Déjeuner chez Ledoyen dans ce petit havre de paix au beau centre de Paris. Trop influencé par la resplendissante époque Lejeune, j’ai du mal à concevoir Ledoyen autrement qu’au rez-de-jardin. La salle de l’étage est belle bien sûr, mais je me sens plus dans une antichambre que dans le palais que ce site doit être. Propriétaires, gestionnaires du lieu, mettez votre grand chef là où il doit être : dans le site magique où les vrais festins doivent se faire. Le rez-de-chaussée de Ledoyen est le plus beau site de Paris, donc du monde. Il ne doit pas être réservé aux groupes ou manifestations. Il doit appartenir aux plus beaux repas de la capitale mondiale de la gastronomie. Gourmets du monde, nous devons défiler de Denfert à République pour imposer Ledoyen comme le site obligatoire de la gastronomie de la France d’en bas (ou de rez-de-chaussée si vous préférez). Il est hautement probable que peu de télévisions se déplaceraient pour couvrir ce soulèvement populaire. Défilons au moins sur ce bulletin pour dire et redire : le site le plus magique pour la gastronomie parisienne c’est ce rez-de-chaussée unique de Ledoyen.
Ayant l’obstination de répéter ce que je pense, il serait bien étonnant que je ne revienne pas sur ce qui est l’évidence : la gastronomie française a besoin du rez-de-chaussée de Ledoyen, du site de Laurent, du Bristol, de Lasserre, du Pré Catelan, de la Grande Cascade, de la Tour d’Argent, du Ritz, de Taillevent, de l’Ambroisie, du Grand Véfour, du Crillon, du Meurice……. Car c’est là que la cuisine de la France est inimitable, combinant les talents les plus purs et le charme de sites inoubliables.
Je retrouve toujours avec plaisir Alain Loiseau, ce si compétentsommelier auteur d’une carte de vins éblouissante. Eblouissante mais inabordable tant les vins sublimes de la cave sont valorisés au delà de tout. Si la clientèle existe, tant mieux. Elle fait apparaître wine-dinners comme une oeuvre de charité. Ce n’est pas sûr que je m’en réjouisse. Car il faut que les amoureux du vin puissent eux aussi aborder des trésors de l’histoire du vin.
Les petits amuse-bouche sont d’une élégance rare, mais au cas où l’on n’aurait pas compris que le chef est breton, on prend en pleine figure plus qu’une lame, un raz de marée. La crème à l’algue vous désarçonne. A coté, la gnole des Tontons Flingueurs fait figure de jus de pomme. Tout ce que la marée charrie de goémons vous décoiffe. Ça pue l’algue comme aucunétier ne saurait faire.
Bravo au chef Christian Le Squer d’avoir le courage de ses opinions, comme dans sa crème d’huître au caviar qui est du même esprit, sans concession aucune, la brutalité de l’huître devant apparaître sans que rien ne l’adoucisse. Il nous faut des chefs de cette brise là.
Mon hôte avait apporté un Chateauneuf du Pape « BARBE RAC » 1990 de Chapoutier qui titre 14°. Ce vin a l’odeur d’un vin âgé, montre qu’il a livré bien des batailles, mais il est bon. Plus il s’ouvre et plus le charme inimitable de cette région s’impose. Il est mûr, mature comme on dit pour faire smart, il a déjà la patine que donnerait un âge largement avancé, mais il a un charme fou. Il ne s’embarrasse pas de discours intellectuels. Il joue de ses biceps et de ses pectoraux. C’est l’idole des plages et il le mérite. Comme je le subodorais, sur une merveilleuse truffe en croûte, le vin prend immédiatement le parfum de la truffe. On a l’impression de boire un jus de truffe, un élixir de truffe. Et c’est tout le mérite et l’intelligence de ce vin qui s’adapte à son terrain, au meilleur terrain.
Le caneton est cuisiné. Il est élégant et virtuose mais s’oppose un peu au langage du vin : le miel, les agrumes ne sont pas les amis du vin. Mais le Chapoutier sait s’adapter comme les livreurs de pizzas qui slaloment dans les embarras parisiens. Là, on peut jouir d’un plat de haute gastronomie, et en même temps profiter d’une belle symbiose entre le plat et un élégant Chateauneuf du Pape. Comme je l’expliquais à mon hôte rien ne m’excite plus que de voir ces vins d’infanterie se montrer grands comme les plus grands. C’est ce qui donne un formidable espoir de voir briller tous les vins français, je le répète.
Le Chateauneuf est rond, galbé, délivre un message typé, expressif, simplifié pour se faire comprendre, mais sans aucune once de facilité. C’est magnifiquement plaisant. Et tant mieux.
Sur un dessert au chocolat, un verre de Maury Mas Amiel 1954. Il tarde à s’ouvrir mais quand il le fait, on a une image d’une subtilité extrême. On est loin du 1925 ouvert récemment qui est triomphal. On est là dans l’authentique, dans le discret et dans le beau. Pourquoi inventer de nouveaux Maury si celui-ci existe ?
Un joli cadre, même si je désire l’ancien, un chef à la personnalité affirmée qui affiche sa maîtrise et ses convictions, un Chapoutier qui jouxte la perfection, et un rappel historique d’un beau Maury du passé. Mon Dieu que Paris est joli.