J’ai eu l’occasion d’acheter une bouteille très rare de Perrier Jouët, un Champagne Perrier Jouët Champagne de Cramant 1955 qui a donné lieu à une toute petite production avec des bouteilles numérotées, et que la maison Perrier-Jouët n’a pas en cave. J’appelle Alexander qui gère toutes les opérations prestigieuses de son groupe et l’idée que nous buvions ce vin avec d’autres personnes de son groupe est lancée.
Une table est réservée au restaurant Pierre Gagnaire de la rue Balzac à Paris et nous serons quatre, Alexander, Paul-Charles Ricard, le maître de chais Séverine Gomez-Frerson et moi. Le chef Pierre Gagnaire nous accueille et je remarque une belle complicité du chef avec Séverine, qui a discuté du menu avec lui.
Pour commencer nous prenons un Champagne G.H. Mumm Blanc de Blancs brut de Cramant fait avec une base de champagnes de 2013, mis en bouteilles en 2014 et dégorgé en 2017. Le clin d’œil est avec le 1955 qui est de Cramant.
Le champagne me paraît très court alors qu’il est large en entrée de bouche, mais il suffit de quelques-uns des amuse-bouches pour que sa longueur réapparaisse. C’est l’amuse-bouche à base de sardine qui repositionne le Mumm.
Le menu préparé pour nous est : thon rouge laqué, vernis, murex, brandade de rouget, celtus et sommités de chou-fleur, gelée de bœuf / perdreau gris bardé de lard de Bigorre, rôti à la chanson, choux rouges aus raisins blonds, eau de coing à l’eau-de-vie de houx, farce au gratin de Sologne. Nid de cracottes, kimchi / les desserts Pierre Gagnaire.
Les intitulés de ce menu sont bien modestes, car pour chaque plat on voyage dans les saveurs comme Alice au Pays des Merveilles. Autour de mon assiette il n’y a pas un centimètre carré qui soit libre car chaque plat est accompagné de coupelles de différentes formes où nous attendent des saveurs infinies. Avec Pierre Gagnaire, on voyage dans l’au-delà. Et toutes les saveurs sont des merveilles d’imagination. Et c’est ce qu’il faut pour les champagnes qui vont venir.
Le Champagne Perrier Jouët 1979 apporté par Séverine a un parfum époustouflant, large riche et dominateur. Et en bouche c’est un champagne d’une belle jeunesse et d’une belle plénitude. Je l’adore.
Pour le Champagne Perrier Jouët 1961 aussi apporté par Séverine, je ressens au nez un goût de bouchon. Séverine me dit que c’est impossible, puisque ce champagne a été dégorgé hier et n’a aucun dosage. Je l’ai aimé à plusieurs moments du repas mais cette insistance de bouchon, qui n’est sans doute pas liée au bouchon mais à un problème d’impureté, m’a suivi tout au long de sa dégustation.
Si l’on fait abstraction de ce défaut que je ressens, il y a une solidité extrême dans ce champagne.
Le Champagne Perrier Jouët Champagne de Cramant 1955 que j’ai déniché est la preuve évidente que les champagnes anciens sont l’apothéose du champagne. Celui-ci fait son âge mais le fait bien. Complexe, large, sensible, c’est un champagne majestueux qui va trouver avec le perdreau surmonté de grains de raisins marinés un accord exceptionnel.
Le soufflé du dessert est démoniaque. En fait, venir chez Pierre Gagnaire, c’est la route de la Soie. Non pas celle des chinois, mais un parcours où, à chaque pas, il y a de quoi s’émerveiller. Bien sûr, on garde sa liberté d’aimer ou de ne pas aimer, mais on est transporté. J’ai trouvé que le thon rouge était un peu bridé par les saveurs très iodées qui l’entouraient, mais pour le reste, notamment le perdreau, j’ai été émerveillé. Pierre Gagnaire est un grand chef, heureux, car on ne peut pas offrir cette foison de saveurs si l’on n’est pas heureux.
Le classement pour moi est facile, le 1955 d’une maturité flamboyante est le gagnant, puis le 1979 pour son parfum glorieux et sa jeunesse épanouie, le 1961 qui malgré l’impression que j’ai eue est d’une belle richesse et le Mumm à base de 2013 qui est encore dans les limbes de ce qu’il sera.
Nous avons échangé des idées sur des projets communs. Le 1955 méritait ce repas et la cuisine de Pierre Gagnaire est un bonheur absolu.