Nous nous rendons avec des amis au restaurant AM (Alexandre Mazzia) qui a obtenu en ce début d’année une troisième étoile. Nous connaissions déjà ce beau restaurant marseillais. Le choix est possible entre des menus à deux plats, quatre plats ou cinq plats. Nous choisissons celui à quatre plats dont nous n’aurons le contenu qu’en partant, dont voici la rédaction (prenez votre souffle) : poisson de nos côtes, levure de bière torréfiée / chou cristallisé safran, poutargue de caviar, condiment gingembre / langoustine, bouillon de légumes racine et sumac / courgette aigre-doux, feuille d’amidon, pommade courgette / algue, pommade de patate douce, réglisse, poutargue / crousti-galanga bœuf en juxtaposition de cuisson, Campari / parmesan, pistache, grenade et Aloe vera / crevette grise, katsuobushi de têtes, huile de piment vert / œufs de truite et saumon sauvage marinés au saké, lait fumé / biscotte végétale, pommade herbacée-iodée, fleur de l’instant / anguille fumée au chocolat / pain viennois fumé au charbon, beurre demi-sel au Combawa / chair d’araignée au jus animal, rascasse marinée saké-betterave et garum / semoule aux agrumes et fleur d’oranger, raifort et jus de carapaces / moules, maquereau, hareng, noix de coco, condiment mojito estragon et jus vert / Focaccia au beurre noisette, piment d’Espelette réglisse, beurre Nigelle et épices / langoustine, algue vernie, cordifole, beurre blanc plancton, jus dragon, vierge marine, poutargue / langoustine avec les doigts popcorn d’algues, sésame à la bonite, condiment citron géranium / consommé de volaille infusé aux coquilles d’huîtres, dulce et écorces d’agrumes brûlées / Chénopode en tempura-vodka, œuf de brochet fumé, piment, poussière de carapace / haricots verts, cerise pimentée, suc d’oignons / fleur de courgette, noix de cajou, épices, fruit de la passion / épinard, vermicelles au curry, jus vert salé, jus de betterave / glace wasabi-raifort et diplotaxis / glace confiture de lait et thé vert matcha / texture pudding au jus de viande, tamarin hibiscus, abricot / banane fermentée, riz soufflé, cacahuète sucrée, kumquat / maïs givré, balsamique 25 ans, meringue maïs fumé grillé / avocat, perle de gingembre, fenouil, graines de moutarde / palet glacé pomme verte, eau de pomme verte au curry vert, spray de gin / texture sablé-cigarette, pommade de patate douce aux épices, framboise, citron basilic.
Le texte paraît interminable, mais le repas est aérien, et une suite d’émerveillements. Je crois n’avoir jamais mangé une cuisine d’une telle inventivité. Le mot qui résume le mieux ce repas est « émerveillement ».
La liste des vins est fondée sur des vins nature et des vignerons champenois de maisons familiales. Il y a des vins très abordables et des vins très connus à des prix dissuasifs. Le cas le plus extrême est celui du champagne Salon 1997, proposé à un prix qui doit être environ quinze fois plus élevé que le prix que j’avais payé lors de sa commercialisation. Nous devons donc aller dans une zone de prix qui laissera au restaurant moins de marge que s’il avait prévu moins de marge en pourcentage sur des vins plus recherchés. Mais nous ferons plus tard une entorse à ce raisonnement.
Le Champagne André Heucq Hommage Parcellaire 2014 est de 100% de pinot meunier ce qui m’a poussé à le commander, car je n’en bois pas fréquemment. Il a été dégorgé en octobre 2019. Il est énergique, intense et subtil et convient parfaitement à la cuisine subtile du chef. Il est vraiment gastronomique et j’apprécie ses belles complexités. Un champagne à recommander pour une gastronomie complexe.
Le Châteauneuf-du-Pape Les Safres Le Clos du Caillou blanc 2013 titre 15°. Il est d’une puissance rare, très épicé, trouvant un écho avec la cuisine du chef. Il est confondant de perfection dynamique. Je l’adore pour sa richesse ensoleillée.
Après ces deux vins il fallait bien se laisser aller à commander un vin de légende. Dès la première gorgée du Champagne Jacques Selosse Millésime 2008 dégorgé en janvier 2020, on sait que l’on est sur un Olympe de grâce, de complexité et de grandeur. Ce vin, comme les dieux, a tout pour devenir éternel. Etrange, virevoltant, capricieux, il cherche à nous décontenancer par ses saveurs, mais nous les prenons telles qu’elles sont.
Si ce champagne est une merveille, je considère, comme mes amis, que le plus impressionnant est le Châteauneuf, glorieux, royal, d’une largeur rarement atteinte par d’autres vins.
Petit détail qui compte : à aucun moment aucun serveur n’a balbutié ou hésité pour présenter la composition si complexe des plats. C’est à signaler.
La cuisine d’Alexandre Mazzia est exceptionnelle. Les complexités sont infinies, les associations sont osées mais pertinentes, et le tout est d’une cohérence absolue. Tout est subtil, suggéré, délicat. Nous allions de petit nuage en petit nuage. Le service du vin mériterait d’être plus présent mais les compétences du directeur et du sommelier ne sont pas en cause.
Tout a été subjuguant. C’est un des plus grands repas de nos vies.