Un ami du monde du vin qui a changé de trajectoire professionnelle suggère que nous déjeunions ensemble. Ce sera avec joie. L’ancienne directrice d’un restaurant que je pratique fréquemment a changé de carrière et s’oriente vers la pâtisserie. Elle voulait me voir lors de la séance d’ouverture des vins d’un de mes prochains repas. Les dates ne convenaient pas, mais hier je reçois un message : ‘je peux venir vous voir demain’. Si elle vient pour voir l’ouverture des vins je trouve opportun de l’inviter au déjeuner, car mon ami acceptera sa présence.
Le déjeuner se tiendra au restaurant Le Sergent Recruteur. Je dis à Lumi que je commencerai les ouvertures à 11h30. Je suis arrivé à 11h10 aussi vais-je me promener le long de la Seine dans l’île Saint-Louis en attendant qu’elle arrive.
Il se trouve que j’ai prévu un vin blanc de 1957 de bas niveau, qui nécessite absolument un long temps d’aération. A 11h45, je bous, car elle n’est pas là. A 11h50 je fulmine et j’envisage de ne plus la convier à déjeuner. A 12h je suis au bord de l’apoplexie et elle se présente, confuse, car elle voit ma mine. Ma colère est à son niveau ultime mais je n’ai pas le courage de la priver du déjuner. Mon humeur s’améliorera lentement comme celle d’un vin qui reçoit une oxygénation lente.
Le Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère Henri Boillot 1957 au bas niveau et à la belle couleur a un bouchon qui se déchire mais vient sans incident et offre un parfum où la fatigue n’exclut pas l’espoir. Le Richebourg Jaboulet-Vercherre 1978 a un parfum de toute beauté. Il promet énormément.
Le soleil est revenu dans ma tête lorsque mon ami, ponctuel, passe la porte. Nous discutons avec Gaëtan de la composition du menu car j’aimerais qu’on commence par le vin rouge pour laisser au vin blanc plus de temps pour qu’il se recompose. Nous aurons donc un foie gras poché que j’ai demandé de recevoir sans rien d’autre, un plat d’asperges vertes et un ris de veau à l’artichaut.
La goûteuse rillette avec des toasts est le premier grignotage. Avec le Richebourg Jaboulet-Vercherre 1978 si riche et franc, si facile à vivre, c’est un bonheur.
Gaëtan nous apporte l’amuse-bouche qui est une sorte de crème de petits pois. Ça me fait sourire car j’avais bien dit qu’on commencerait par le rouge et il est inenvisageable que le vin puisse s’accommoder de ce plat.
Le foie gras poché sans aucun accompagnement pourrait sembler curieux mais j’ai tant organisé de repas avec Alain Pégouret qu’il ne s’agit pas d’un choix extraordinaire. Le foie est superbe et le Richebourg montre sa largeur et sa noblesse. C’est un grand vin même si la puissance n’est pas extrême. Oserais-je dire que je le préfère comme cela ?
Les asperges sont excellentes, mais les accompagnements de pamplemousse et de fruits acides vont être difficiles pour le vin blanc. Il faut aborder le Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère Henri Boillot 1957 sans attendre de lui qu’il ressemble à un Puligny-Montrachet. C’est un vin blanc qui aurait des accents de vin jaune, avec une belle acidité. Il est très agréable et il fait du hors-piste. Il n’est pas dans son appellation mais peu importe. Il a un fruit généreux et large, une belle acidité et on peut vraiment l’aimer et lui trouver du plaisir. Ceci ne peut exister que si on ne juge pas le vin avec des critères d’expert et si on l’accepte tel qu’il est. Je l’ai fait goûter en fin de repas à Gaëtan et à Aurélien le souriant sommelier, qui en sont convenus.
Le ris de veau est excellent mais copieux et pesant. Il forme un bel accord avec le Richebourg toujours aussi élégant et fringant. L’artichaut joue bien son rôle apaisant.
Lumi et Alex se sont trouvé des intérêts communs. Nous avons bavardé en amis. Ce fut un beau déjeuner et un vin difficile d’aspect nous a offert un beau message. C’est la magie du vin.