Un ami du sud, qui n’avait pas pu venir fêter mon anniversaire invite ma femme et moi à déjeuner au restaurant A.M. d’Alexandre Mazzia qui est l’un des grands restaurants trois étoiles du sud de la France, situé à Marseille.
La salle est toute petite et c’est très agréable pour moi d’être accueilli par mon nom alors que la table est réservée au nom de notre ami. Le menu est unique mais peut être servi en un nombre variable de plats. Je suggère de prendre le menu le plus complet mais l’expérience montrera que le menu un peu moins copieux serait suffisant.
Chaque séquence est un festival de saveurs d’une créativité unique. Il y a des plats sur chaque parcelle disponible de la table. Je demanderai en fin de repas combien d’éléments différents nous ont été servis sur des assiettes ou des coupelles de différentes formes et tailles et l’excellent sommelier Kevin me dira qu’il y en a quarante-cinq. On peut imaginer le prodige que réalisent les serveurs qui savent où chaque pièce du puzzle doit se poser et qui récitent la composition de chaque élément avec une intelligence certaine.
Voici le menu qui est l’un des plus complexes que j’aie pu rencontrer : poisson de nos côtes, levure de bière torréfie, eau de poisson vinaigrée à la criste marine / Cristalline safran, poutargue de caviar, condiment gingembre et têtes de maquereaux brûlées / langoustines, fruits rouges, bouillon de légumes racine et sumac / courgette aigre doux, feuille d’amidon, pommade courgette au cidre / algie, pommade de patate douce, réglisse, poutargue / Crousti-galanga, bœuf en juxtaposition de cuisso, campari et mignonette / parmesan, pistache, grenade et aloe vera / crevette grise, katsuobushi de têtes, huile de piment vert / œufs de saumon et truites sauvages marinées au saké, lait fumé / biscotte végétale, pommade herbacée-iodée, fleur de l’instant / anguille fumée et chocolat / pain viennois fumé au charbon, beurre demi-sel au Combawa / chair d’araignée au jus animal, voile de loup mariné saké-betterave et garum / semoule aux agrumes et fleur d’oranger, raifort et jus de carapaces à la peau d’orange brûlée / moules, maquereaux, harengs, noix de coco, condiment mojito estragon et jus vert / Focaccia au beurre noisette, piment d’Espelette-réglisse, beurre Nigelle et épices / brioche façon tropézienne, sardine, lard de colonnata, gingembre et pamplemousse / langoustine, algue vernie, beurre blanc-plancton, jus dragon, vierge marine, poutargue, lait de poule / langoustine avec les doigts, popcorn d’algues, sésame à la bonite, condiment citron géranium / consommé de volaille infusé aux coquilles s’huîtres, dulce et écorces d’agrumes brûlées / Chénopode en tempura-vodka, œufs de brochet fumés, piment, poussière de carapace / merlu de ligne, cerise pimentée, gel aigre-doux, jus vert satay / pastèque marinée et brûlée, jus de queue de bœuf, popcorn d’algues, peau de piment / fleur de courgette, noix de cajou, épices, fruit de la passion / girolles, tapioca akaisaki / petits pois frais, pamplemousse, vierge marine, grenade, lait de poule / glace wasabi-raifort et diplotaxie/glace confiture de lait et thé vert matcha / sorbet orange sanguine, condiment orange-bergamote / chocolat fumé, piment d’Espelette, riz soufflé, navets, poussière de bacon / texture pudding au jus d’animal, tamarin-hibiscus, banane caramélisée, feuillantine / texture de banane fermentée, riz soufflé, cacahuète sucrée, kumquat, gel d’Espelette / maïs givré, vinaigre balsamique 25 ans d’âge, meringue maïs fumé grillé / avocat, perle de gingembre, fenouil, graines de moutarde / pastèque, gin, voile basilic, condiment pastèque Get27 / palet glacé pomme, eau de pomme au curry vert, spray de gin aux agrumes / texture sablé-cigarette, pommade de patate douce aux épices, framboise, citron basilic.
Ce qui me fascine, c’est d’abord l’immense inventivité du chef qui crée non seulement des goûts, mais des registres de goûts, car dans certains plats, le goût se présente en vagues successives, d’un charme raffiné. Mais ce qui me subjugue aussi, c’est la présentation des plats par toute l’équipe, qui ne fait pas que réciter mais explique de façon pertinente. On peut dire chapeau au chef et chapeau à l’équipe.
La carte des champagnes est intelligente car pour chaque champagne on indique la date de dégorgement. Je choisis un Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François 2002 dégorgé en avril 2019. Dès la première gorgée je ressens une émotion immense. Le vin à la belle couleur est vif, cinglant, avec un message très complexe. De plus sa sérénité est évidente. Il est long. C’est un champagne parfait et émouvant. Il est tellement grand que l’on va commander une deuxième bouteille, car le raffinement de ce champagne colle parfaitement aux plats d’Alexandre Mazzia. Les œufs de saumon et truites sauvages marinées au saké vont idéalement avec le champagne.
Le deuxième Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François 2002 dégorgé en avril 2019 n’a pas la finesse et l’émotion du premier, même s’il est bon. On est redescendu sur terre alors que l’on était sur l’Olympe.
J’avais demandé à Kevin quel type de vin rouge conviendrait à la suite du repas et il me suggère un vin subtil et élégant. Je choisi le Volnay les Caillerets, ancienne Cuvée Carnot, Bouchard Père & Fils 1999. C’est exactement ce qu’il fallait. Ce vin qui respire à pleins poumons la Bourgogne est d’un raffinement parfait et dégage une émotion encore plus grande que le champagne, ce qui n’est pas peu dire. C’est sur un bouillon qui accompagnait des poissons que j’ai eu envie de ce vin d’une élégance extrême.
L’expérience des repas d’Alexandre Mazzia c’est entrer au Panthéon de la Gastronomie où les Dieux sont peu nombreux. Il en est un.