Quinze vignerons de Cornas, Cairanne, Condrieu, Côte Rôtie, Crozes Hermitage, Coteaux d’Aix et Chateauneuf-du-Pape ont formé une association « Rhône Vignoble« . On pourrait dire que ce qui les rassemble, c’est la lettre « C », mais il y a aussi Vinsobres, Rasteau et Vacqueyras. Ils se réunissent périodiquement, et cette fois-ci, ce sera au domaine de Beaurenard, à l’invitation de Daniel Coulon. Celui-ci a prévu d’ouvrir au milieu de vins anciens un Chateauneuf-du-Pape domaine de Beaurenard 1880. D’autres apports sont prévus et je croyais qu’il s’agirait de Châteauneuf-du-Pape et que je serais le seul à apporter des vins « estrangers », mais en fait il y aura des vins anciens de toutes régions.
Daniel m’a réservé une chambre à l’hôtel de la Mère Germaine. J’arrive la veille des deux jours de festivités et me présente le nez en l’air à 16h15 à l’hôtel. Sur la porte, une pancarte : « ouverture à 18h30 ». J’ai l’air malin devant la porte close. En face de l’hôtel il y a un caviste et c’est une dame d’un âge avancé qui m’accueille. Elle a le numéro de portable du patron de l’hôtel, mais m’apprend qu’il est en vacances. Etant là, je lui dis : « savez-vous que le plus grand Châteauneuf-du-Pape que j’aie bu est un Château Fortia 1943 ? ». La dame fait un sursaut et me dit : « savez-vous que mon grand père était le régisseur de Château Fortia en 1943 et savez-vous que j’y suis née trois ans auparavant ? ». Coïncidence ou signe du destin ?
Etant installé dans un café PMU où l’on parie en direct en suivant les courses à la télévision, je fais signe à Daniel Coulon qui me fait prendre au café et m’accueille à son domicile où je fais le semblant de sieste que je comptais faire à l’hôtel. Mes bouteilles vont rejoindre la cave de Beaurenard et je demande à Daniel de voir sa 1880. A travers la bouteille poussiéreuse, je peux mirer un liquide qui me paraît fort sympathique. La bouteille a été rebouchée et le niveau est parfait. Daniel me montre la cave de son grand-père où subsistent quelques reliques et me fait part de ses soucis concernant les niveaux et les risques de coulure. A titre d’exemple, il me montre une 1929 dont la capsule est à peine suintante. Je tends la bouteille vers la lumière, pour voir un liquide d’une grande pureté, et je vois que le bouchon flotte dans le liquide. Et je dis à Daniel Coulon : « la bouteille est morte, pourquoi ne pas la boire ce soir ? ». Coïncidence ou signe du destin ?
Je rejoins mon hôtel qui aurait beaucoup de mal à avoir le premier A du triple A, et je reviens au domicile de Daniel et Isabelle Coulon. Je décapsule la Châteauneuf-du-Pape domaine de Beaurenard 1929 et l’odeur est parfaite. Nous sentons tous les trois et nous prenons conscience qu’il s’agit d’un très grand vin.
La couleur du vin a encore assez de rubis pour que nous ayons l’espoir. En bouche, ce qui est impressionnant, c’est que l’attaque est dans le fruit. Un tel fruit rouge est impressionnant. C’est en fin de bouche que des notes légèrement torréfiées correspondent à la chute du bouchon, dont on ne peut pas exclure qu’il ait été en place et n’ait glissé que quand la bouteille a été saisie. Nous sommes saisis par la vivacité de ce vin généreux, d’une présence extrême. Daniel est étonné par l’abondance du sucre dans ce vin.
Avant d’en profiter à table, je demande à Daniel s’il a un vin d’introduction et il ouvre un Châteauneuf-du-Pape domaine de Beaurenard 2009. Dans sa jeunesse, c’est un chien fou qui promet diablement. J’aime le velouté que l’on sent sous le boisé. C’est un vin qui promet et le 1929 nous montre à quel point en buvant un 2009, on ne boit que l’ébauche d’une promesse, même si c’est bon.
Sur des médaillons de veau et des petites pommes de terre, nous dégustons le 1929. La première partie a été fruit et léger torréfié. La deuxième partie se caractérise par une couleur plus foncée mais plus tuilée. Le fruit disparaît et le torréfié prend de l’importance. On pourrait imaginer que le vin est en train de s’évanouir, l’alcool et le sucre prenant le dessus. Mais dans toute histoire il y a un « mais ». Car le fond de la bouteille, la lie, est tout simplement sublime. Il y a une vivacité, une sincérité extrême et une empreinte indélébile.
Il est intéressant alors de revenir au 2009 et Daniel nous dit que jamais il n’a pris conscience comme ce soir de la nécessité de ne pas boire ses vins trop tôt. Car son 2009 si plaisant deviendra bientôt (dans vingt ans) tellement plus grand que c’est une erreur de boire ce vin déjà si adorable. Nous avons parlé dans une atmosphère d’amitié et de complicité et ce 1929 a joué le rôle d’un ciment de notre amitié. Nous avons pensé à l’arrière grand-père de Daniel qui aurait été heureux qu’un 1929 se boive d’aussi belle façon. Coïncidence et signe du destin ont permis ce dîner émouvant.
Demain nous allons rejoindre un vigneron de Cairanne pour chercher les truffes « à la mouche ». Ma nuit sera peuplée de beaux rêves.