Après le repas du 251ème repas de wine-dinners, nous nous rendons dans ma cave car le déjeuner était initialement prévu dans ma cave puisqu’on ne savait pas à quelle date les restaurants ouvriraient. Les vins méritaient la cuisine d’un chef de talent. Mes convives ne voulaient pas rater l’opportunité de visiter ma cave. Je leur ai fait une surprise, qui est une dégustation verticale du Château Corbin-Michotte, Saint-Emilion pour les neuf millésimes de 2010 à 2018. La genèse de cette dégustation commence par un mail d’Emmanuel Boidron que je connais ainsi que son père depuis près de vingt ans. Il apprécie mes écrits sur le vin et aimerait que je donne mon avis sur ses vins. Je lui réponds que si je peux exprimer des avis personnels sur des vins anciens, je n’ai aucune compétence pour juger des vins très jeunes. Cela ne rebute pas le vigneron qui va m’envoyer ses vins. Je lui dis qu’ayant horreur de gâcher, je ferai participer mes convives du 251ème repas à cet exercice. La femme de l’initiateur du déjeuner ayant rejoint son mari en fin de repas au Sergent Recruteur, nous serons donc six à goûter les vins.
Voici ce que j’ai écrit sachant que pour pouvoir classer j’extrémise les différences.
2018 : beau nez de griotte, vin fluide, agréable, équilibré au finale très vert tant il est jeune.
2017 : nez calme, vin sans aspérité, un peu trop calme, sauvé par un finale très construit. Va progresser.
2016 : nez expressif, bel équilibre, beau vin au finale qui promet un vin gastronomique. Il est fluide et beau.
2015 : nez de fenouil, un peu trop végétal. Le finale est rêche. Il sera grand mais il est fermé maintenant.
2014 : nez agréable, bouche calme et élégante, le finale est motivant.
2013 : superbe nez. La bouche est fluide, manquant un peu de matière. Beau finale mais vin trop calme.
2012 : nez que j’adore. Bouche agréable, fluide, beau finale. J’aime assez.
2011 : nez discret. Beau vin fluide au beau finale. Sera grand. J’aime sa fluidité.
2010 : bouche fluide, beau parcours en bouche. Vin solide et riche.
Dans l’envoi, deux vins plus anciens avaient été joints. J’ai préféré qu’on se concentre surtout sur les vins jeunes.
Mes amis ayant sérieusement travaillé, le vote du consensus serait : 2016 – 2018 – 2011 – 2010 – 2012 – 2015.
Mon vote est : 2018 – 2016 – 2010 – 2015 – 2011.
Ce qui apparait c’est que Corbin Michotte est un solide Saint-Emilion qui a toutes les belles caractéristiques d’un grand Saint-Emilion. Tout jeune il est brillant puisque 2018 et 2016 sont les deux premiers pour mon vote et pour celui du consensus. Il y a des variations entre les millésimes, mais je suis sûr qu’avec le temps les différences s’estomperont. Je suis surtout favorablement impressionné par la fluidité et la cohérence de ce vin.
Le 1966 qui était joint et avait un léger nez de bouchon m’est apparu comme très frais, agréable, fluide et qui se boit bien. La qualité des vins récents est à signaler.
Comme je voulais être sûr de répondre au souhait d’Emmanuel Boidron, je suis revenu le lendemain goûter les verres de la dégustation. La période est de forte chaleur mais j’ai trouvé que cela n’avait pas du tout affecté les vins.
Voici le nouveau compte-rendu, fait, bien sûr sans consulter les notes précédentes.
2018 : attaque superbe, beaucoup de fruit. Agréable et plaisant à boire.
2017 : moins chaleureux, plus tendu, un peu amer
2016 : frais, joyeux, large et souriant au finale un peu moins glorieux que celui du 2018.
2015 : belle attaque, plus court que 2016 et 2018, finale noble et riche
2014 : plus plat que les autres. Il manque de matière. Serait bon sur un plat.
2013 : vins frais qui n’a pas la puissance des meilleurs. Il est plus aérien. Il m’avait plu hier en fin de soirée. Il va devenir intéressant. Il a plus de personnalité dans son finale
2012 : attaque un peu saline. Il me plait moins qu’hier.
2011 : attaque chaleureuse. Il est plaisant mais manque un peu de longueur.
2010 : vin superbe, joyeux tout en étant construit. Un grand vin au finale convaincant.
Mon classement du lendemain sur des vins plus chauds qu’hier est 2018 – 2010 – 2016 – 2011 – 2015 – 2013 – 2012 – 2017 – 2014.
La solidité de ces vins est certaine. J’ai voulu jouer le jeu pour mon ami Emmanuel Boidron. J’ai accueilli ces vins non pas pour déterminer ce qu’ils deviendront mais pour ce qu’ils sont aujourd’hui. Le moins bien classé deviendra peut-être meilleur que le premier classé parce que son évolution l’y conduira. Si le 2018 est le meilleur c’est parce qu’il est bien fait mais aussi parce qu’il profite de sa belle jeunesse. Mais c’est ensuite le plus vieux (si l’on peut dire), le 2010, qui recueille mes faveurs. C’est une belle dégustation d’un grand vin.
Pour remercier mes amis d’avoir été si studieux, j’ai servi un Rhum Black Head Rum, West Indies Rums, distribué par Cazanove à Bordeaux. L’étiquette ferait exploser de fureur tous les antiracistes qui veulent reconstruire l’histoire à leur façon. Ce rhum est particulièrement doux et délicieusement piquant. Sa longueur est infinie. Il a dû être mis en bouteille dans les années 50 et provenir de fûts des années 30. C’est une merveille.
Quand ma femme m’a appelé vers 20h20 pour venir aux nouvelles, par malice je lui ai dit : « nous sommes encore en train de déjeuner ». J’ai rectifié ensuite bien sûr.
Ce repas, cette dégustation inopinée et ce rhum ont fait de cette journée une journée mémorable. Il est temps de baisser le rideau pour profiter de l’été dans ma thébaïde du sud.