Dégustation des vins de 2008 du domaine de la Romanée Conti au siège de Grains Nobles. C’est une des rares présentations que conduit Aubert de Villaine. Il donne des indications sur le millésime, qui aura été marqué par la chance. A Pâques, on ressentait ce que seraient les vents de l’année et les vents d’ouest annonçaient des problèmes. Lors de l’éclosion des raisins, on les voyait superbes, bâtis pour faire un beau millésime. Une période assez fraîche a donné du millerandage. La floraison tardive de début juin s’est étalée sur deux à trois semaines, ce qui est long et donne de grandes différences de maturité aux raisins. L’été a été très difficile, avec du froid au mois d’août. Le mildiou et l’oïdium ont été maîtrisés en biodynamie ce qui s’est révélé être « du sport ». Le botrytis est apparu tôt, dès le mois d’août. La dernière attaque a été lors de la deuxième semaine de septembre. La pluie n’arrêtait pas et Aubert de Villaine pensait qu’il n’y aurait pas de millésime 2008. Mais le 14 septembre, le vent du nord et le beau temps ont élevé les degrés d’alcool et la concentration de sucre et d’acidité. Le vent du nord a séché le botrytis. Le 27 septembre, c’est le début des vendanges, étalées sur dix jours. Les vendanges ont été difficiles car il y avait un peu de grillure. Ce fut un travail de haute couture à la récolte, avec le rejet de 30 à 40% des raisins. Ce qui est allé en cuve était totalement sain. Les attaques subies ont permis la sélection, l’éclaircissage. Et ça donne un bon millésime. Merci au changement climatique pour la qualité, mais ça a donné une demi-récolte. Les vendanges ont été faites en deux fois. Au deuxième passage, tout a été inclus dans le Vosne Romanée premier cru, fait de vieilles vignes de grand cru. Le degré alcoolique est de 12,6 à 12,7° pour les rouges.
Après cet exposé toujours humble et d’une grande clarté, nous avons aviné nos verres et notre palais avec un Bourgogne cuvée MCMXXVI Laurent Père & Fils, qui repositionne nos papilles. Les notes qui vont suivre sont prises au fil de la plume. Cela veut dire que les variations d’impressions dépendent énormément de l’éclosion ou non du vin dans le verre. Cela apparaitra de façon spectaculaire pour le montrachet. Je n’ai pas modifié mes notes prise à la volée. Les redites et répétitions sont conservées.
L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2008 a un joli rouge rubis rose clair. Le nez est soufré. Par cette expression, je ne veux pas dire qu’il s’agit de soufre, mais que l’impression est celle-ci. Et plus on remue le verre et plus le soufre est sensible. La bouche est agréable, élégante et subtile. Tout est exposé en délicatesse. Il est extrêmement romantique. Le final, de quetsche et de pruneau est extrêmement présent. On sent que le vin a de la profondeur. Aubert de Villaine dit qu’il est comme les autres dans une phase de fermeture. Je suis impressionné par la délicatesse et l’équilibre fruité. Malgré sa jeunesse il est gourmand. La rémanence en bouche est très forte. Michel Bettane parle d’équilibre, de noblesse et de boisé très distingué.
Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2008 a un rubis clair. Le nez est délicat, moins prononcé que celui de l’Echézeaux. La bouche est poivrée. Il est moins accueillant. La matière est belle et le final est très fort. Le vin est très différent à cause du poivre. Il est plus strict, moins ouvert. De belle race, très mâle, il est tendu comme un arc. Il va se révéler magnifiquement. Sa trace en bouche est très belle mais l’Echézeaux est plus accueillant. Le final est très racé. Il est plus cerise quand le précédent était plus pruneau.
La Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 2008 a un même rubis clair, peut-être un peu plus gris. Le nez est discret. La bouche attaque en fanfare. Il est très tonique, dynamique. Il combine élégance et rigueur. Mais il a aussi du charme – il faut dire que j’adore les Romanée Saint Vivant. Il a un peu d’amertume et on pressent le sel que l’on reconnaîtra dans quelques années. Le final est un peu plus court, mais très fruité. Le vin est de grande race. Il faudra l’attendre même s’il a de la gourmandise, discrète et contrôlée. Aubert de Villaine dit que Romanée Saint Vivant est masculin, alors qu’on signale volontiers ses aspects féminins.
Il continue en disant que Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2008 est souvent présenté sur tous ses millésimes comme un mousquetaire, alors que c’est un vin très tendre. Le rubis est un peu plus foncé, le nez est strict et évoque le minéral. L’attaque est gourmande de fruits rouges mûrs. Il y a un peu de poivre. Il est beaucoup plus riche et dense que les précédents. Il est très riche, gourmand, puissant. Il est encore fermé mais très prometteur. C’est son fruit riche qui attaque en bouche. Michel dit que ce Richebourg est le plus grand des quinze dernières années. Il est magnifique de fruit et de finesse.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2008 est d’un rubis plus clair que le Richebourg. Le nez est plus intense à ce stade de sa vie. Je suis frappé par l’élégance du parfum de ce vin. En bouche il est incroyablement délié, aérien. Il est d’une grande noblesse, totalement délicat. Je ne reconnais pas spécifiquement La Tâche car il est trop jeune. Le final pianote, avec des notes de fruits blancs. La trace en bouche est belle, très imprégnante. La Romanée Saint Vivant s’est ouverte dans le verre et devient plus gourmande et charmeuse. Le Richebourg est plus tendu, et percutant. Il passe en force et convainc. La Tâche est la plus Romanée Conti, on sent déjà le sel et une amertume noble.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2008 a le même rubis que La Tâche. Le nez m’impose un mot : respect. Car dans ce parfum, il y a quelque chose qu’il n’y a nulle part ailleurs. Le nez est noble et profond mais annonce la gourmandise. En bouche, la démonstration est là. Plus que sur d’autres années lorsqu’on boit les vins jeunes, l’écart de la Romanée Conti avec les autres vins du domaine est immense. Il boxe dans une catégorie sans concurrent. Il est riche, gourmand, séducteur. C’est énorme et j’en ai des frissons. Car la démonstration est totale. Il a tout. Un final incroyable, une réussite absolue et il suggère toutes les Romanée Conti plus anciennes, avec cette finesse, cette race et cette râpe qui sont uniques. C’est un vin rare.
Le Richebourg est très beau en fin de verre. Il est joyeux. La Tâche est plus noble mais plus stricte. Et la Romanée Conti est totalement Romanée Conti. Le fruit est beau, de mûre, de cerise, de prune et le final est tonitruant. La dernière goutte est un au revoir. Elle est émouvante, et sa trace est infinie. Et j’ai la chance qu’elle finisse sur une note de sel.
Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2008 est d’un beau jaune d’or clair. Le nez est encore le nez ingrat d’un vin très jeune. On sent aussi le soufre. En bouche il est ingrat au premier abord. Il est pour moi trop jeune pour donner un vrai plaisir. Il donne l’impression de ne pas être encore assemblé. Mais voilà qu’il s’assied dans le verre. Il devient plus rond et même gras. Il a la fraîcheur citronnée. Il s’arrondit et montre qu’il est grand. La profondeur se met en place et c’est immense. Aubert de Villaine nous parle des années à botrytis et des années sans botrytis, ces dernières étant de plus longue garde. 2008 est une année à botrytis. Michel Bettane très en forme nous parle des levures et des ferments et du travail de ces millions de petites bébêtes au grand talent. Il dit qu’à la Romanée Conti, ce sont de véritables artistes. Son imagination est débordante quand il parle de la vie sexuelle de ces bébêtes. Le vin continue de s’épanouir vers des notes lactiques, boulangères. Il devient prodigieux, bien loin de ma première impression. Vivant et gourmand, il a un caractère fou. Le léger toast est créé par les ferments. Aubert de Villaine dit que les ferments font partie du terroir et signale que des cuvées assemblées de vins d’ailleurs, vieillissant au domaine, avaient pris des caractères de la Romanée Conti. C’est la signature des ferments indigènes.
Le final du vin est très riche et d’une élégance extrême. Il passe en force mais garde son élégance. Il y a plusieurs millésimes pour lesquels mon classement de plaisir met le Montrachet devant la Romanée Conti. Aujourd’hui, la Romanée Conti est nettement au dessus des autres, avec le classement suivant : Romanée Conti, Montrachet, La Tâche, Richebourg et à égalité, les trois autres vins.
La dernière goutte du Montrachet est glorieuse, de lait, de citron, de gras, de melon vert, mais c’est surtout l’opulence, l’équilibre et la longueur infinie qui m’émeuvent.
Après une telle dégustation, on est tout retourné, car la justesse de ton de tous ces vins est exceptionnelle. Délicatesse, élégance, précision, noblesse, voilà ce qui résume pour moi ce voyage dans un millésime qu’il serait opportun de garder au moins vingt ans pour pouvoir recueillir son message exceptionnel.
Après la réunion, lorsque les dernières poignées de main signent la fin du match, Pascal Marquet de Grains Nobles retient un petit groupe pour la troisième mi-temps. Il y a bien sûr Michel Bettane et Bernard Burtschy auprès d’Aubert de Villaine ainsi que trois ou quatre amis. Michel Bettane a apporté un Champagne Billecart Salmon Grande Cuvée 1982. Alors que le bouchon résiste, c’est Aubert de Villaine qui l’ouvre avec une poigne autoritaire. Le champagne est tout simplement merveilleux et c’est exactement ce qu’il fallait après la féerie des vins du domaine de la Romanée Conti. Sa couleur est d’un bel or, sa bulle est très active. Il ne donne pas de prise aux années sauf dans le goût, d’une maturité superbe. Aubert de Villaine nous dit : « c’est ainsi que l’on devrait boire les champagnes, quand ils ont cette sérénité ». Et ce champagne est parfait, d’un équilibre de fruits jaunes et de soleils souriants. Nous grignotons des toasts au foie gras posé sur des coussins de tomates confites, avec un poivre insistant. Après la concentration que nous avions pour analyser les vins du domaine, cette pause est un bonheur de relaxation.
On ouvre alors un Riesling Geisberg Grand cru Kientzler vendange tardive 1983 qui est une pure merveille. La pureté de ce vin est une leçon de choses. Pureté, précision, élégance sont ses caractéristiques et Aubert de Villaine ajoute un mot qui est fondamental pour lui lorsqu’il s’agit de ce vin : « transparence ». Je le trouve absolument exceptionnel et d’une pureté absolue.
Il commence à accompagner un risotto aux cèpes fait à la minute – en fait dix-huit minutes – pour nous par un maestro du risotto qui nous a raconté ses critères de sélection des meilleurs riz. L’accord est possible mais n’est pas un faire-valoir du riesling. Nous essayons un Barolo Le Vigne Sandrone 2004 qui est intéressant dans sa spontanéité et s’accorde bien au risotto. Mais le vin manque de vibration car son discours est assez simple. Michel choisit dans les réserves de Pascal un Beaujolais Moulin à Vent Jules Desjourneys 2007. Là au moins, ça pulse, bien qu’il n’ait que 12° contre 14° pour le vin italien. Et ce vin très subtil et vibrant me pousse, contre toute raison, à doubler ma portion de l’excellent risotto.
Pascal a prévu des fromages magnifiques et il ouvre un Château Bel-Air Marquis d’Aligre Margaux 1970 au nez assez spectaculaire. Michel et Bernard adorent ce vin plein légèrement fumé et toasté, d’une jeunesse extrême.
Des vins de la Romanée Conti plus une troisième mi-temps gourmande avec un beau champagne et un merveilleux riesling, en fait il suffit de « peu de choses » pour faire aimer le vin !