Bipin Desai fait venir en Europe un groupe d’amateurs et les conduit dans les plus grands restaurants de France, de Belgique et d’Espagne, pour une semaine de trois étoiles midi et soir. C’est Bipin qui m’avait demandé d’organiser le 121ème dîner. Il me propose de me joindre à son groupe pour un déjeuner au restaurant Astrance dont le thème sera Clos de Tart. A la perspective de retrouver Sylvain Pitiot, je dis immédiatement oui. Peu de temps après, Sylvain Pitiot m’appelle au sujet d’un autre repas et j’évoque ce déjeuner. Il m’informe que la date des vendanges ne lui permettra pas de venir. Cela m’attriste, mais je ne vais pas revenir en arrière. Par un hasard extraordinaire, le bulletin que j’émets peu avant ce repas comporte une photo d’un magnum de Pol Roger Sir Winston Churchill. Patrice Noyelle, président de Pol Roger m’appelle pour me signaler qu’il a lu les paroles flatteuses sur le champagne qu’il dirige et me dit : « je viendrai à la dégustation de l’Astrance ». L’épouse de Patrice est une demoiselle Mommessin, ce qui crée le lien, Patrice se rendant trois à quatre fois par an au Clos de Tart auprès de Sylvain Pitiot qui dirige le domaine.
Bipin a réservé deux tables pour ses amis américains, un grand collectionneur belge, Patrice Noyelle et moi. Le repas conçu par Pascal Barbot comporte des plats qui montrent les multiples facettes de son talent : brioche tiède, beurre de cèpe / cuiller de parmesan crémeux / foie gras mariné au verjus, galette de champignon de Paris, purée de citron confit / langoustines dorées, nage de petits légumes au gingembre et soja, herbes sauvages / sole cuite meunière, cèpes crus et cuits / collier d’agneau, haricotes blancs cuisinés au chorizo et coques / colvert cuit au sautoir, condiment griotte / saint-nectaire fermier / capuccino amande, feuille de riz grillé, framboise en compote / vacherin glacé au miel, crème au beurre à l’huile d’(olive et citron, gelée tagette / croustillant au sorbet cassis, mousse de lait, crème de mascarpone / lait de poule au jasmin / fruits frais. Inutile de dire que ce fut grand.
Le champagne blanc de blancs Deutz 1998 a une belle bulle forte. Le goût est élégamment fumé. Le champagne est d’une belle maturité. Le final est très fort, en coup de fouet. Le Pouilly-Fumé « Pur sang » D. Dagueneau 2004 a un nez jeune et frais. Il est très élégant et agréable, mais surtout il est frais. J’ai beau chercher des caractéristiques particulières, on en revient à sa belle fraîcheur. Son final claque bien. La trame est assez neutre, mais la fraîcheur citronnée est remarquable.
Le Pouilly-Fuissé « Clos Reyssié » P. Valette en magnum 2001 a passé quatre ans en barrique avec ouillage à Chaintré. La couleur est très ambrée. En bouche, c’est fumé et l’on pourrait facilement donner vingt ans de plus. C’est très intéressant mais c’est un OVNI, objet vineux non identifié. Patrice Noyelle dit que le vin est mûr mais n’est pas oxydé. Il m’évoque certains bourgognes des années 50. La sole rééquilibre le 2001 et le rend très civilisé. Le vin a un final plein de surprises. Il est complètement hors du commun et se destine à de la grande gastronomie. D’une certaine façon, son caractère atypique me rappelle les champagnes que fait Anselme Selosse.
Le Clos de Tart 2003 est d’une couleur très grenat, beaucoup plus dense que celle du Clos de Tart 2005. Les deux nez sont très épicés. Le collier d’agneau est un plat miraculeux d’étrangeté. Le chorizo que Pascal Barbot aime domestiquer, est excitant et met en valeur les vins rouges. Le 2005 est encore très jeune mais très élégant. Le 2003 est plus charnu, plus lourd, conquérant. Le plat très épicé est fait pour lui. Le 2005 ira beaucoup plus loin que le 2003. En s’ouvrant, le 2005 devient plein de subtilité. Je n’exclue pas que le 2003 devienne un grand vin dans vingt ans. Le 2005 va braver le temps dans l’élégance pure.
Le nez du Clos de Tart 2001 est archétypal fait de poivre et de cassis. Le Clos de Tart 1999 joue sur un registre plus sage. En bouche le 1999 est excellent. Il combine une belle jeunesse avec les signes d’une maturité déjà assumée. Il m’évoque des feuilles vertes. Le 2001 est tonitruant. Il a tout pour lui. C’est l’accomplissement du Clos de Tart à ce stade de sa vie. C’est le Clos de Tart qu’on aime. Le 1999 est plein de promesses. Il va évoluer avec son don de subtilité. Le 2001 a peut-être un avenir moins certain, mais aujourd’hui il est parfait dans sa jeunesse. Le colvert ne vibre pas autant que l’agneau sur les vins.
Le Clos de Tart 1996 a une couleur assez claire. Le nez est discret. Il y a une belle épice mais un contenu assez peu étoffé. Toutefois, la crème diabolique aux cèpes et à l’huile de noisette qui accompagne le saint-nectaire propulse le 1996 à des hauteurs insoupçonnées. Je révise mon jugement sur ce vin ainsi dopé.
Mon classement des Clos de Tart est 2001, 2005, 1999, 1996, 2003. L’Aleatico Massa Vecchia 2002 exagère son raisin surmaturé au goût de pain d’épices. Je ne mords pas aujourd’hui à ce vin. Peut-être demain ?
La cuisine de l’Astrance est toujours aussi raffinée. Le collier d’agneau à lui seul mérite le voyage. Les Clos de Tart jeunes confirment leur excellence. Que demander de plus ?