L’histoire commence en 2011. Joël est un homme fasciné par les choses rares. Il est celui qui m’a dit il y a 13 ans : j’ai acheté une bouteille de 1690, je vais la boire et je vous dirai le goût qu’elle a.
Je lui ai immédiatement dit qu’il ne devrait pas la boire sans moi. Je suis venu chez lui et on a bu un vin fait du temps de Louis XIV, fade mais buvable dont l’émotion venait plus de son âge que de ses qualités gustatives. Mais quel souvenir !
Joël m’a récemment annoncé qu’il avait acquis une bouteille trouvée dans la mer. La forme de la bouteille est du 18ème siècle. On sait que ces bouteilles sont généralement cassées. La couleur qui apparait avec une lumière qui éclaire par derrière est unique, d’un rouge presque rose et le vin semble pur.
Comme il y a 13 ans il me dit : je boirai ce vin avec mon père et je vous le raconterai. Il devait se douter de ma réaction. Je lui ai dit que je serais très heureux de boire ce vin avec lui.
Il a accepté que je vienne boire sa bouteille du 18ème siècle trouvée dans la mer et je lui ai dit que j’apporterais quelque chose de grand.
Joël a vu sur mon blog que je veux faire un dîner avec 14 bouteilles ayant plus de 160 ans. Il me dit : je serais heureux si vous apportiez votre Cahors de 1730. C’est une des bouteilles les plus rares du dîner que je souhaite faire. Normalement, je dirais non, mais Joël est si généreux que j’ai dit oui.
J’ai ajouté une bouteille inconnue de 1841 avec une très belle couleur comme celle d’un alcool et une étiquette impossible à lire. Ce que je lis sur l’étiquette est « Ht Mmmmm ». Seule la mention 1841 est lisible.
Sachant que nous partagerons un vin de Porto du 18ème siècle, je demande à Jean-Bernard Métais s’il veut se joindre à nous. Il fait du vin dans la Sarthe de l’appellation Jasnières. Il a une cave de très vieilles bouteilles et c’est un ami. Il accepte de rejoindre notre groupe. Il viendra avec son épouse et propose d’apporter un Jasnières 1870 et un Chenin Blanc du 18ème siècle.
Nous nous retrouvons à la gare de Rennes et nous nous rendons chez Joël. Il sera avec ses parents et des amis. Il ajoute à sa bouteille sauvée des mers un Jerez de 1850, un Cheval Blanc 1947 et un supposé Bourgogne d’une année proche de 1850.
Dans la petite pièce où nous déposons nos apports, on peut imaginer l’anxiété que nous avons en ouvrant ces flacons historiques.
Le Jerez 1850 a une belle odeur sucrée. Les deux vins de Jean-Bernard, 1870 et 18ème siècle ont des odeurs parfaites. Mon Cahors 1730 pour lequel je n’ai aucune attente, si je me réfère à la dégustation du vin de 1690, nous surprend car il est élégant et pourrait être buvable.
Le supposé Porto du 18ème siècle a une odeur douce et élégante, voilà une bonne nouvelle. Le Cheval Blanc 1947 promet beaucoup, conforme à la mémoire que j’en ai. Le supposé Bourgogne d’environ 1850 sent l’alcool et on peut penser à une fine ou à un Marc. Mon 1841 a lui aussi un parfum d’alcool et très probablement d’un Armagnac.
Le bouchon du Porto venant des mers est petit et d’un liège très léger. J’ai utilisé un tirebouchon Durand pour éviter que le bouchon ne tombe dans le liquide.
A aucun moment nous n’avons ressenti qu’un des vins serait imbuvable. L’impression olfactive n’offre aucune certitude, mais nous avons de grands espoirs.
Nous rejoignons le salon salle à manger où se trouvent déjà les rennais qui accompagnent Joël dans cette grande expérience. Jean-Bernard qui est vigneron aimerait que l’on ne mange pas pendant la dégustation, pour essayer de cerner chaque vin sans subir la déviation que procureraient les mets.
Pendant cette dégustation, je n’ai pas pris de notes. Seuls restent mes sentiments pendant ce moment si important.
Le Jasnières Métais 1870 est délicieux, doux, délicat et plein de plaisir. Il est tellement beau et de belle longueur. Ce vin n’a pas d’âge. Sa couleur est presque rose. Si l’on disait que c’est un 1990, on ne ferait pas d’erreur. C’est le privilège des vins éternels.
Le Chenin Blanc Métais 18ème siècle est incroyable car il est exactement le même que le 1870. Il a le même ADN. Lui aussi n’a pas d’âge. Il est la douceur pure. Il a un peu moins d’énergie que le 1870 mais je préfère boire un tel vin si bien conservé. Je savais que le chenin est d’une longévité extrême, mais ce préphylloxérique est émouvant par sa fraîcheur préservée.
Nous passons maintenant à mon chouchou que j’avais jalousement gardé et que Joël m’a convaincu d’ouvrir. Le Cahors 1730 est une surprise incroyable. D’abord, il a de la couleur. Ces vieux vins pourraient être dépigmentés, mais celui-ci non. Et le plus incroyable est qu’il est buvable et a un vrai goût. Je pourrais faire un dîner avec ce vin et il ne serait pas rejeté. Je n’en attendais rien mais maintenant je suis au paradis. Boire un vin fait à l’époque où Louis XV était notre roi, c’est un miracle. On ne peut pas imaginer à quel point je suis heureux.
J’ai bu huit fois le Château Cheval Blanc 1947, légende parmi les légendes. Le Cheval Blanc 1947 de Joël fait partie du premier quart dans l’ordre que je ferais des dégustations du Cheval Blanc 1947. Il est grand, riche et conquérant. Pour lui, je propose que l’on brise la règle suggérée par Jean-Bernard : il est temps de grignoter et Joël a préparé avec sa famille de magnifiques canapés, à la truffe, au saumon, et autres gourmandises.
Nous voulons boire le supposé Bourgogne de 1850 et nous pensons que c’est un Marc, très fort, très intense. Il est difficile à boire avec une telle puissance, mais quel grand Marc ! J’ai écrit cela après être rentré chez moi, mais Joël a eu la curiosité quelques jours plus tard, de déchiffrer un papier qui était attaché à cette bouteille. Et l’on peut lire : Mirabelle de l’Est Chapugneau 1830 mise en barrique en 1874. Il est certain que nous étions plus soucieux de bien goûter les vins que de reconnaître les alcools. Cette mirabelle est d’une force inattendue.
C’est maintenant le grand moment de déguster le supposé Porto du 18ème siècle trouvé dans la mer. L’odeur est impossible à reconnaître. Si complexe. Et en bouche, il est également impossible de trouver une piste. Et puis tout-à-coup, on trouve la solution. Jean Bernard fait des vins qui vivent dans la craie. Et il pense à une huître et c’est le point de départ de l’explication : le bouchon a permis à un peu d’eau de mer de se mélanger avec le vin ce qui donne le goût de sel et d’huître, mais le vin est extrêmement élégant car le contact avec l’eau de mer n’a pas créé d’abus. C’est un Porto extraterrestre plein de charme. Un grand plaisir drapé d’étrangeté.
Joël est si heureux que son vin soit aussi émouvant qu’il décide d’ouvrir un Château Pétrus 1945. Je sens Joël tellement heureux de faire cette folie généreuse. Le 1945 est dans une vieille bouteille soufflée à la main. Extrêmement puissant, il est grand, mais porte moins d’émotion que le Cheval Blanc 1947. Joël verra plus tard que le bouchon porte bien la mention de Pétrus, mais est un bouchon de négociant.
Nous buvons ensuite le Jerez 1850 qui est agréable, mais un peu limité car il n’a pas la tension sèche d’un grand Xérès.
L’alcool que je suppose être un Armagnac 1841 est fantastique avec un fruit impressionnant, mais si fort que nous n’insistons pas.
Joël décide d’ouvrir un délicieux Château d’Yquem 1989 qui est parfait pour le Kouign Amann. Quelle émotion que ce voyage dans le temps avec trois vins du 18ème siècle si différents !
Il me faut du temps pour conclure et synthétiser cette expérience unique.
J’ai été tellement surpris que mon Cahors 1730 soit si grand qu’à cause de cette émotion si forte, je l’ai mis en premier, comme si c’était mon enfant.
Puis le Chenin Métais du 18ème siècle a eu un goût si doux et délicat que je l’ai mis en second, mais en deuxième émotion et probablement en premier pour le goût, plus avenant que celui du Cahors.
Vient ensuite le Cheval Blanc 1947 parce qu’aujourd’hui ce vin légendaire est grand.
Puis il y a la surprise de ce Porto unique du 18ème siècle. Grande bouteille, grand vin, et la présence de mer salée qui ne joue pas contre l’émotion.
Après ces vins uniques, je dirai que le Jasnières 1870 est hautement émotionnel, que le Pétrus 1945 représente la générosité exceptionnelle de Joël, que l’Armagnac 1841 est parfait et illuminera beaucoup d’autres de mes repas tant il est franc et joyeux. Le supposé Marc de Bourgogne vers 1850 qui est en fait une mirabelle de 1830 illuminera des repas de Joël et l’Yquem 1989 est un vin de pure joie et de retour sur terre après tant de rêves.
Résumons : 1 – Cahors 1730, 2 – Chenin Métais 18ème siècle, 3 – Cheval Blanc 1947, 4 – Porto 18ème siècle, 5 – Jasnières 1870, 6 – Armagnac 1841.
Quelle journée !!!!!