Déjeuner chez Patrick Pignol avec un amoureux des vins. Un énorme vase fermé, sorte d’aquarium où les piranhas sont de belles truffes noires est destiné à canaliser nos envies et anesthésier nos volontés. Du temps de Raffarin I les Guignols de l’Info le caricaturaient en hypnotiseur disant aux citoyens : « faites confiance ». Là, sans nous hypnotiser, il suffit que le sourire de Patrick Pignol paraisse devant nous avec cet innocent programme : « vous me laissez faire » pour qu’on s’abandonne à l’une des plus appétissantes aventures de truffes. Voici le parcours que nous accomplîmes sous la volonté de ce démon tentateur : crème coco, truffes et jus d’étrilles, tarte fine de Saint-Jacques et truffes, risotto de truffes, œuf aux truffes et sa tartine, grosse sole de ligne entière sans arête à la truffe. C’est redoutablement efficace, sur une truffe aussi dense de qualité qu’il y a deux ans. La chair de la sole est un vrai moment de bonheur. Sur tout cela, que nous ne savions pas (nous connaissions le plus grand dénominateur commun, la truffe), c’est un Musigny blanc Comte de Voguë 1992 qui devait être la Nathalie du voyage russe de Gilbert Bécaud. J’aurais volontiers pris un vin jaune, mais comme je dois aller faire une truffothérapie à l’occasion de la percée du vin jaune, ce bourgogne suggéré par Nicolas devrait être adéquat. Beau vin blanc dont la construction est sereine, solide, rassurante, il nous a offert de juteux plaisirs tout au long du repas. Mais, sans doute trop bien construit, il n’a pas eu de ces émotions qui arrivent lorsque le vin provoque le plat. Ce Musigny, c’était Louis XIV qui disait à la truffe : « monsieur Lulli, jouez nous donc l’une de vos compositions ». Le Musigny, c’était Greta Garbo avant qu’elle n’éclate de rire dans Ninotchka. Parfaite, splendide, mais jamais canaille. Ce que je dis ici est évidemment « à la marge ». Car profiter de truffes excellentes sur un Musigny de Voguë, c’est assurément un plaisir extrême.
Dans la liste des merveilles du monde, à coté du Taj Mahal et de Laetitia Casta, il faut ranger la madeleine minute de Patrick Pignol. On a tout en bouche : le miel bien sûr, la chaude pâtisserie, mais surtout le souvenir de saveurs d’enfance que Patrick Pignol intelligemment ressuscite. L’accord qui s’impose dans ces cas là, c’est évidemment un vieux Rhum.
Un repas diablement réussi par ce grand chef, dans une bonne humeur communicative et avec un grand vin. Il y a toujours de la place pour un bonheur de plus.