Les fêtes de fin d’année approchent. Je cherche au hasard des vins pour les réveillons. Ma fille cadette venant déjeuner demain, deux bouteilles prestigieuses qui me semblent incertaines devraient convenir à ce repas.
Le programme est : petits biscuits au parmesan, pâté de tête / coquelets et purée de pommes de terre / époisses et mont-d’or / flan.
Dès dix heures du matin j’ouvre le Clos de la Roche Joseph Drouhin 1937 au niveau à 15 centimètres du bouchon. Je tire doucement un bouchon tout noir et la première odeur est horrible, essentiellement de terre poussiéreuse. Immédiatement je pense que 99,9 % des amateurs de vins déclareraient la mort du vin et l’écarteraient. Ma vision du vin ancien est que l’on doit toujours donner sa chance au vin car si l’on pense déclarer la mort, autant le faire quatre heures plus tard. A ce stade, je ne peux pas garantir un retour à la vie, mais j’ai déjà rencontré des résurrections de vins ayant les mêmes défauts de parfums.
A titre de sécurité, j’ouvre une demi-bouteille de Château Lafite-Rothschild 1969 que j’ai bu plusieurs fois avec bonheur.
J’ouvre ensuite le Champagne Dom Pérignon 1959 à l’étiquette abîmée et au bouchon qui a dû souffrir. 1959 est une grande année pour ce champagne et fort curieusement je ne reçois jamais d’offres de ce millésime. Il n’est pas question de le voir s’abîmer encore, il faut le boire maintenant, d’autant qu’il a perdu une dizaine de centimètres. Je veux tourner la petite rondelle de fil d’acier qui, en tournant, permettrait de dégager la coiffe du bouchon, et elle me reste dans les doigts. Les fils d’acier se déchirent. Quand je veux lever le bouchon il se brise et le bas du bouchon nécessite un tirebouchon. L’odeur est assez fatiguée, mais aucun défaut n’apparaît. Il n’y a pas de pschitt.
L’avenir est incertain mais il faut espérer des retours à la vie.
Ma fille arrive avec son fils et je verse le Champagne Dom Pérignon 1959 qui n’a pas de bulle, qui a une jolie couleur dorée joyeuse et qui a une odeur très discrète, peu expressive. Dès la première gorgée, je sais que le champagne est grand. Il n’a aucun défaut. Mais la surprise vient maintenant. Sur le pâté de tête, je me rends compte que le champagne est superbe et gourmand, mais en plus, qu’il me semble être très au-dessus des champagnes de cette période. Il est immense, royal, impérial. Quelle surprise !
Le plus grand Dom Pérignon que j’ai bu est le 1929 de ma cave que j’ai partagé avec Richard Geoffroy. Je serais prêt à penser que ce 1959 vient juste après le 1929, car il explose de joie et de complexité. Je n’en reviens pas.
Les coquelets sont servis et nous commençons par le Château Lafite demi-bouteille 1969. Il est agréable, conforme à ce que doit être un Lafite, très plaisant et confirme ce que j’attendais.
Le Clos de la Roche Joseph Drouhin 1937 montre un parfum fascinant et joyeux. Toutes les mauvaises odeurs ont disparu, remplacées par des senteurs de petits fruits rouges étonnants. La couleur est d’un rouge marqué d’un peu de terre comme des vieilles Romanée Conti, mais couleur plaisante. En bouche, ce sont les petits fruits rouges qui dominent et le vin est absolument superbe. J’ai beau raconter des dizaines et des dizaines de fois des retours à la vie de vins blessés, je reste quand même fasciné qu’un vin qu’il faudrait jeter puisse se montrer aussi glorieux et sans le moindre défaut.
Sur l’époisses, le vin de Drouhin devient absolument immense. Le fromage le propulse.
Le flan permet au champagne de continuer de briller.
Il est à noter que le soir, j’ai goûté à nouveau les deux vins. Le champagne a perdu de sa splendeur, il s’est éteint, alors que le Clos de la Roche est toujours aussi brillant. C’est donc le vainqueur inattendu de cette belle journée.