Des amis gourmets viennent dîner à la maison du sud. Il y aura deux caviars à comparer sur du pain et du beurre, le caviar Baeri avec des pommes de terre, du cœur de saumon fumé, des fromages et un millefeuille.
Le Champagne Dom Pérignon 1975 avait montré, six heures avant d’être servi, un discret pschitt et des senteurs prometteuses. Il est très ambré et dès la première gorgée, je suis conquis, tétanisé comme si je regardais un cobra. Il y a en bouche une saveur sphérique comme un bonbon de fruits exotiques jaunes. C’est un choc de bonheur. Le champagne est rond, long, charmeur, porteur d’extase. Je n’attendais pas un 1975 à un tel niveau. Il y a dans cette décennie des champagnes merveilleux comme 1973, 1971 et 1978. Ce 1975 joue dans la cour des très grands.
Le champagne est associé à une tarte aux oignons et le côté sucré des oignons crée un accord de continuité enthousiasmant. Il côtoie aussi un gouda aux grains de cumin et l’accord plus provoquant donne au champagne une vivacité nouvelle.
J’avais imaginé que ce Dom Pérignon accompagnerait aussi les caviars, mais comme je sens qu’il va très vite être à marée basse, je cours chercher un Champagne Taittinger Comtes de Champagne 2005 que j’adore car il est d’un confort idéal avec une douceur charmeuse. Il va bien avec le gouda aussi l’idée me vient qu’au moment des fromages, on mange le gouda en buvant l’eau-de-vie de cumin 1943 que m’avait offerte le regretté Jean Hugel.
Nous passons à table et comparons le caviar osciètre prestige et le caviar Baeri sur du pain et du beurre. Le Baeri se montre très au-dessus d’autres dégustations de ce caviar faites à la Manufacture Kaviari. Les deux caviars font jeu égal, avec des personnalités différentes. Le Dom Pérignon cohabite volontiers avec l’osciètre alors que le Comtes de Champagne convient au Baeri.
La pomme de terre au caviar Baeri du fait de sa douceur est mis en valeur par le Dom Pérignon. Pour le cœur de saumon fumé, les accords sont moins évidents. Un vin blanc riche eût été plus approprié.
Pour les fromages, je sers un Rimauresq Côtes de Provence 1983 que j’avais ouvert huit heures auparavant. J’avais trouvé son parfum très discret. Il ne l’est plus. Ce vin est glorieux. Il exsude l’olive noire et la garrigue. Il est généreux, typé, provençal et sa longueur est belle. Ce vin de 39 ans n’a aucun signe d’âge. Au niveau parfait dans le goulot, c’est le gendre idéal. Je conseille toujours aux amateurs qui ont de la place disponible en cave d’acheter des vins du sud, Bandol ou Côtes de Provence et de les laisser dormir au moins vingt ans, car ils expriment alors un charme qui les met au niveau des grands vins du Rhône.
Sur le gouda aux grains de cumin l’eau-de-vie de cumin 1943 se montre idéale, vivante. Comment cet alcool peut-il être aussi limpide que de l’eau de source ? Il est plus délicieux que lorsque j’avais ouvert la bouteille il y a bien longtemps. L’accord avec le gouda est magique.
Les bouteilles se vident à belle allure aussi j’ouvre un Champagne Krug Grande Cuvée sans année, qui n’a pas de numéro d’édition et qui n’a pas de code sur l’étiquette du dos de la bouteille. Il a donc des champagnes qui doivent en moyenne dépasser les vingt ans. Ce champagne a tout d’un édile provincial. Il est distingué, courtois, malicieux et ne manque pas d’esprit. Il n’a rien de révolutionnaire et sait se tenir dans toutes les situations. Il accompagne aimablement un millefeuille à la crème délicieuse.
A part l’étonnante eau-de-vie de cumin, deux vins sont d’un niveau exceptionnel, le Dom Pérignon 1975 et le Rimauresq 1983. Ce fut un beau dîner d’amitié.