Devant retrouver un ami pour déjeuner au restaurant Taillevent, l’idée vient naturellement que la deuxième bouteille d’Yquem soit bue avec lui. Jean-Marie Ancher à qui je montre la bouteille compose le menu avec moi : épeautre du pays de Sault en risotto, homard et curry / foie gras de canard doré, pomme reinette et raisin chasselas / crêpes Suzette façon Taillevent. Si j’approuve les deux premières suggestions, je suis plus sceptique sur les crêpes, mais nous n’avons pas le temps de finasser.
Le Château d’Yquem 1970 est d’une magnifique couleur dorée. Son parfum est intense. En bouche, c’est un vin fort, dominateur, au botrytis impressionnant, d’abricots et de fruits oranges confits. Il a l’intelligence de ne pas écraser les plats de sa force de conviction. Avec l’épeautre, l’accord est évident. Avec le homard, il est juste poli. Avec le foie gras poché, c’est un régal. Le foie est fondant et le vin glisse à ses côtés. Et les fruits un peu acides donnent de la fraicheur à l’ensemble.
En voyant le plateau de fromages, qui, très classiquement, pousse à prendre la fourme, un Sainte-Maure me fait de l’œil. Pourquoi ne pas essayer un accord qui ferait du "hors piste" ? Et l’accord se fait beaucoup plus qu’avec la fourme, un peu envahissante et fermière. Nous parlions, nous parlions, et je n’ai pas eu la présence d’esprit d’arrêter le bras du maître d’hôtel qui inondait les crêpes de cognac. L’accord en a pâti, alors qu’avec les zestes d’orange confits, l’accord était naturel.
Déjeuner avec Yquem a un sens, car le vin est plus flexible qu’on ne le croit. C’est un grand Yquem au botrytis très affirmé. La cuisine est précise, le service est efficace. Au Taillevent, on se sent bien.