Ma femme dit toujours que je ne sais pas dire non. Un canadien avec lequel j’ai conversé sur le web me dit qu’il aimerait déjeuner avec moi. Je ne sais rien de lui, mais je dis oui. Pourquoi, nul ne saura. Peu de temps après, je lui demande quels vins il apporte et la réponse est : un blanc de l’Ontario 2005 et un Kracher 1998. Il est avec son père aussi nous serons trois. Je me propose d’apporter trois vins et de choisir deux sur place.
La table est réservée au restaurant Laurent. Nous déjeunons dans le jardin, le plus agréable de Paris. Arrivé en avance, j’ouvre la plus basse des trois car elle va déterminer le choix de l’autre. Le Pommard Naigeon Chauveau 1961 a un niveau assez bas. Le bouchon vient en plusieurs morceaux. Le nez est étonnamment agréable. C’est une bonne nouvelle. J’attends l’arrivée de Mike et son père Gerald pour décider du choix du deuxième vin à ouvrir. Mike aime les bourgognes aussi le bordeaux restera à quai et l’autre 1961 sera ouvert, il s’agit d’un Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961 d’un niveau parfait, à un centimètre sous le bouchon.
Le menu que nous prenons tous ensemble est composé d’un saumon sauvage aux asperges, d’un pigeon et d’un soufflé à la menthe fraîche.
Le Clos Jordanne, le Grand Clos, chardonnay du Niagara 2005 est d’un joli or jeune. Le liquide est épais lorsqu’il glisse sur le verre. Le nez est plaisant, assez neutre. L’attaque en bouche est très crémeuse, le milieu de bouche est joyeux et frais. Le final est fumé. Les premières salves de ce vin font très américaines. Puis le vin s’affine et devient plus meursault. Avec la chair du saumon, il devient un très joli vin.
Le Pommard Naigeon Chauveau 1961 a une couleur claire un peu tuilée. Le nez est magnifique de richesse et d’opulence. En bouche, l’acidité est présente et le vin, sous une fatigue indéniable, montre beaucoup de qualités. Il se boit agréablement mais le niveau bas dans la bouteille trahit son âge.
A l’inverse, le Volnay Clos des Chênes Tasteviné par de Moucheron 1961 plus sombre, sans trace de tuilé, est tout en charme, en séduction, en équilibre et finesse. On mesure l’incidence du niveau dans la bouteille, car le Volnay fait jeune et charmeur et le pommard fait plus vieux malgré ses qualités. Car le pommard est intrinsèquement plus précis que le Volnay, plus noble. Mais le charme est du côté du Volnay. Sur le délicieux pigeon, le Volnay est merveilleux. Sur un chèvre Valençay, le pommard retrouve une belle jeunesse.
Le Kracher Welschriesling Trockenbeeren Auslese Nummer 11 de 1998 qui titre 7,5° est d’un or radieux. Il sent le sucre ou plutôt une eau sucrée avec un peu d’alcool. En bouche, si on accepte le côté doucereux, c’est un vin capiteux, sensuel, sur des notes de confiture de coing et de mangue. C’est très plaisant, et si le sucre domine fortement, il y a une jolie fraîcheur qui rend le vin plaisant. Le soufflé à la menthe fraîche joue un rôle phénoménal pour propulser le vin à des hauteurs inouïes, car il gomme le sucre et il ne reste que la trame grandiose d’un grand vin. Si ce vin autrichien se comporte comme les sélections de grains nobles de Hugel qui « mangent » leur sucre, les vins anciens de Kracher sont ou seront redoutables.
Mike avait dans sa musette un Scotch whisky single malt the Octave cask from Duncan Taylor 1969 superbe et d’un équilibre rare. Sous un soleil de plomb dans le plus beau jardin de Paris, j’ai fait la rencontre d’un passionné du vin, mélomane et pianiste avec lequel j’ai passé un agréable déjeuner.