dégustation de vins de Madère à Parismardi, 27 octobre 2015

L’Institut du vin de Madère organise dans un grand hôtel parisien une dégustation de vins de Madère en « master class », avec Rui Falcao, critique de vins parmi les plus renommés du Portugal. Nous sommes assis à des petites tables et il y aura dix vins à déguster après un exposé absolument passionnant. Il est si clair que je vais essayer de retracer ce que j’ai compris et noté, qui n’est qu’une partie de ce qu’une quarantaine de personnes, des professionnels, ont appris.

Sur l’île de Madère, le vignoble produisant du Madère ne dépasse pas 460 hectares. Il y a six maisons de producteurs, ce qui est peu, qui n’ont pratiquement aucun vignoble en propre. Un producteur possède trois hectares et un autre moins de deux hectares. Le reste est possédé par 1.500 viticulteurs, qui vendent leurs raisins aux producteurs, un peu comme les vignerons de Champagne qui vendent aux grandes maisons. Le plus gros viticulteur a 11 hectares et le plus petit a trois pieds de vignes. Il est quand même enregistré à l’Institut du vin de Madère qui contrôle toute la chaîne de production.

Le vieillissement des vins de Madère est au minimum de trois ans dans des fûts de chêne dont aucun n’est neuf. Ils sont achetés à des viticulteurs européens. L’acidité est le mot le plus important pour les vins de Madère. Le vin de base est récolté entre 8,5° et 9° d’alcool mais ce facteur n’est pas important puisque le madère est un vin fortifié par addition d’un alcool pur et sans goût de 92° fait avec des raisins non produits à Madère. Le vin fortifié fera de 18 à 20°. La récolte se fait en surveillant l’acidité et non pas l’alcool.

Il y a quatre catégories de qualités : sec / demi-sec / demi-doux / doux. On obtient chacune de ces qualités en fonction du moment où l’on fait l’ajout d’alcool. Si c’est en fin de fermentation le vin sera sec et si c’est au début de la fermentation le vin sera doux.

Il y a cinq cépages. Le Sercial est toujours sec, le Verdelho est toujours demi-sec, le Boal (ou Bual) est toujours demi-doux, la Malvasia est toujours un vin doux et le Tinta Negra qui est un vin rouge contrairement aux autres qui sont blancs, qui représente 83% de l’ensemble du vignoble, produit les quatre qualités. La qualité d’un vin est alors indiquée sur l’étiquette de la bouteille. Le madère n’est jamais un vin d’assemblage des cépages et lorsqu’il n’y a pas de nom de cépage, c’est forcément du Tinta Negra.

Il y a deux autres cépages sur des surfaces très petites et des rendements ridiculement faibles que Rui Falcao préfère car ils sont exceptionnels, le Terrantez et le Bastardo, qui produisent tantôt du demi-sec, tantôt du demi-doux. On parle ici par cépage de 500 kilos de raisin par an !

Le vin de Madère se présente en trois types de fabrications. La première est celle des vins d’assemblages (des Blends), qui indiquent un nombre d’années un peu comme les whiskies 10 ans d’âge ou 20 ans d’âge. Il y a les 3, 5, 10, 15, 20, 30, 40 ans d’âge et on vient d’ajouter depuis peu une dernière catégorie, les plus de 50 ans d’âge. Le principe de l’assemblage est ainsi fait, en prenant un exemple du 10 ans d’âge : cela ne veut pas dire que les années mélangées ont toutes plus de dix ans, ni qu’elles ont une moyenne de dix ans, mais que le style du vin correspond à du 10 ans d’âge. Pour ce faire, le producteur présente un échantillon au comité d’agrément de l’Institut du vin de Madère qui a un pouvoir d’authentification. Le comité vérifie si les caractéristiques de goût et de complexité correspondent à ce que doit être le 10 ans d’âge de ce producteur. S’il n’agrée pas, le producteur devra revenir avec un autre échantillon. S’il agrée, les cuves seront toutes estampillées et auront l’agrément. L’institut passe tout son temps à agréer les différentes productions des six producteurs, le comité comprenant des producteurs et une majorité de membres de l’institut, qui veillent à perpétuer le style et la constance de goût de chaque type de vin sur le long terme depuis le 19ème siècle. L’Institut passe en permanence dans les six maisons pour contrôler les cuves. Les 3 ans et 5 ans représentent la moitié du marché.

La deuxième catégorie de vins de Madère est celle des Colheita, qui ne comporte pour le vin d’un seul cépage que des vins d’une seule année. Le vin doit passer au minimum 5 ans en fûts avant mise en bouteille, jusqu’à 20 ans. Au-delà de 20 ans, on passe à la troisième catégorie, le Frasqueira, qui lui aussi est fait d’un seul cépage et d’un seul millésime, mais gardé plus de 20 ans en fûts. Rui nous raconte qu’un producteur vient de mettre en bouteilles ses 1920 qui auront passé plus de 90 ans en fût. Cette catégorie très chère représente moins de cinq mille bouteilles par an.

Rui a ensuite parlé des techniques de vieillissement, avec un chauffage en cuves inox et serpentin entre 50 et 55° pendant trois à quatre mois et le stockage en fûts qui donne lieu à une très forte évaporation. Il est temps de passer à la dégustation. Nous irons du plus sec au plus doux. Rui nous fait rire car il nous demande ce que nous pensons des couleurs qui varient fortement d’un vin à l’autre et il nous dit : oubliez cela, car la couleur n’a aucune importance, ainsi que la couleur du vin d’origine, blanc ou rouge, qui n’influe en rien sur le goût. Il suffit de le croire.

Henriquez & Henriquez Sercial 2001. Comme il a le nom d’une année récente, c’est une Colheita. Comme c’est du Sercial, c’est un sec. Il a 45 g de sucre résiduel, ce qui n’est pas très sec, mais nous sommes à Madère et les doux dépasseront les 200g de résiduel. Rui ne veut pas parler de cette donnée, car il dit qu’elle n’est pas significative pour les madères. Il dit que l’on parle plus de degré Baumé que de sucre. Le vin a un nez de fruits jaunes et bruns, de reine-claude. Ce nez est doux et cohérent. L’attaque du vin est dans les agrumes, le zeste d’orange, l’abricot. L’acidité est superbe. Le final est de bonbon anglais avec de la peau d’orange. Ce vin sec est très agréable et simple à comprendre. On perçoit de la salinité et de la craie. Il a une très grande longueur.

Blandy’s Colheita Sercial 1995. Le nez est beaucoup plus vineux, pas très net et l’alcool se sent. La bouche est très différente du nez. Il y a de l’écorce d’orange, du pruneau et une belle acidité. Il est moins pur et moins brillant que le 2001, plus caramélisé. Le finale a de la peau d’orange, du zeste, du thé. C’est l’orange qui domine. Il a un goût de vin ancien.

Justino’s Verdelho 10 Anos. C’est un demi-sec d’assemblage 10 ans d’âge. Le nez est beaucoup plus discret. Il est difficile à définir. La bouche est beaucoup plus douce. Il y a de l’orange confite, du bonbon anglais qui marque le finale, acidulé avec un côté salin.

Justino’s Madeira Colheita 1996. Comme il n’y a pas de cépage indiqué, c’est un Tinta Negra. Il est demi-doux, indiqué sur la bouteille. Le nez est très fin, noble, distingué. La bouche est très sucrée. Le sucre s’impose. Il y a du thé, du pruneau avec un finale très frais, superbe. J’adore la fraîcheur malgré la sucrosité.

Borges Colheita Boal 1995. C’est un demi-doux. Le nez est aérien, de pâte de fruits. La bouche est superbe avec l’amertume des agrumes, très belle. Il y a un côté salin très fort. Le finale est d’agrumes et de sel. Il y a une belle acidité. C’est un vin très viril et très noble. C’est fou comme il paraît sec alors qu’il est doux. Le finale est superbe.

Blandy’s Colheita Bual 2002. Le nez est moins précis et évoque l’alcool. La bouche est gourmande, de pâtes de fruits, de confiture multi-fruits. Il est salin mais pas trop, il a une belle acidité. Le finale est gourmand et très fruité de fruits frais et rouges aussi, pour la première fois. Il a une très grande longueur salivante, on sent le curry et le miel. C’est un vin gourmand à la fraîcheur mentholée.

Comme nous avions six verres devant nous on nous demande de vider les quatre premiers verres pour accueillir les quatre vins qui finissent la dégustation. Quel dommage de verser les fonds de verres. Il est interdit à Madère de mélanger les cépages aussi ai-je commis le crime de faire un mélange des quatre premiers vins dans l’un des verres. Le résultat est superbe d’élégance, d’équilibre et de cohérence, surtout dans les agrumes. Rui n’en a rien su, ni Paula la directrice de l’Institut.

Barbeito Boal 20 Anos Ribeiro real. C’est un vin doux. Le nez est incroyablement floral, de fleurs blanches. Ce nez est intense, entêtant et mentholé. Ce nez est incroyable et il me tétanise. La bouche est raffinée, très concentrées de fruits confits, fruits caramélisés. Le vin est gourmand et de belle acidité. Le finale est très joli, frais tout en étant imposant. C’est un vin qui paraît très ancien, solide. Le nez est complètement fou. L’acidité est extrême et le rend frais. C’est un vin de méditation.

Borges Colheita Malvasia 1998. C’est un vin doux. Le nez est très frais malgré le sucre. L’attaque est de fraîcheur. C’est un bonbon acidulé, tout en douceur, avec du caramel du miel et du sucre caramélisé, du café. Le finale est de café et vanille. Le vin est très fort, lourd, jouissant d’une belle longueur et d’un très grand équilibre.

Henriquez & Henriquez Malvasia 20 Anos. Le nez est tout en douceur et charme. L’alcool est présent. La bouche est toute en douceur. Ce vin n’est que du bonheur, tellement intégré, cohérent, comme le 2001 du début. C’est un bonbon au miel. Il a une belle acidité et un finale de caramel, de thé. C’est un petit bonheur. Il est très monolithique, bâti comme un roc, mais il est heureux.

Barbeito Malvasia 20 Anos Ribeiro real. C’est le même vin que le précèdent mais d’un autre producteur. Il y a du laitage dans le nez que je ressens pour la première fois. L’attaque est merveilleuse de fraîcheur et de douceur romantique. Il a un charme extrême car il est énigmatique contrairement au précédent. Il y a du miel, du caramel, des zestes d’orange. Dans le finale il y a du tabac, du chocolat, et du miel. Il est plus élégant que le Henriquez & Henriquez car il est plus difficile à cerner. Le premier joue le confort, le second joue l’énigme. Il est plus racé et me plaît plus.

Que retenir de cette dégustation ? Que tous les madères sont tous différents. Il n’y a aucune corrélation entre le nez et la bouche. L’attaque correspond rarement à ce que l’on a senti. Les deux jeunes, le 2001 et le 2002 sont superbes, ce qui veut dire qu’on peut boire des vins jeunes. Le plus grand est de dernier des dix, mais la surprise la plus folle est celle du parfum du Boal 20 Anos qui m’a envoûté. Les madères sont incroyablement goûteux et frais malgré leur force alcoolique qui ne fatigue pas du fait de l’acidité. Comme à chaque fois que je fais cet exercice, je m’en veux de ne pas ouvrir plus souvent des madères qui sont d’une grâce incomparable. Merci l’Institut qui joue un rôle crucial dans la préservation de la qualité de ce vin fascinant d’avoir organisé cette belle dégustation.

DSC03314

DSC03316

DSC03320