Cela faisait longtemps que je voulais aller au restaurant Clarence qui appartient aux propriétaires de Haut-Brion, l’un des vins les plus chers à mon cœur dont j’ai bu plus de 80 millésimes, mais aussi parce que le directeur est Antoine Pétrus, sommelier particulièrement attachant que j’ai connu au Crillon et au restaurant Lasserre et avec lequel j’aime échanger mes sentiments sur les vins.
On franchit le porche d’un hôtel particulier et un escalier majestueux en pierre mène au premier étage où se trouvent trois petites salles qui accueillent les heureux clients qui ont réservé. La décoration est superbe, d’une élégance rare. On a un peu le même esprit que le restaurant de Joël Robuchon lorsqu’il était avenue Raymond Poincaré mais en beaucoup plus élégant et si l’on compare avec le nouvel écrin de Guy Savoy dans l’ancien hôtel de la Monnaie, où l’on accède aussi par un escalier monumental, le Clarence est plus chaleureux. Cela ne promet que des moments heureux.
Antoine Pétrus me tend les deux livres de cave, celui des vins de l’écurie Haut-Brion et ceux du reste de la planète. Comme je souhaite boire du champagne avant de commander un éventuel autre vin, j’ouvre le second livre. Il est intelligemment composé pour le choix des vins et en ce qui concerne les prix, quelques bonnes pioches côtoient des prix invraisemblables. Antoine nous suggère d’aller vers Egly-Ouriet, ce qui me convient et je choisis un Champagne Egly-Ouriet Grand Cru V.P. vieillissement prolongé.
Je regarde le premier livre et je suis stupéfait. Les prix sont tellement élevés qu’il est absolument dissuasif de penser boire le Haut-Brion blanc ou rouge ou la Mission Haut-Brion. Seules sont accessibles les seconds vins, et encore, au verre, comme je l’ai vu aux tables voisines. Je m’imaginais qu’ici on pourrait avoir accès aux grands vins à un prix doux or c’est l’inverse qui se produit. J’en ai évidemment parlé avec Antoine qui m’a signalé que dans l’immeuble il y a une cave qui vend du vin comme un caviste. La stratégie des prix tient compte de cette double activité. Alors, l’amateur de vin pourra toujours trouver de bonnes pioches, car il y en a, mais pas dans les grands vins du domaine de Clarence Dillon.
Antoine, sachant que je venais avec un ami nous a proposé un menu en trois plats que nous découvrirons « à l’aveugle ». Les amuse-bouche sont une délicieuse coque, des gougères agréables et des grosses crevettes roses dont tout se mange. Vient ensuite une coquille Saint-Jacques à peine saisie avec un petit morceau d’orange et du cresson. Le menu est : merlu poché, pousse-pied, beurre aux herbes / saint-pierre, lard de Colonnata, langues d’oursin, gnocchis au cresson / canard, endives caramélisées, olives noires, pamplemousse / déclinaison de desserts.
Le chef Christophe Pelé a du talent. Les cuissons sont exactes, les produits sont bons. Les ajoutes de goûts dans les plats ne sont pas ce que je recherche. Ainsi le pousse-pied n’apporte pas grand-chose au merlu, la langue d’oursin n’ajoute rien au saint-pierre. A l’inverse l’endive caramélisée apporte beaucoup au délicieux canard. Je pense aux vins anciens quand je fais cette analyse et je peux comprendre que l’on aime cette cuisine. Il faudrait sans doute aussi qu’elle soit un peu plus gourmande, ce que l’on retrouve dans les desserts superbes aux goûts cohérents.
Le Champagne Egly-Ouriet Grand Cru V.P. vieillissement prolongé Extra Brut sans année qui a passé 82 mois en cave et a été dégorgé en mai 2015 a une attaque qui combine le floral et de jolis fruits roses. Cette attaque m’émeut. C’est un vin très élégant et ce n’est que progressivement que le caractère vif et vineux s’installe et lui donne une force gastronomique certaine. C’est avec le saint-pierre et l’oursin qu’il s’est montré le plus brillant. Comme nous étions à déjeuner et seulement deux nous n’avons pas pris d’autre vin car en plus Antoine pour nous faire patienter avant l’arrivée du champagne nous avait offert une verre d’Egly-Ouriet Brut très franc et direct mais moins complexe que celui qui a suivi.
Que dire de ce restaurant ? Le cadre est magnifique et prédispose à bien manger. Le service est impeccable, extrêmement prévenant. Antoine Pétrus est un directeur qui se place dans la lignée des plus grands. La cuisine du chef est de haute qualité si l’on accepte que les plats ont sans doute un peu trop de saveurs en patchwork. Il faut faire une croix sur le fait de boire du Haut-Brion, mais en slalomant dans la carte des vins, il y a de quoi se faire plaisir. Alors je vais y revenir au plus vite, car le bilan est positif.