Par des cheminements comme souvent compliqués, la responsable d’une chaîne de télévision souhaite me rencontrer pour parler de mes activités. Je lui propose que nous déjeunions ensemble et l’endroit qui me vient naturellement, car je le considère – un peu à titre de forfanterie – comme ma « cantine », c’est le restaurant Laurent. Lorsque Philippe Bourguignon et Patrick Lair sont partis le même jour à la retraite, un vide certain s’était créé. Il m’était apparu opportun de rendre hommage à cet endroit et à ces deux personnes et j’ai choisi de faire le dîner qui suivait leur départ au Laurent. Ce fut le 197ème dîner au début de cette année. Un successeur fut trouvé à Philippe Bourguignon, mais la mayonnaise n’a pas pris et c’est un collaborateur de Philippe Bourguignon, Christian, qui a travaillé longtemps auprès de Philippe, qui lui succède. J’ai connu son frère comme sommelier à l’hôtel Lutétia où nous avons fait avec lui, entre autres repas, un mémorable « casual Friday » avec des vins rares dont Filhot 1904.
Quel vin choisir pour une personne que je ne connais pas. Il faut qu’il soit assez vieux pour qu’il soit dans mon champ d’expérience, mais pas trop pour que mon invitée ne soit pas gênée. Il faut un grand vin, de plus accessible. Mon choix se fait.
J’arrive au restaurant Laurent avec un peu d’avance pour avoir le temps d’ouvrir mon vin. Il fait beau en ce début d’octobre, mais peut-être pas assez chaud. Les tables ont été dressées dans le joli jardin du Laurent, mais on peut aussi déjeuner à l’intérieur. Par prudence nous resterons à l’intérieur.
L’ouverture du vin se passe sans aucun problème, le beau bouchon venant entier. Je m’aperçois que le millésime n’est pas marqué sur le bouchon alors que ce devrait être une obligation pour tous les vignerons qui n’indiquent pas l’année sur leur étiquette mais seulement sur une collerette. Car les grands vins qui sont destinés à vieillir perdent souvent la collerette d’année qui se décolle et le bouchon aide à retrouver le millésime. Je le dirai à Jean-Louis Chave.
Je demande à Ghislain, fidèle et compétent sommelier, s’il a un champagne au verre. Il me dit qu’il va me faire essayer un Champagne Pierre Paillard Les Terres Roses, Bouzy Grand Cru extra brut rosé sans année. L’année de base est 2011 et le vin a été dégorgé en 2016. Il a 70% de chardonnay. Mon invitée arrive et nous trinquons sur une coupe de ce champagne. Je n’ai pas un amour fou pour ce champagne assez plat qui finit sur une amertume prononcée. Carole, mon invitée, n’est pas non plus une grande fanatique des champagnes rosés. Mais le champagne, s’échauffant dans le verre, devient plus urbain.
Nous commandons notre menu. Nos plats seront différents. Les miens sont : foie gras poêlé en entrée et pigeon en plat.
L’Hermitage Jean-Louis Chave rouge 1985 avait un niveau dans le haut du goulot. Son parfum est d’un charme intense, vin viril, affirmé et main de fer dans un gant de velours. La couleur est foncée, sépia bordeaux, en bouche la combinaison de force et de velouté est déterminante. Le vin montre une belle acidité et le vin est grand sans être explosif. Il joue surtout sur la subtilité et le velours. C’est un vin affuté.
Le foie gras est accompagné de figues et de petites crêpes sucrées aussi faut-il laisser le vin sur la seule chair du beau foie gras. L’accord est agréable. Avec le pigeon la combinaison est naturelle mais le vin perd un peu de largeur.
C’est sur des fromages que le vin va retrouver de l’ampleur, avec un saint-nectaire d’affinement parfait. Je fais l’impasse sur les desserts mais les mignardises et les meilleurs palmiers de la planète sont d’une traîtrise imparable.
Nous avons échafaudé divers plans pour faire connaître encore et encore ma démarche qui mêle grands vins et gastronomie. Le Laurent est une oasis de bien-vivre.