L’ami qui m’avait demandé d’organiser un dîner au Yacht Club de Monaco m’invite pour un déjeuner avec épouses au restaurant Pierre Gagnaire. La salle aux jolies boiseries de bois clairs a un aspect assez strict heureusement égayé par de belles porcelaines blanches. Le service est attentif, original et très concerné. Pierre Gagnaire vient nous saluer au fur et à mesure des arrivées à notre table, et c’est très agréable. Le menu du déjeuner, axé sur la terre et la mer puisque les betteraves et le cabillaud auront une place de choix est un ébouriffant kaléidoscope du talent du maître.
Il est des moments clairs où l’on sent le génie culinaire de ce dompteur de saveurs. Il est des moments troubles où les montagnes russes de saveurs contraires désorientent toutes nos boussoles. Mais au bout du compte, la sympathique profusion du chef emporte notre adhésion. On se souvient du peintre Matthieu, filmé en train de peindre, qui donnait l’impression de se battre avec la toile. Pierre Gagnaire a tellement à nous dire qu’il rajoute un mot de plus à chaque phrase. Et l’on n’est pas insensible à ce discours.
Une chose est sûre, c’est qu’une fois la profusion acceptée, on est heureux d’errer dans ce chemin de folles saveurs. Voici le menu tel qu’il est rédigé : Cocktail de poche : Merlan brillant, crumble vert de moelle / Palourdes Belle-Ile / Opaline au raisin liqueur et figues / Royale d’étrille, moules de bouchot et tiges de fenouil / Queue de boeuf à la cuillère, fondue de poireaux à l’huile de sésame / Déclinaison de betteraves du jardin de Monsieur Thiebault / tranche de cochon grillée / laquée à l’épine vinette / Darne de cabillaud rôtie à la peau puis assaisonnée d’un mélange de mélasse de caroube / champagne / nuoc-mâm / Crème de chou-fleur parfumée de bonite, râpée de maïs frais et cocos de Paimpol / Les desserts de Pierre Gagnaire.
J’ai adoré la variation sur les betteraves et la chair du cabillaud. Et les desserts sont un nirvana de douceur alanguie.
Le champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est charmant. C’est un vrai champagne. S’il existait une définition archétypale du champagne, ce Taittinger serait au centre de la cible. Il se boit bien seul et accompagne bien les amuse-bouche, mais les variations de saveurs sont trop rapides pour que l’on puisse saisir la réactivité du champagne.
Le vin du repas est un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2000. J’avais demandé au sommelier s’il avait une autre année. Il me rassura sur la qualité de ce 2000 et il eut raison, car ce vin est passionnant. Son nez est tonitruant et en bouche, la complexité est extrême. J’adore ce vin riche. Il est à noter que lorsqu’on boit le champagne juste après avoir bu le Corton Charlemagne, il prend une profondeur spectaculaire. Le vin blanc exhausse le champagne. Voilà une conjonction inattendue et spectaculairement positive.
Ce déjeuner amical au foisonnement culinaire est un beau repas.