Grâce à mon frère j’ai connu il y a une dizaine d’années un architecte de grands projets qui a donné son nom à des réalisations brillantes en France et agit comme consultant en Chine sur de très importantes opérations. Il conseille des villes qui ont des populations supérieures à l’Ile-de-France et je me souviens que venant avec son épouse dans notre maison du sud il y a quelques années, il mettait la dernière main au projet d’un grand théâtre chinois. Cela fait longtemps que nous cherchons à nous voir mais nos agendas sont impuissants à s’accoupler. Avant de partir en Chine, j’avais lancé un appel en lui demandant si par hasard il ne serait pas en Chine quand j’y serai. La fenêtre de tir est d’un soir, ce soir, et Denis me rejoint avec son assistante Li Wei. Je suis tellement fatigué par les longues marches de ce jour dans le froid que je leur demande de dîner dans mon hôtel, alors qu’ils ont retenu une table en ville. Nous choisissons un restaurant qui fait à la fois chinois et italien. De premier abord on pourrait penser qu’il y a eu un effort de décoration, mais le lieu est sinistre, froid, rebutant. Cela ne fait rien, car les retrouvailles ont un parfum trop précieux.
Je parle de mes dîners à venir à Pékin en montrant les menus et Denis cherche si l’un de ses amis chinois pourrait être intéressé. C’est Li Wei qui lui suggère un nom. Denis lui dit : « appelle-le ». Elle demande d’être un peu guidée dans le message et appelle le riche ami. Par un hasard extraordinaire, l’ami sort de l’Opéra à l’instant même et son chauffeur se trouve à quelques centaines de mètres de l’hôtel. Aussi, à peine a-t-elle raccroché qu’un couple souriant d’une quarantaine d’années s’assied à notre table. La conversation se tient en chinois aussi Denis et moi entamons la conversation et Li Wei traduit. Je suis assez fasciné de voir que ce que j’exprime en une dizaine de mots prend soudain l’épaisseur du dictionnaire Littré en douze volumes. Car Li Wei, parle, parle, parle et parle encore. Elle m’expliquera plus tard qu’elle profite de chaque intervention pour rajouter quelques anecdotes qui avaient été évoquées avant leur arrivée. L’ami chinois, qui va prochainement inaugurer un grand musée dont il est le propriétaire et initiateur, pose beaucoup de questions pour comprendre le monde des vins anciens qui lui est totalement inconnu. Nous discutons longuement et l’entretien se conclut par une invitation qui m’est lancée de visiter son musée non encore ouvert pendant mon séjour. J’irai avec Li Wei qui semble appréciée par notre interlocuteur.
Il s’avère ainsi que l’amitié est importante en Chine. Car Denis apparaît comme un grand ami de ce chinois et de son épouse. Alors qu’ils rentraient chez eux, ils ont fait un crochet à cet hôtel, ont accepté que l’on parle des activités inconnues d’un inconnu, et ils envisagent de revoir cet inconnu, parrainé par Denis. Il y a en tout cela une ouverture d’esprit qui me paraît remarquable. Ce pays me surprend en bien.
Lorsque nous nous embrassons Denis et moi au moment de nous quitter, nous lançons quasiment simultanément : « si nous voulons nous revoir, prenons donc rendez-vous en Chine ! ».