Nous nous retrouvons tous au petit-déjeuner dans la salle à manger. Nous évoquons bien sûr le magique dîner de la veille. Je vais me mettre à écrire le compte-rendu avant le déjeuner et Lucien-François et son épouse nous quittent. Hugues et sa fille ont l’humeur exploratrice. Hugues souhaite que je goûte les Rully blancs du domaine de la Folie dont il est actionnaire et Victoria est curieuse de goûter un « bon » Constantia.
Nous retournons fureter dans la collection de vins liquoreux d’Hugues et Victoria déniche un Constantia qui lui paraît de bonne constitution. Je le prends en mains et je pense aussi que cette bouteille devrait convenir.
Victoria aimerait goûter un vin de Chypre. L’étiquette est illisible mais par assimilation avec d’autres, c’est presque sûrement un Chypre de 1870. C’est à Hugues de vouloir que nous essayions un Rhum Saint-Martin 1864. Il y a une bouteille à moitié pleine et Victoria croit en elle. Je la regarde et je suis plus circonspect, car la couleur est d’un orangé un peu gris et l’alcool semble trouble.
Hugues serait favorable à ce qu’on ouvre une bouteille de niveau parfait mais je calme ses ardeurs car nous ne sommes que trois buveurs . En rester là me semble la sagesse. Nous remontons toutes les bouteilles et je procède aux ouvertures. Les deux Rully 2015 ont des bouchons Diam de liège reconstitué très compacts et difficiles à retirer mais qui ont bien joué leur rôle.
Le Constantia 1861 a un bouchon de belle qualité contrairement à ceux d’hier. Le parfum du vin est superbe. Ouf ! Le Chypre 1870 a aussi un beau bouchon mais qui se brise en morceaux. Un ou deux tombent dans le liquide mais ça ne m’effraie pas car la qualité du liège permettra d’éviter une déviation du vin. Le parfum du Chypre semble plus vif et plus cinglant que celui du Constantia plus doux.
Le bouchon du rhum 1864 est très court et a laissé la place à l’évaporation. Le parfum du rhum me semble poussiéreux et faible. Nous verrons.
A déjeuner nous avons un plat fait de poissons variés avec une sauce en forme de bisque. Le Rully Clos du Chaigne domaine de la Folie 2015 a un joli nez expressif. Il est plutôt doux alors que le Rully Clos Saint-Jacques domaine de la Folie 2015 est beaucoup plus tendu. Hugues, comme la délicieuse cuisinière, préfèrent le Clos du Chaigne mais je préfère le Clos Saint-Jacques plus tendu, car la douceur du précédent fait apparaître un certain manque de corps.
Le dessert au chocolat et crème de marron d’hier est idéal pour accompagner les vins doux. Le Constantia J.P. Cloete Afrique du Sud 1861 est incroyablement sucré. Il a un goût de raisins de Corinthe pressés. On dirait un Passito di Pantalleria, le muscat sicilien fort sucré de Carole Bouquet. Le Vin de Chypre 1870 au contraire est d’une grande vivacité. Il n’est pas parfait car il a une petite amertume excessive dans le finale, mais il est d’un tel charme fondé sur du poivre et de la réglisse qu’il parle à mon cœur. Il a un cousinage certain avec « mes » Chypre 1845 qui sont encore plus longs en bouche.
Les deux vins sont absolument remarquables et très différents, l’un doucereux, l’autre piquant de raffinement. Et le chocolat convient idéalement.
Victoria voulait tellement que le Rhum Saint-Martin 1864 au niveau bas soit bon que son souhait a été entendu. Tout ce qui paraissait amer a disparu et le rhum chaleureux a exposé sa rondeur, sa douceur, avec une grâce infinie.
Je ne ferai pas de classement car les trois vins ou alcools doux ont été, chacun dans son genre, des moments d’intense émotion. Cette immersion dans un trio de vins de plus de 140 ans est un grand moment de bonheur. Quel beau séjour chez des amis charmants.
Chypre 1870
Constantia 1861
Rhum 1864
le gâteau au chocolat idéal !