Nicolas de Rabaudy invite des amis en fin d’année. Nous nous retrouvons au Carré des Feuillants. Autour de Nicolas, un banquier, un vigneron, Michel Bettane et moi. Le champagne Pol Roger Cuvée Sir Winston Churchill 1986 apporté par Michel me fait un plaisir immense. Car je retrouve avec ce 1986 toute la splendeur que je n’arrivais pas à trouver avec le 1990. Ici, ce 1986 est parfait. Il a la puissance d’une bulle intacte pour ses 23 ans, un fruité agréable et un léger beurré, et son final est brillant.
Le menu d’Alain Dutournier est un roman : huître de Marennes, caviar d’Aquitaine et algues marines, spéciale « Gillardeau en gelée d’eau de mer, tartare d’algues et écume crémeuse / noix de Saint-Jacques snackées, compotée de potimarron, bouillon d’herbes parfumées / les deux envies de lièvre, quelques gourmandises de braconnier, râble simplement servi en médiéval « Saupiquet », en prestigieuse « Royale » avec truffe et foie gras / Fougeru briard travaillé à la truffe / perles de Mangoustan, marrons glacés, parfait vanillé, gelée de rhum, chocolat croustillant.
Le Nuits-Saint-Georges blanc « Clos de l’Arlot » 2002 est une curiosité apportée par Michel, car ce vin contrairement aux blancs de Bourgogne, n’est pas à 100% chardonnay, mais contient aussi du pinot blanc, à part quasi égale. Ce blanc est très sympathique et donnerait volontiers des idées de Condrieu. Le vin est juteux, mais son final est court. Il est plus que plaisant sur les huîtres.
Michel n’aime pas les coquilles Saint-Jacques et quand il n’aime pas, ça se sait. Il est vrai que l’excès de safran, de coriandre et autres épices orientales fait perdre le goût de la coquille.
L’objet de ce déjeuner, au-delà de l’amitié, c’était de comparer deux vins apportés par Nicolas, le Château Lafite-Rothschild 1997 et le Château Mouton-Rothschild 1997. Même si ces vins n’ont pas la puissance suffisante pour dominer le transcendant « lièvre à l’impériale », pardon, lièvre à la royale, que j’ai anobli tant il est bon, nous avons tout loisir pour bien déguster ces deux vins et les comparer.
Le nez du Lafite est absolument exceptionnel. En bouche, il est l’exacte définition d’un grand Lafite. Et ce qui est plaisant, c’est qu’une petite année montre de façon beaucoup plus évidente la pureté du terroir. Très tramé, d’une grande finesse, au final très frais ce vin est un grand vin. Si l’on doit parler de toucher de bouche, ce Lafite a une pesanteur exceptionnelle. A côté le Mouton me donne l’impression d’un Noureev qui marche avec des bottes en caoutchouc. Son parfum est plus imprécis et velouté. En bouche, c’est évidemment un vin très agréable, mais moins bien composé. Il va très bien avec le fougeru, car la truffe l’excite bien.
Pour le dessert, remarquablement exécuté, même si l’usage du rhum porte à la controverse, le Maury Domaines et Terroirs du Sud 1959 est une douceur sensuelle. Il y a du pruneau, bien sûr, mais ce qui frappe, c’est la fraîcheur mentholée du vin, et le final interminable et léger.
Pour s’amuser, j’ai fait voter notre petit groupe de cinq, et le Lafite a recueilli quatre places de premier, la cinquième allant au Pol Roger. Le vigneron et Michel ont le même classement qui se trouve être celui du consensus : 1 – Lafite, 2 – Pol Roger, 3 – Maury, 4 – Arlot, 5 – Mouton.
Mon vote intervertit deux vins : 1 – Lafite, 2 – Pol Roger, 3 – Arlot, 4 – Maury, 5 – Mouton.
Le Lafite 1997 s’est montré sous un jour d’une rare perfection, avec une précision et une finesse remarquables. Le Pol Roger m’a enchanté. La cuisine d’Alain Dutournier qui présente les plats en trois parties est d’un art accompli. Son lièvre avec une partie douce et une partie brutalement sauvage est de toute première grandeur. Ce fut un beau repas amical.