclut de jouer les planqués pour passer entre les premières gouttes froides. Par un caprice de la nature, il faut cinq minutes pour que l’eau commence à se réchauffer, l’immeuble n’ayant sans doute pas de circulateur d’eau chaude. Ce moment d’éternité fait réfléchir à la condition humaine. Quand le corps est humide et que l’on se prépare à se savonner virilement, il est normal d’arrêter le jet de la douche. L’inventeur des pommes de douche trop larges devrait être écartelé par quatre chevaux Place de Grèves pour avoir inventé cette torture diabolique. Car une fois l’eau coupée, la pomme distille des gouttes qui font « floc floc » sur le crâne. De fidèles lecteurs pourraient penser que je fais une fixation sur les douches et ce n’est pas faux. Car dans les hôtels, on donne de la place en fonction du tarif choisi, mais l’espace réservé à la douche est riquiqui et l’appareillage, pour faire moderne, devient contraire au confort. Ce moment rare où l’on peut se croire l’égal d’un Caruso ou d’un Pavarotti devrait faire l’objet de tous les soins. Il semble géré plus comme une contrainte que comme un luxe. Combien de fois se pose-t-on la question de savoir où poser sa serviette pour qu’on puisse la saisir sans transformer la place en en une piscine ?
Mon linge revient, mais la jeune fille n’a pas fait laver mes sous-vêtements (je n’invente pas). Aussi vais-je acheter quelques chemises et sous-vêtements en attendant ma valise. La réception de l’hôtel me fait guider par un jeune groom de haute taille. Il est malin, car il me fait acheter avec des rabais que jamais je n’aurais envisagé de demander et il m’amuse car il essaie en permanence de me faire croire que tout me va. Il mémorise ostensiblement les chiffres secrets de ma carte bleue et plonge les yeux et les mains dans ma sacoche.
Je viens reprendre mes aventures informatiques. Celui qui s’annonce comme « l’ingénieur informatique » de l’hôtel m’a gentiment détérioré les fonctions de mon ordinateur ce que j’accueille avec une remarquable zen-attitude. Il est temps de rencontrer une femme chinoise chef d’entreprise et très entreprenante, accompagnée de deux de ses adjoints. Ses sociétés agissent dans le high-tech, mais elle a aussi formé un groupe de vente de vins rares au moyen de caves réparties sur Pékin et Shanghai. Le lien avait été créé par un ami banquier parisien qui travaille avec la Chine. Cette femme respire la volonté de gagner et commente la crise mondiale avec une hauteur de vue bien éloignée des analyses parisiennes où tout est vécu dans des atmosphères de guerres picrocholines. Nous avons envisagé ce qui pourrait créer des liens entre nos activités. Raisonner à l’échelle de la Chine bouleverse toutes les perspectives.
Remonté dans ma chambre, je constate que les rapetassages informatiques vont dans le sens du pire. Aussi bien pour la température dans ma chambre que pour l’informatique ou le débit de l’eau chaude, la bonne volonté de chacun est évidente. Le sourire est sur toutes les lèvres et l’envie de régler les problèmes. Mais l’envie, est-ce suffisant ? Une jeune réceptionniste venue rejoindre ma chambre, puisque c’est le théâtre des opérations sur une grande échelle, m’accompagne pour me faire choisir le restaurant de mon dîner. Mon choix se porte sur un restaurant japonais où mon repas frugal est accompagné d’une bière sèche.
Quand je remonte dans ma chambre, un appareil de climatisation d’appoint fait le même bruit que les avions de ligne d’avant-guerre et, comme un discours fumeux, il brasse de l’air sans refroidir l’atmosphère.
L’accumulation de ces pépins annonce-t-elle un séjour de grand bonheur ? Je me plonge sous les draps sur cette interrogation.
La seule bonne surprise du lendemain matin : le petit déjeuner