Un des plus grands cavistes de Paris m’appelle. Une jeune coréenne vivant à Hong-Kong, première femme d’origine asiatique ayant obtenu le prestigieux diplôme de « Master of Wine », cherche à rencontrer « le » collectionneur français spécialisé dans les vins anciens dont elle a entendu parler à Hong-Kong. Le caviste me propose de déjeuner avec elle. Je dis oui. Jeannie a écrit un livre sur les vins « Asian Palate » et se spécialise sur les accords des vins avec la cuisine asiatique. Elle voudrait explorer les vins anciens avec les cuisines de l’Orient. C’est un sujet qui ne peut que m’intéresser car j’ai en mémoire que lorsque Joël Robuchon a fait une pause sabbatique en abandonnant ses trois étoiles d’alors, il avait passé son nouveau temps libre à explorer les infinies possibilités de la cuisine chinoise où il a puisé de nouvelles sources d’inspiration. Trouver de nouveaux champs d’expérimentation pour les vins anciens ne peut que m’exciter.
Dans la salle de la cave où l’on grignote, nous prenons un persillé aux lentilles et un mini plateau de fromages. C’est amplement suffisant. L’ami caviste nous fait boire trois vins à l’aveugle. Le premier est doux d’approche, agréable et juteux, et ce qui me plait, c’est qu’il n’en fait pas trop. C’est un Coteaux du Languedoc Domaine de la Marfée, les champs murmurés Thierry Hasard 2005. Disons-le tout net, j’ai beaucoup aimé, car c’est franc, facile à boire, sans chichi et sans fausse note.
Ce n’est pas le cas du vin suivant : Marius, vin de pays des Côtes Catalanes 2005 qui titre 14,5°. Il a en lui tout ce modernisme auquel j’ai un mal fou à me faire. Jeannie dit : « cooked ». Ce vin a, pour elle, un fruit complètement brûlé, cuit, éteint. Elle non plus ne l’aime pas, ce qui doit venir d’un problème de bouteille, car le vigneron qui le fait n’est pas connu pour mal faire.
La belle surprise, c’est le vin Peyre Rose Oro, Coteaux du Languedoc blanc 1996 de Marlène Soria, une magicienne du vin. Ce vin d’une couleur inspirée par le nom, virant vers le rose, est assez fumé, avec des notes oxydatives qui évoquent le Jura ou un vin de Bourgogne ayant prématurément mûri. Mais ce vin bien sec, d’une forte personnalité se boit avec un plaisir certain. Je le trouve parfait, car il joue juste. Deux bonnes pioches, c’est un score excellent. Je suis ravi de ces découvertes. Nous avons bâti avec Jeannie des pistes de travail. Des pistes de goûts nouvelles, voilà qui excite le palais et le cortex.