Le Réveillon du 31 décembre se passera pour une fois dans notre maison parisienne et non dans notre maison du sud. Tomo prévoit d’apporter un vin et voudrait me le donner en avance pour qu’il repose dans ma cave. Comment prendre possession de son vin ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Le rendez-vous est au restaurant Okuda dans le 8ème arrondissement. Nous apportons nos vins.
Dès le seuil du restaurant, on est déjà au Japon. L’accueil est souriant. Nous allons dans une petite salle où il n’y a que sept places sur des tabourets alignés face à la grande table de préparation des plats. Les couleurs sont agréables, le service est parfait. Il y a cette atmosphère que j’aime : des assiettes ou plats artistement conçus, une présentation esthétique des produits, un service attentif. Le temps s’est arrêté et l’on est bien.
Le menu dégustation est impressionnant : ormeau cuit à la vapeur et algue Wakame à la gelée de vinaigrette japonaise / huîtres frites, sel et sudachi / bouillon clair à la langouste, radis et tranche de boutargue / thon rouge, turbot et seiche de l’île d’Yeu, boules d’igname et algues nori d’eau douce / anguille laquée et grillée, chou de Bruxelles à la crème de sésame, chips de topinambour et radis mariné, entrecôte japonaise grillée / riz au congre grillé et aux légumes / compote de pommes de quatre variétés, sorbet à la pomme et pâte de riz frite à la cannelle.
L’ormeau est superbe, l’huître est un peu cachée par le goût de la panure, le bouillon est superbe et la langouste perd un peu de sa vivacité dans le bouillon, tous les autres plats sont goûteux, surtout le congre, l’anguille et le merveilleux bœuf Wagyu d’Australie. C’est un repas très élégant.
J’ai apporté un Champagne Krug Clos du Mesnil 1981. Il faut imaginer le tir d’une fusée de feu d’artifice. On voit la trace de la fusée qui monte, puis c’est une explosion magistrale, suivie d’autres explosions. Avec ce champagne c’est ça. Il prend possession de la bouche très calmement. Puis c’est une explosion de complexité, faite de fruits confits de toutes les couleurs. Ce champagne n’en finit pas et on se demande quand il va s’arrêter. C’est très probablement le meilleur de Clos du Mesnil que j’aie bu, mais il faut se méfier tant il y en a de grands. C’est la persistance aromatique qui est impressionnante.
Tomo a apporté un Corton-Charlemagne domaine Leroy 2009. La couleur est d’un or intense, glorieux. Il promet ce vin ! Le nez est une invasion de gaz mortel. Ce n’est pas pétrolé, c’est un gaz charmant. L’attaque du vin montre toute de suite que le vin est élégant. Il n’y a rien d’excessif, tout est en persuasion. En goûtant ce vin si jeune, on trouve un grand plaisir et l’idée qui me vient est qu’il faut boire ce vin soit maintenant dans sa jeunesse folle, soit attendre au moins dix ans pour le goûter dans sa maturité épanouie. Malgré sa puissance, je le range plus dans le camp des Corton Charlemagne de Bonneau du Martray que dans le camp des Coche-Dury. Mais lui aussi imprègne la bouche d’une trace profonde faite de fruits dorés.
Chacun des deux vins trouve sa place sur l’un des plats, la préférence de l’un ou de l’autre changeant à chaque saveur. L’ormeau est divin pour le Clos du Mesnil mais plus encore, c’est la gelée qui crée la résonance. Le Leroy s’accorde au bouillon de façon divine. Ensuite c’est l’un ou l’autre et les deux vins se fécondent, s’élargissant l’un l’autre.
Tomo sort de sa musette un Château d’Yquem demie bouteille 1999. La couleur n’est pas plus foncée que celle du Corton-Charlemagne. Ce vin est une belle surprise. Car un Yquem si jeune pourrait être limité. Or ce qui frappe c’est la justesse de ton. Il n’en fait ni trop ni trop peu, avec un équilibre rare. On pourrait dire que cet Yquem est un exercice de style. Ce n’est pas un « grand » Yquem car il n’a pas l’âge pour être grand, mais c’est un vin délicieux.
Nous avons regardé la carte des vins qui recèle plusieurs belles pioches. Un repas en cet endroit est un moment de joie. Il serait étonnant que je n’y retourne pas.