Thierry Gardinier reçoit à dîner quelques courtiers ou distributeurs de la place de Bordeaux au château Phélan-Ségur, belle demeure à l’architecture stricte voire militaire. Nous serons huit.
Je suis arrivé suffisamment tôt pour ouvrir les vins que j’ai apportés qui sont un petit clin d’œil amical à Thierry Gardinier. Le Taillevent a créé un « dîner Curnonsky » avec les cinq vins consacrés par le « Prince des Gastronomes ». J’ai donc apporté deux vins sacrés par Curnonsky, d’un âge plus canonique que ceux du repas de Taillevent, pour titiller amicalement mon hôte. J’ouvre mes deux vins dont les parfums sont diaboliques. Le menu ayant été composé sans qu’on connaisse mon apport, le Château Chalon ira naturellement avec les fromages et ce serait dommage d’y associer aussi le Clos de la Coulée de Serrant. La seule place possible pour lui sera avec le champagne d’apéritif.
Lorsque les invités arrivent, dans la salle de dégustation, Véronique Dausse nous invite à une petite verticale de son vin, de 2006 à 2012 avec trois verres supplémentaires pour 2013 qui sera goûté dans moins d’un mois à l’occasion de la fameuse semaine des primeurs.
N’étant pas un spécialiste des vins jeunes, mes commentaires sont instinctifs et à juger comme tels.
Le Château Phélan-Ségur composante merlot 2013 est raide, serré, mais de belle matière.
Le Château Phélan-Ségur composante cabernet 2013 a moins de matière. Il est plus léger.
Le Château Phélan-Ségur 2013 avec un assemblage qui n’est pas définitif est élégant et de belle structure. Pour mon goût, le merlot est le plus vibrant. Ces trois versions du 2013 me font m’interroger sur les réserves qui ont été émises sur ce millésime. Les rendements sont faibles, mais le vin est bien présent dans le verre.
Le Château Phélan-Ségur 2012 a un beau cassis gourmand. Il a de la finesse. C’est un très joli vin élégant.
Le Château Phélan-Ségur 2011 est plus strict. Il faut l’attendre.
Le Château Phélan-Ségur 2010 est joli, très pur, tout en retenue. Il est équilibré au final toasté.
Le Château Phélan-Ségur 2009 est élégant, avec un beau corps et un beau final, mais je m’attendais à mieux.
Le Château Phélan-Ségur 2008 est plus fermé et plus strict
Le Château Phélan-Ségur 2007 est élégant, léger et très agréable
Le Château Phélan-Ségur 2006 est un beau vin épanoui, avec une opulence de vin accompli.
Mes deux préférés sont le 2012 et le 2007, vins de grâce pure, et pour le 2013, le merlot.
Ce qui ressort de ce court voyage, c’est que les vins sont tous élégants, avec un final un peu toasté. Il y a beaucoup d’équilibre et aucun excès ne vient forcer le talent au-delà du raisonnable. C’est tout à l’honneur de ce château de faire un vin tout en mesure, un peu à l’instar de Haut-Bailly, lui aussi fait par une femme. Encore un stéréotype du genre !
Nous nous rendons ensuite dans l’un des salons du château pour l’apéritif et le dîner.
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Nous sommes huit au château Phélan-Ségur et nous venons de faire une petite verticale de 2006 à 2013 de ce vin. Dans le très joli salon du château, Thierry Gardinier nous invite à prendre l’apéritif. L’un des convives, Pierre, a apporté un Champagne Lanson 1975 dont la bouteille a la caractéristique forme de quille du passé de cette maison. Lorsque le bouchon est enlevé, aucune trace de pschitt. Le vin est très ambré. Il n’a plus de pétillant. Il pourrait être agréable s’il n’était amer. Il est oublié au profit d’un Champagne Lanson Noble Cuvée 1985 pétillant, vivant et de belle expression. C’est un vin stylé.
Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses magnum 1986 fait partie des grands Clos des Goisses. Il a tout, la vivacité, l’épanouissement, la joie de vivre. Il est très beau. Je le trouve généreux et superbe.
A côté de lui on a mis le Clos de la Coulée de Serrant Savennières Mme A. Joly 1970 que j’avais apporté. Voilà un vin extraordinaire dont on peut dire qu’on n’arrive jamais complètement à le connaître. Car il est changeant, énigmatique, kaléidoscopique. C’est un très grand vin d’une complexité folle, mais la cohabitation avec le champagne ne lui profite pas vraiment. Il lui aurait fallu un plat pour qu’il montre tout son talent. Nous avons toutefois apprécié ces deux grands vins, le Philipponnat et le Savennières particulièrement brillants.
Nous passons à table et le menu prévu par le chef du château est : rognons de veau dorés au sautoir, pommes rattes et piquillos / Pithiviers de tradition au canard, foie gras et truffes noires / fromages affinés de Maître Xavier / tarte au chocolat, glace vanille Bourbon et crème au café.
Les vins sont servis à l’aveugle mais nous savons que ce sont des Phélan-Ségur.
Pour la première série, je me suis joyeusement trompé sur les années, mettant le curseur à des années de plus. Le Château Phélan-Ségur 1981 est un vin immense et étonnant de grandeur. Par rapport aux jeunets que nous avons bus dans la salle de dégustation, il y a un monde. Nous sommes frappés par les couleurs profondes de tous les vins.
Alors que sur le papier, j’aurais dit que le Château Phélan-Ségur 1971 gagnerait face au 81, c’est le contraire. Le 1971 est grand, très charpenté. Mais le 1981 est plus éblouissant.
Dans la série qui suit, que de surprises ! Le Château Phélan-Ségur 1991 est d’une année que personne n’aurait soupçonné à ce niveau. Il est associé à deux vins qui vont nous surprendre.
Ce Château Phélan-Ségur 1961 a été ouvert deux heures et demie avant le repas et carafé tout de suite alors que l’autre Château Phélan-Ségur 1961 a été ouvert au même moment et carafé quelques minutes avant le service. Que constate-t-on ?
Contre toute attente, le 1991 est meilleur que les deux 1961. Bien sûr, le 1991 n’a pas la matière ni la vigueur des 1961, mais on sent très nettement que les deux 1961 n’expriment pas la grandeur de l’année. Le 1961 carafé depuis plusieurs heures est meilleur que le 1961 carafé récemment. Peut-on en conclure quelque chose ? Ce n’est pas évident, car l’écart entre deux bouteilles peut jouer plus que l’écart de temps au carafage. Mais c’est intéressant.
Le Pithiviers est probablement un plat un peu lourd pour mettre en valeur ces vins subtils. Mais le plat n’a gêné en rien notre approche de ces vins.
Il ne sera pas difficile de choisir le vainqueur des vins rouges de ce soir. Car le Château Phélan-Ségur 1955 est éblouissant. Il a tout pour lui, le charme, l’élégance, la puissance et la joie de vivre. C’est un vin au sommet de sa forme, comme cela arrive souvent avec les 1955. Le fruit est beau et généreux.
De ces Phélan-Ségur d’années en 1, celui qui gagne est celui qui n’est pas en 1, le 1955. Mon deuxième chouchou est le 1981. Le 1991 aura le prix de la plus belle surprise.
Le Château Chalon Fruitère Vinicole de Voiteur 1959, deuxième vin « Curnonskien » que j’ai apporté est immense. Il est au sommet de son épanouissement, riche, claquant sur la langue et donnant un accord divin avec le Comté. C’est un très grand Château Chalon avec une plénitude unique. Quand il emplit la bouche, c’est de l’or fondu.
Le Quinta do Noval Porto Tawny Colheita 1964 est gourmand mais je trouve qu’il manque un peu de fruit, emporté par sa puissance alcoolique.
En revenant au Clos des Goisses, je suis conquis par ce champagne superbe.
C’était un dîner d’amis. Mais ce fut l’occasion d’ouvrir des années rares de Phélan-Ségur dont certaines venant des caves des convives puisque le château n’en a que très peu. Et la démonstration est concluante : Phélan Ségur est un vin élégant, traditionnel, qui jamais ne force son talent. On s’aperçoit que les vins récents s’inscrivent dans la ligne d’excellence des millésimes anciens de ce beau Saint-Estèphe.
Un château qui est capable de produire un 1955 de cette trempe ne peut pas ne pas être un grand vin. Longue vie à ce château.
L’ouverture de mes vins
la dégustation des vins jeunes
les vins du repas