Tours-sur-Marne est une coquette bourgade de la champagne, perdue au milieu des vignes. Au cœur de l’automne, quand les ceps ont fini de livrer leurs trésors, les feuilles se parent de mille couleurs pour un dernier spectacle de pure beauté : le vert bien sûr, pour rappeler que les vignes furent jeunes, le jaune doré et le rouge sang pour suggérer les liquides magiques qu’elles ont donnés et le noir d’encre pour que l’homme qui dompte ces lianes se souvienne que tout ici est mortel. Un joli soleil fait briller cette féerie. Nous arrivons au siège de Laurent Perrier, devant une devise comminatoire : « ne buvez pas d’eau ». Le jury du concours du meilleur caviste indépendant du monde se retrouve après la préparation que nous avions faite au « Petit Verdot » (bulletin 152). Les dix candidats cavistes sont de sérieux phénomènes pour avoir passé l’épreuve d’un questionnaire qui aurait certainement éliminé bon nombre de membres du jury (moi bien sûr) du fait de l’extrême complexité et de l’étendue des sujets. Ils sont tous fébriles, anxieux, car l’épreuve qui vient est la description et la reconnaissance de sept vins. Le jury les goûte en sachant ce qu’ils sont et prend des notes pour pouvoir jauger la pertinence des descriptions. Chaque caviste a le choix entre trois réponses pour un vin, ce qui est déjà une précieuse indication. Malgré cela, l’épreuve est si difficile, même pour des gens très doués, que le taux de découverte des vins ne dépassera pas 50%. Les descriptions sont amusantes. Parfois d’une exactitude remarquable, souvent d’un lyrisme scolaire, et quelquefois totalement à coté du vin goûté. La palme revient à un candidat qui a trouvé de la tige de pivoine (pas la fleur, la tige) dans un vin. Les réponses furent globalement très compétentes pour des vins difficiles : Jasnières Domaine Renvoisé 2001, Mendoza, Torrontes Santa Julia 1999, Brouilly domaine Longuefay 2004, Amarone della Valpolicella domaine Righetti 2001, Carmenere Tabali reserva, Chili 2002, Moscato di Pantelleria liquoroso « Tanit » domaine Miceli Sicilia, single malt Scotch Whisky caol-ila Dun Bheagan 12 ans. Inutile de dire que ce n’était pas simple.
Un succinct déjeuner avec les candidats et nous dépouillons les réponses pendant que l’épreuve d’un questionnaire se déroule. La partie la plus passionnante sera la présentation du coup de cœur. Chaque caviste a apporté un vin qu’il aime et le justifie au jury. Certains vins furent des découvertes assez époustouflantes car ces malins gaillards ont déniché des petits trésors. J’en cite deux ou trois.
Un Saumur 2000 Clos Rougeard « Brézé » qui titre 12,5°. Ce blanc a un nez d’une puissance rare, beurré de mille fleurs, presque salin. En bouche très floral, iodé, passionnant. Le Grasberg 2002 de Marcel Deiss titre 13° et se compose de trois cépages alsaciens. Le nez de fruits exotiques précède une amplitude en bouche élégante, florale, saline qui finit en bonbon acidulé.
Un caviste a apporté une Commandaria de Chypre St John non millésimée absolument délicieuse évoquant au nez les Banyuls les plus délicats. Il eut cette phrase admirable : « sentez ce vin, il sent le billet d’avion qui vous emporte vers d’autres mondes ».
Le Jurançon 1991 cuvée la Quintessence du Domaine Bru-Baché titre 13,5°. Un nez très opulent, franc, séducteur. En bouche, le coing, le fruit élégant, frais, à peine sucré. Quelle présence en bouche ! Fort et imprégnant, c’est un exemple du beau Jurançon.
Une des présentations, très technique, insista sur un jeune vigneron atypique qui fait tout à contrecourant, soignant ses allées à la pince à épiler, chouchoutant ses bourgeons à la lampe à bronzer. Le résultat est un jus de cassis poivré moins bon que s’il était fait avec du cassis. Je ne citerai pas ce vin du pays de l’Héraut, dont seul l’intitulé « garance » avait une gueule d’atmosphère.
La lecture de la liste des quatre finalistes est aussi cruelle que lors de la désignation de Miss France. On dit aux jeunes et jolies filles : « même si tu n’es pas nommée, tu souris ». Le sourire forcé de ces beautés est presque insoutenable de souffrance intime. Là, les déçus ne cachent pas leur sentiment d’injustice. Ils font bonne figure peu après, mais on sent la blessure profonde du candidat écarté.
La dernière épreuve est un jeu de rôle. Le candidat a cinq minutes pour conseiller Enrico Bernardo, mis à contribution car il reste deux italiens en piste qui s’exprimeront dans leur langue, qui veut acheter des vins pour un dîner. Voir le meilleur sommelier du monde 2004 répondre à un caviste : « vous savez, je n’y connais pas grand-chose, je m’en remets à vous » vaut le détour. Le gagnant fut un caviste italien au charme certain soutenu par une connaissance extrême car il avait entre autres gagné l’épreuve de la description et reconnaissance des vins à l’aveugle.
Comme dans tous les albums d’Astérix l’histoire se finit par un festin, mais là, contrairement aux ripailles gauloises, on laissa les bardes chanter à tue-tête, puisque Georges Lepré, chanteur au talent achevé, montra au lauréat que le bel canto, c’est en France qu’on sait le pratiquer. Et le président de la fédération des cavistes troussa joliment un air d’opérette, en duo avec Georges.
Un médaillon de lotte, un carré de veau de lait sous la mère, un millefeuille de framboises mettent en valeur les champagnes de la maison Laurent Perrier dont un très intelligent ultra brut, un brut millésimé 1996 en magnum délicat et une opportune cuvée Laurent Perrier rosé brut en magnum. Cela ponctuait une bien belle journée qui a mis en valeur la compétence de cavistes brillants.