Un ami journaliste m’a suggéré de rencontrer une personne qui a écrit sur le vin dans une perspective historique. L’idée me vient de l’inviter à déjeuner dans le local où se trouve ma cave principale et la grande salle où reposent les plus belles bouteilles que j’ai bues. Il y a de quoi parler d’histoire.
En consultant sa fiche Wikipédia, je peux lire qu’il est né en 1948. Ayant envie de faire un repas avec des sushis, car mes capacités culinaires voisinent le zéro absolu, je cherche un vin de 1948 qui pourrait s’accorder avec les mets prévus. Un Vin Jaune d’Arbois 1948 pourrait faire l’affaire. Pour avoir une autre solution, je cherche dans mes fichiers un champagne de 1948 mais il n’y en a pas. Ce doit être une année difficile à trouver et je n’ai bu que deux champagnes de ce millésime. Je me porte vers l’année 1949 et je choisis un Champagne Pommery 1949.
Mon invité arrive vers midi et nous commençons par une visite de cave. Nous allons ensuite dans la salle musée si on peut l’appeler comme cela, où nous allons déjeuner. Le menu sera : tarama à la poutargue / dos de saumon fumé / sashimi de thon / sashimi de thon épicé / riz / camembert / tarte aux pommes. Je propose de choisir le vin et nous concluons rapidement que ce sera le champagne.
Le Champagne Pommery 1949 est ouvert au dernier moment. A mon grand étonnement le bouchon en s’extirpant délivre un joli pschitt montrant que le vin a du gaz. La couleur est joliment ambrée d’un ambre clair. Le parfum est pur. En bouche, il y a une légère amertume, ce qui est normal, qui va disparaître avec le temps mais surtout avec les mets.
L’accord avec le tarama est superbe, car mets et vin se complètent, l’insistance de la poutargue rendant le champagne très vif. Le champagne n’est pas le meilleur ami du saumon qui aurait mieux profité du vin d’Arbois. L’accord avec le thon est entraînant. Le champagne est un peu strict, droit et il nous séduit par ses complexités. On voit que le champagne ancien développe une palette gustative infinie et plus riche qu’un champagne jeune.
Nous parlons, nous parlons et il faut se rendre à l’évidence, il faut ouvrir autre chose. Comme la suite est un camembert, il faut un champagne plus jeune. Je vais chercher en cave un Champagne Dom Pérignon 1985. Ce qui m’étonne c’est que le 1985 est d’un ambre presque aussi prononcé que celui du 1949. Je ne m’y attendais pas. La bulle est belle et le Dom Pérignon est manifestement plus expressif que le Pommery. Il est aussi beaucoup plus ensoleillé et joyeux. Masculin et affirmé, il rayonne. Avec le camembert qu’il faut prendre sans pain, l’accord est idéal.
Le 1985 cohabite bien avec la tarte aux pommes. Et j’ai envie que mon hôte goûte un peu du Madère vers 1740 que j’ai déjà ouvert il y a quelques mois. La couleur est magique, si vive et brillante avec des notes de pierres précieuses marron comme l’agate. En bouche ce vin est un miracle, porteur d’éternité. Complexe, joyeux, solide et indestructible, c’est un moment de pur bonheur.
Ce repas fut un moment précieux et pour moi une libération. Depuis un an j’ai vécu une sorte de confinement avec bien sûr des moments de joie et de partage, mais aussi le sentiment du danger. Il doit être possible d’utiliser cet endroit pour organiser des repas aussi joyeux et gratifiants. Un détail amusant. J’ai publié des photos des vins sur Instagram et un lecteur attentif a constaté que la bouteille de Pommery 1949 a été habillée d’une couronne princière pour célébrer le mariage du Prince Rainier et de Grace Kelly le 19 avril 1956. Je ne l’avais même pas remarqué !