Lorsque j’avais fait une conférence avec une dégustation de vins anciens pour des élèves de Sciences Po, le dîner qui a suivi avec une poignée d’entre eux nous a fait évoquer mille pistes pour nous revoir. Les animateurs du club œnologique de Sciences Po ont créé un concours entre des grandes écoles ou des universités de France et de Grande Bretagne. Avec humour, ils ont appelé leur concours « SPIT » (Sciences Po International Tasting). Je n’allais pas cracher sur leur invitation de participer au jury qui désigne les gagnants, au côté d’Olivier Poussier. Le concours a lieu dans les celliers de la maison de Champagne Bollinger à Ay, et Jérôme Philipon, directeur général de Bollinger et Matthieu Kauffmann, chef de caves, complètent le jury avec un amateur dégustateur que l’on me présente comme « blogueur ».
Douze équipes composées de trois personnes de chaque école vont s’affronter sur des connaissances théoriques et des dégustations. La présence féminine est significative. Le premier questionnaire est sur la Champagne. Je réponds correctement à trois questions sur cinq. Pour le moment, je ne suis pas décroché des candidats. Trois groupes de vins donnent lieu à six questions théoriques et à la dégustation de trois vins, qui elle-même donne lieu à des questions. Pour les champagnes, je réponds à une question sur six, et j’ai tout faux aux questions de la dégustation car il fallait classer trois champagnes (évidemment Bollinger) du plus jeune au plus vieux et donner le millésime du plus vieux. Ce qui me console c’est qu’Olivier Poussier, incollable sur toutes les questions d’érudition, a annoncé 1997 pour le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1990. Ce champagne très opulent s’exprime sur des saveurs de brioche, de pâtisserie et de beurre. Le final très long est brioché. C’est un champagne de grande finesse. Le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1995 est un champagne dont Matthieu Kauffmann est très fier. Je l’ai jugé plus champagne, plus rond et plus raffiné, car le 1990 montre des signes d’évolution. Le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1992 a un nez plus discret. Il est joyeux, élégant et Matthieu indique qu’il est un peu botrytisé. Jérôme Philipon est heureux que pratiquement tout le monde se soit trompé de dix ans sur ces champagnes, qui restent jeunes plus longtemps qu’on ne le croit.
Dans ce compte-rendu, j’indique mes performances au concours, mais évidemment les membres du jury ne sont pas là pour concourir. C’est l’envie de jouer qui nous a animés. Pour les vins blancs, j’ai 25 points sur 40, alors qu’aucun groupe n’a dépassé 26. Je ne suis pas peu fier. Sur les trois vins, on nous a demandé – non, on leur a demandé – lequel est un mono cépage et je dois à la vérité de dire que je n’ai trouvé riesling que quand quelqu’un l’a soufflé, ce qui fait que, dans ce concours fictif, je ne compte pas cette réponse. Il s’agit d’un Riesling Jubilée Hugel 2004. Pour les deux autres vins on demande les cépages et la région. Alors que la reconnaissance des cépages n’est pas du tout un objet de recherche pour moi, car pour les vins anciens, ce facteur n’a pas l’importance qu’il a pour les vins jeunes, je trouve bien sauvignon et sémillon pour le « Y » d’Yquem 2006 que je situe du côté des graves. Et je trouve bien roussanne et marsanne pour le Saint-Joseph François Villard -Mairlant 2007 que je situe plutôt dans les Châteauneuf-du-Pape. A noter qu’Olivier Poussier donne le nom du domaine avant que la réponse ne soit énoncée par le meneur de jeu. C’est assez impressionnant. Les réponses des candidats sont assez disparates, mais il y a des groupes brillants.
Pour les vins rouges, je réponds bien à quatre questions sur six et pour la dégustation, mes résultats sont moins brillants. Je découvre toutefois le cépage commun aux trois vins qui est le pinot noir. On demande quel est le vin étranger. Je le trouve et je le situe en Amérique alors que c’est un Cloudy Bay de Nouvelle Zélande, très fruité, cassis et fruits noirs, hyper riche. Je suis incapable de trouver où se situe le vin qui se révèle être un Sancerre Les Grands Champs A. Mellot 2006, vin racé, très fin au final hyper boisé. Et si je pense à la Bourgogne pour le troisième vin, je le situe à Morey-Saint-Denis alors qu’il s’agit d’un Bourgogne générique Leroy 2000.
A ce stade, les résultats sont compilés et il ne reste que trois finalistes, l’Ecole Normale Supérieure (ENS), l’ESSEC, et Cambridge, gagnant de l’an dernier. Les candidats ont dix minutes pour analyser deux vins et cinq minutes pour les présenter, l’un des trois représentants de l’école étant seul devant le jury. Fort curieusement, on demande au jury de juger leurs descriptions, sans indiquer de quels vins il s’agit. Juger de la pertinence d’une description sans savoir si elle est exacte, voici un exercice de haut vol.
Nous écoutons les trois candidats. Cambridge a demandé à la seule femme de leur groupe de présenter leur analyse, et son exposé est construit, cohérent et structuré. Tous les exposés sont bons. Nous délibérons et c’est naturellement Olivier Poussier que l’on écoute, car il a l’habitude de ces concours. Les organisateurs demandent aux membres du jury s’ils ont reconnu les vins. Je suis le seul à avoir trouvé l’année du Champagne Bollinger Grande Année 1988. Et j’ai indiqué Pauillac 2001 alors qu’il s’agit de Château Mouton-Rothschild 2004. Ne pas reconnaître Mouton, ce n’est pas bien, mais personne ne l’a trouvé. Le gagnant est une nouvelle fois Cambridge suivi de l’ESSEC et de l’ENS.
Par une splendide journée de printemps nous prenons l’apéritif dans le jardin de la demeure de la famille Bollinger avec un Champagne Bollinger Spécial Cuvée agréable à boire après ces épreuves et qui trouve sa voie gastronomique sur le menu préparé par le traiteur Philippet pour le déjeuner dans le cellier : dos de sandre en vapeur d’écrevisse, petites carottes glacées / filet mignon de porcelet braisé aux raisins, réduction de ratafia et petites grenailles au thym / blanc manger de fruits du moment, coulis de fruits et petits sablés.
Le Champagne Bollinger Grande Année 2000 est un excellent compagnon des plats réussis. Il n’a pas la longueur de certaines années, mais il est frais et précis. Le Champagne Bollinger rosé sans année mériterait un dessert moins sucré pour exprimer sa belle personnalité. Une visite de caves est prévue après le déjeuner, mais je m’éclipse car il me faut aller ouvrir les vins pour un dîner d’anthologie. L’organisation faite par Sciences Po a été exemplaire d’efficacité, la maison Bollinger a permis un bon déroulement du concours, et je crois avoir, en racontant ce que je bois, créé des envies chez des jeunes au talent de dégustation impressionnant.