Le thème du cinquième repas de notre week-end de folie, c’est l’année 1989, naturellement trouvé grâce aux apports des amis. Ce soir, il y aura du très lourd, puisque c’est le dîner de gala, aussi est-il jugé opportun de supprimer l’apéritif au déjeuner, pour garder des forces.
Mais dans chaque groupe d’êtres humains il y a des « traîtres » dont l’un – perfide – me demande pourquoi je n’ai pas prévu de champagne. La vie est ainsi faite.
Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990 est toujours aussi solide et agréable, celui-ci s’exprimant beaucoup plus que lors d’un récent essai. Nous tranchons un long saucisson fait au belota belota, ce qui est original.
Le quasi de veau basse température est accompagné de fines tranches de pomme de terre juste poêlées. Jean-Philippe a conçu une sauce qui doit capter les tannins des deux vins. Elle est de grande pertinence mais je préfère approcher les deux vins merveilles sur la chair seule.
Le Château Tertre Roteboeuf Saint-Emilion 1989 est d’une grande richesse de tannins et ce qui frappe, c’est sa profondeur. Le message est assez simplifié, mais le vin a une grande cohérence. Comme pour le Dujac de l’autre soir, s’il était seul, il serait salué par des applaudissements. Il s’étoffe dans le verre, prend de l’aisance et se montre très plaisant.
Mais son voisin de plat est le Château Latour Pauillac 1989 qui marque un saut qualitatif déterminant. Ce vin est un bordeaux parfait. Il a l’élégance, la noblesse, la complexité mais surtout, son exposé n’en finit pas. Quand en bouche on croit avoir tout compris, il rajoute de nouvelles saveurs. Si le Tertre fait penser à des fruits noirs dont du cassis écrasé, le Latour est plus dans des fruits roses noirs comme des cerises. Ce qui est important pour moi, c’est ce message qui n’en finit pas.
L’épaule d’agneau a été cuite au basilic ananas avec une huile espagnole. Le Vega Sicilia Unico 1989 est depuis longtemps l’un de mes chouchous, probablement le meilleur des jeunes VSU. Le vin est d’une jeunesse insolente, car on a un jus riche en alcool comme celui d’un vin de quinze ans de moins. Et le charme agit car je ressens des brassées de plantes, dont des méditerranéennes, comme le romarin, le thym, et le basilic judicieux de Jean-Philippe. Il y a aussi du fenouil, de l’anis et le final est marqué par une extrême fraîcheur. Qu’on ne me demande pas d’être objectif, je ne le peux pas.
Le dessert est de mangue rôtie et pamplemousse rose confit au miel d’acacia avec quelques zestes de pamplemousse. La couleur du plat est strictement la même que celle du Château d’Yquem 1989 doré magnifique. La fusion entre le plat et le vin est saisissante. On n’est pas tenté de chercher la valeur intrinsèque du vin, puisque l’accord fusionnel nous propulse à des hauteurs himalayennes de gastronomie. Nous sommes tous saisis par cette perfection et l’Yquem, au sucre parfaitement intégré, récite les saveurs de miel, de mangue et de pamplemousse dont le dessert lui a donné le miroir. C’est irréellement bon.
Nos votes sont très différents. Jean Philippe a mis Latour en premier. Mon vote est : 1 – Yquem 1989, 2 – Vega Sicilia Unico 1989, 3 – Latour 1989, 4 – Tertre Roteboeuf 1989.
Nous avons eu la démonstration que l’année 1989 est encore d’une étonnante jeunesse, certains vins étant très loin d’avoir atteint leur maturité. Ces cinq repas qui se succèdent ont tous des personnalités différentes. Il faut vite se reposer, car ce soir, c’est le feu d’artifice.
fusion des couleurs et des saveurs avec l’Yquem