Déjeuner au restaurant Taillevent. Un participant d’un forum américain souhaite partager un repas avec moi. Je ne peux pas déjeuner avec tous les « forumeurs » américains qui viennent en France, mais je dis oui. Michael est amoureux des vins de Bourgogne et travaille comme gestionnaire de cave pour trois américains très riches. Il a donc un pouvoir d’achat de vins très élevé. Il a apporté un vin et j’ai fourni le reste, déjà ouvert avant mon arrivée.
Le menu choisi avec l’aide de Jean-Marie Ancher est : saint-pierre en filet doré, écrevisses et potiron / noix de ris de veau croustillante, oignons des Cévennes et truffe noire / pomme reinette en Arlette croustillante, sorbet coing.
Le Bâtard-Montrachet Guy Fontaine et Jacky Vion 1990 est de viticulteurs que je ne connais pas, mais je l’avais déjà bu et apprécié. Son parfum est très agréable. Ce qui est impressionnant dans ce vin, c’est son équilibre et son confort. Il n’a pas la puissance des plus grands Bâtards mais il est probablement plus équilibré et gastronomique. Ce sont de beaux fruits jaunes que l’on sent le plus, avec un beau gouleyant. Il forme avec le saint-pierre un accord absolument exact. Je suis heureux que ce vin brille ainsi.
Le Corton-Charlemagne domaine Leroy 1991 a une couleur plus claire que celle du Bâtard. Le vin de Michael a une odeur incompréhensible. Il sent le soufre (ou quelque chose qui m’évoque le soufre), exactement comme un vin de l’année. Or ce vin n’a pas été débouché et rebouché. Son bouchon est d’origine. Et cette impression de soufre gêne la dégustation. En bouche le vin est déséquilibré. On sent qu’il a tout pour faire un grand vin, mais il est coincé, et n’arrive pas à s’ouvrir. Il n’est pas désagréable, mais il ne délivre aucune émotion. Le ris de veau est copieux, et malgré le conseil de Jean-Marie Ancher d’associer l’oignon à la truffe pour coller au vin, ça ne marche pas.
Il reste assez de vin pour le fromage et le meilleur accord, paradoxalement, est celui du saint-nectaire, fromage traditionnellement associé aux vieux vins rouges, avec le Corton Charlemagne. Pour un instant, il quitte sont manteau de soufre pour gagner une tension que jusqu’alors il ne voulait pas exposer. Fromage fini, il se referme dans sa coquille de vin coincé.
Le Vouvray Clos du Bourg moelleux le Haut Lieu Huet 1959 a un joli or clair de vin très jeune. Le nez est délicat, assez discret. En bouche, le vin est très difficile à cerner. L’attaque est doucereuse, joyeuse, séduisante, alors que le finale est celui d’un vin sec. Le message est assez simple, mais j’aime beaucoup son caractère énigmatique et troublant. J’aime qu’il me surprenne. Je le sens gastronomique, probablement avec du gibier à plumes à chair blanche. Sa fluidité est belle.
L’accord du jour, c’est celui du saint-pierre à la sauce épaisse qui a soutenu le Bâtard Montrachet de vignerons inconnus.