Au restaurant Michel Rostang, j’invite une personne qui avait organisé une dégustation de vins à l’Ambassade de l’Inde en France et pourrait être intéressée à proposer mes dîners à une clientèle indienne. Etant arrivé en avance, j’ai le temps de saluer et de bavarder avec la fille de Michel Rostang et de consulter la carte des vins et les menus. La carte des vins est très riche dans les grandes appellations avec des prix souvent élevés mais aussi d’autres parfois tentants.
J’ai le souvenir d’avoir eu en ce lieu un grand plaisir avec un vin d’Henri Bonneau. Ce serait une bonne occasion de boire à nouveau un de ses vins, en hommage à ce grand vigneron défunt. Je choisis un Châteauneuf-du-Pape Réserve des Célestins Henri Bonneau 1995. Examinant la carte, je pense que la canette « Miéral » au sang, servie saignante en deux services, sauce au vin rouge liée de son sang et au foie gras, suivie d’un consommé de canard corsé, pourrait être idéale avec le vin. Il faudra bien sûr le faire valider par mon invitée.
J’avais tout simplement oublié que Sanchari est hindoue et que la perspective de voir du sang la glace par avance. Faut-il annuler ce programme ? Le maître d’hôtel suggère que les aiguillettes qui lui seraient découpées soient saisies pour être à point ce qui supprimerait la couleur du sang. Je sens beaucoup d’hésitation mais aussi la volonté de ne pas contrarier mes choix. La commande du canard au sang est maintenue. Je l’évoque parce qu’il est rare que je me trouve devant une telle situation.
Les amuse-bouche ne pouvant s’accorder avec le vin du Rhône, nous prenons une coupe de Champagne Bollinger Spéciale Cuvée. C’est un champagne confortable et agréable. Il joue son rôle car il est adapté aux délicieuses et complexes saveurs des amuse-bouche.
La cassolette de giroles est parfaite car il s’agit de toutes petites giroles croquantes à souhait. C’est l’occasion de mesurer à quel point le Châteauneuf-du-Pape Réserve des Célestins Henri Bonneau 1995 est plein de grâce. Là où je pense velours, mon invitée pense à de la soie. Le vin est soyeux, raffiné et élégant.
La presse à canard arrive sur son chariot et le canard à la peau laquée se présente en même temps et j’ai bien peur que les opérations que va subir le canard, dont la découpe puis la presse, vont faire évanouir mon invitée. Faut-il lui imposer ce cérémonial ? Elle accepte que le canard soit préparé devant elle même si le bourrage de la carcasse dans le pot qui permettra le pressage n’est pas d’une esthétique absolue. Le sang de la carcasse pressée coule dans l’épaisse sauce et fort heureusement sa couleur se fond dans le marron de la sauce au foie gras.
Les aiguillettes à point arrivent dans leur assiette. Les miennes sont parfaitement saignantes. Le plat est divin et d’un plaisir total. Et j’adore un phénomène rare chaque fois qu’il se produit, la sauce et le vin se confondent. L’osmose se crée et c’est une sensation unique, lorsqu’on ne sait plus si l’on boit le vin ou la sauce. Le vin est riche, titre 14,5° mais on ne le sent pas car son élégance aérienne l’allège. Il est soyeux, velouté, et c’est cette sensation raffinée qui emporte les suffrages. Il y a des notes du sud dans ce vin comme la garrigue, mais aussi des notes de gibier créées par l’osmose.
Le vin est simple, très lisible, mais il est raffiné comme une dentelle du point le plus fin. Le mariage avec le canard ajoute au plaisir du vin.
L’Inde n’a pas une tradition d’amateurs de vins et encore moins de vins anciens, mais il y a un tel potentiel d’amateurs possibles dans ce pays qui bouge que l’idée de repousser les barrières culturelles n’est pas irréaliste.
Le service du restaurant Michel Rostang est compétent et attentionné. Ce fut un très beau déjeuner.