Tous les deux ans, l’association Rhône Vignobles organise une manifestation sur deux jours, avec pour le premier jour un atelier de dégustation de vins anciens dirigé par Georges dos Santos, célèbre caviste lyonnais, et moi-même, suivi d’un dîner de vins anciens. La deuxième journée qui se passe chez l’un des vignerons permet de recevoir leurs clients et amis avec dégustation de vins anciens des domaines puis déjeuner festif et gourmand dans les chais du vigneron qui reçoit. C’est la quatrième fois que se tient cette réunion de vins anciens.
Dès 9h30 du matin je suis à pied d’œuvre au restaurant Michel Chabran pour ouvrir mes vins, car j’ai prévu des grands formats qui nécessitent un long temps d’aération. Je suis assez nerveux, car si un vin en grand format n’est pas bon, cela posera un problème.
J’essaie d’ouvrir le jéroboam Corton-Charlemagne Caves de La Reine Pédauque 1949 et je ne trouve en haut de goulot que de la poussière de bouchon qui s’émiette. C’est avec le dos d’une cuiller que j’enlève le haut du bouchon ce qui allège la partie que je vais pouvoir extirper au tirebouchon sans que rien ne tombe dans le vin. Je sens le vin et j’ai bon espoir, car aucun défaut n’est perceptible.
Le jéroboam de Château La Gaffelière Saint-Emilion 1964 a une cire toute craquelée que je nettoie. Le bouchon vient entier, mais la partie inférieure est très comprimée et resserrée. L’odeur du vin n’est pas désagréable mais trop incertaine pour que je sois rassuré.
Le clou de ce que j’ai apporté pour cette réunion est un jéroboam de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957. Les prix des vins de ce domaine ont tellement explosé qu’un tel vin paraît impensable dans un tel atelier mais la raison de mon choix est la suivante : pour ouvrir une bouteille de ce format il faut une grande assemblée. Je n’ai pas un groupe d’amis tel que je puisse l’ouvrir. Je ne désire pas vendre les vins de ma cave autrement que dans des dîners, car vendre des vins c’est alimenter la spéculation, alors que les vendre dans des dîners n’alimente pas la spéculation puisque les vins sont bus. Ayant toujours reçu de Rhône Vignobles un accueil d’une grande amitié, il m’est apparu que l’issue de cette bouteille serait avec ces amis. Le niveau dans la bouteille est un peu bas mais tout-à-fait acceptable. La forme du verre de cette bouteille est telle que le diamètre du bouchon est presque celui du bouchon d’une bouteille. Le bouchon est noir en haut et dès que je veux piquer le tirebouchon je sens que le bouchon descend. Panique ! Avec des trésors de douceur j’arrive à piquer le tirebouchon dans le bouchon et, ouf, il remonte. Le premier nez est très discret et il n’a pas de défaut apparent. C’est une bonne nouvelle. Je reviendrai dix fois le sentir et j’assisterai à son éclosion qui d’heure en heure gonfle mon espoir.
Le double Magnum Château Branaire (Duluc-Ducru) Saint-Julien 1979 m’avait fait une mauvaise surprise, car le bouchon flottait au moment où j’ai voulu le mettre dans ma voiture. Je ne l’ai pas écarté, mais plusieurs bouteilles de secours sont venues compléter ma cargaison. Lorsque j’enlève la capsule, le vin n’a aucune mauvaise odeur. Il est très probable que le bouchon était bien en place dans ma cave et qu’il est tombé en prenant la bouteille. Nous verrons.
Tandis que j’officie, l’un des vignerons, Laurent Combier, m’apporte les vins qu’offrent trois vignerons. Pour prendre de l’avance, je les ouvre. Laurent m’apprend qu’un déjeuner pot-au-feu est prévu à son domaine. Je préviens vite mon fils qui est en train de courir dans les vignes pour qu’il soit prêt à l’heure dite.
L’apéritif se prend dans un hall ouvert du domaine Combier. N’ayant pas pris de manteau, je suis rapidement gelé. On peut boire des vins étrangers. Il y a un Orto Vino Bianco di Venezia 2016 fait par Michel Thoulouze sur une île proche de Venise. Je n’aime pas son excès de puissance, alors que le Terminim Cépages d’Or Alder Springs Vineyard 2017 fait par François Villard et Donald Pats en Californie à Mendocino County a une élégance subtile qui me convainc. Georges a apporté un Sherry Mackenzie & Cie Amantillado qui doit avoir plus de soixante ans et se présente comme un Xérès de grande qualité. Le pot-au-feu est en deux services, le bouillon seul, puis viande et légumes. Il est délicieux et roboratif.
Je m’éclipse vite, avant que l’on tire les rois avec des galettes, car les ouvertures n’attendent pas. Lorsque j’arrive au restaurant, oh stupeur, une serveuse ‘bien’ intentionnée, alors que j’avais clairement demandé qu’on ne touche à rien, a entassé les uns sur les autres les bouchons et les capsules que j’avais disposés dans des assiettes séparées pour qu’on puisse les reconnaître. Quand je suis contrarié, normalement, ça se remarque.
Il fait très chaud dans toutes les pièces de l’hôtel aussi allons-nous faire le tri des bouteilles à prendre ou ne pas prendre dans le jardin, le critère d’exclusion, tant il y a de flacons, étant plutôt celui de l’âge, les jeunes étant mis de côté.
Nous déterminons l’ordre de service, entre atelier et dîner, Georges et moi, et ceux qui nous regardent faire sont étonnés de nous voir nous mettre d’accord aussi vite. Il n’y a pas eu l’ombre d’un désaccord. Les bouteilles sont alignées dans l’ordre de service. Il faut maintenant ouvrir. Georges participe avec moi à cette opération et si nous n’étions pas dans cette ambiance amicale et joyeuse, sa méthode m’aurait fait m’évanouir. Georges plante son tirebouchon et d’un coup sec très vigoureux, il sort le bouchon en moins d’une seconde. Et ça marche. Tant mieux. Mais la suite vaut son pesant d’or. Il se verse un verre, goûte le vin, reverse le reste dans la bouteille qu’il couvre d’un film plastique en faisant un nœud avec le film lui-même. Si Georges estime que ça donne de bons résultats, vive la diversité ! Mais c’est un coup de poignard à l’oxygénation lente.
La dégustation démarre à 17 heures. Nous sommes 21 et il y a 18 vins à goûter. Je fais un court speech pour expliquer comment je conçois la dégustation des vins anciens et beaucoup m’ont remercié de cette introduction qui a permis qu’au lieu de rechercher les défauts, ils se soient astreints à rechercher les qualités.
Georges ne veut pas servir le Château Grillet 1981 qu’il annonce fortement bouchonné. Je lui demande de le goûter mais il ne veut pas, craignant que cela abîme la dégustation des vins qui suivent. On verra plus loin que les résurrections existent.
Le Corton-Charlemagne Louis Latour 1942 Ancien Domaine des Comtes de Grancey a un très beau parfum un peu laiteux mais très agréable. La bouche est d’une belle acidité. Le vin est élégant.
Le Château Hautes-Graves d’Arthus Saint-Emilion 1971 a une couleur très foncée et un nez un peu bouchonné. Le finale est un peu glycériné. Ce vin est plus fatigué que ce qu’un 1971 devrait être. Il est poivré et certains pensent qu’il est hermitagé.
Le Château Margaux 1964 est bouchonné.
Le Bourgogne Aubert et Pamela de Villaine à Bouzeron 1979 a un nez qui évoque le champignon et une bouche un peu faible. Le vin est trop fatigué et lorsque j’avais ouvert la bouteille, la moitié haute du bouchon laissait penser que ce vin a eu un coup de chaud dans une cave.
Le Moulin à Vent Coron Père & Fils 1964 a un nez un peu imprécis. La bouche est généreuse, mais on peut supposer que le vin a lui aussi souffert d’un coup de chaleur, ce qui attriste certains vignerons qui ont le souvenir de beaujolais merveilleux bus dans les ateliers précédents. Le vin est un peu torréfié.
Le Beaune Jessiaume Père & Fils 1947 a un nez superbe. La bouche n’est que du bonheur. Il est un peu rêche et rugueux, mais il est tellement bon ! C’est un vin générique et paysan qui a de beaux tannins.
Le Nuits Saint-Georges Les Allots tasteviné Henri Remoriquet 1971 a un nez très bourguignon. Il a beaucoup de douceur et semble un peu fortifié. Il a beaucoup de fruits et l’on ressent l’alcool. Il est chaud et solaire mais son goût s’écarte de son appellation.
Le Bonnes-Mares domaine Comte Georges de Vogüé 1972 a un nez très noble. Il est fabuleux et sa bouche est une sphère d’élégance. Il est de très haut niveau, beaucoup plus que son année. C’est un très grand vin.
Le Cornas Du Bourg 1975 a un nez superbe et riche mais la bouche est moins précise. Il est d’un millésime froid. Il est quand même intéressant car il ne laisse pas indifférent par son discours original.
Le Chambertin Louis Trapet Père & Fils 1978 a un nez d’une élégance incroyable. La bouche est saline et je retrouve un peu la salinité particulière des vins de la Romanée Conti. Le vin est riche mais raffiné. C’est un vin d’une élégance absolue.
Le Châteauneuf-du-Pape Delas Frères 1978 a un nez très subtil. La bouche est un peu lourde, mais le vin est gourmand. Ce vin un peu coincé s’exprimerait en situation de gastronomie.
Le Volnay Clos des Chênes Colomb Maréchal 1961 a un joli nez mais en bouche le vin n’est pas très net. Je suis incapable de le situer.
Le Crozes-Hermitage Delas 1981 est assez agréable mais fait très jeune dans une telle dégustation.
Le Châteauneuf-du-Pape Domaine de Saint-Préfert 1957 a un nez mentholé et de crayon. Il est très bizarre car il change de goût à chaque gorgée. C’est un vin très intéressant mais très troublant.
L’Arbois P.A. André négociant à Corton 1957 est-il un vin blanc ou un vin rouge ? Il est terriblement foncé et très caramel. Certains vignerons pensent que ce serait un rouge passerillé. Il a de la fraîcheur, du chocolat il est atypique et énigmatique. Je suis incapable de le situer.
Alors que jusqu’à présent les vins servis sont tous différents et ne se comparent pas, nous allons avoir deux millésimes d’un même vin. Le Torrès Gran Coronas Mas la Planas Miguel Torrès 1962 est un vin espagnol qui contient du cabernet sauvignon et du grenache. Il a un très beau nez et une bouche fraîche très agréable. Il a du café, de la menthe et une belle fraîcheur mentholée dans le finale. S’il y avait un soupçon de café en moins, il serait grandiose. Tel quel, il est quand même un peu trop lourd.
Le Torrès Gran Coronas Mas la Planas Miguel Torrès 1970 qui semble-t-il avait battu tous les premiers grands crus classés de Bordeaux sur le millésime 1970 est trop torréfié. Il est mentholé mais lourd, et ne m’apporte pas assez de plaisir. Je me méfie toujours des vins qui ont battu toute l’élite de Bordeaux.
Il y a eu dans cette dégustation des vins de tous niveaux, et le démarrage me faisait assez peur. Mais la suite nous a offert de grands moments, avec en particulier le Bonnes-Mares domaine Comte Georges de Vogüé 1972 que je classerais en premier, le Chambertin Louis Trapet Père & Fils 1978 que je classerais en second même s’il pourrait légitiment être ex aequo et le Beaune Jessiaume Père & Fils 1947 qui est mon troisième. D’autres aussi se sont bien comportés. Je suis content car aucun des participants n’a boudé les vins même quand ils étaient faibles. Apprendre les vins anciens suppose que l’on accepte les vins comme ils sont. Il n’y avait dans cet atelier aucun de mes vins. Ils sont prévus pour le dîner qui va suivre.
Georges a fait le service d’une façon absolument remarquable. Il a souvent donné des indications sur la géographie et les cépages du plus grand intérêt. Nous sommes tous contents, prêts à affronter le dîner préparé par Michel Chabran.
mes apports préparés chez moi
les bouchons de mes vins
les apports des vignerons du matin
d’autres bouchons
le déjeuner au domaine Combier
les tables dressées pour le pot au feu
Pour les ouvertures de l’après-midi, on a fait avec Georges une sélection et un ordre et les bouteilles ont été ouvertes ensuite
Georges remet après ouverture un film plastique sur le goulot, ce qui freine l’oxygénation
Le champagne
Le Chateauneuf du Pape Beaurenard et le Chateau La Gaffelière
Georges et moi
une partie des bouchons
les bouteilles sont remises en place
les bouteilles en fin d’atelier de dégustation