Ma fille cadette vient déjeuner avec ses enfants. Le choix des vins est un exercice que j’aime, car je cherche ce qui peut faire plaisir. J’ai mis au frais un Champagne Egly-Ouriet dont la personnalité plaira à ma fille. Et en cave, je vois un Château LaGaffelière Naudes 1953 qui devrait convenir car je l’ai bu de nombreuses fois et toujours aimé.
Lorsque je prends en main, je constate que le niveau est entre mi-épaule et basse épaule. Nous verrons.
J’ouvre le vin quatre heures à l’avance et le bouchon se brise en deux mais rien ne tombe dans la bouteille. Le parfum est riche et fort et ne montre aucun signe de déviation.
Juste après j’ouvre le champagne qui a un beau bouchon et fait un beau pschitt. Tout va bien.
L’apéritif sera simple : chips à la truffe, gouda au cumin et mimolette. Le Champagne Egly-Ouriet 100% Grands Crus sans année a vieilli 48 mois sur lattes et a été dégorgé en juillet 2002. Il est d’un or légèrement ambré et la bulle est abondante. Il est impressionnant par sa personnalité et son originalité. C’est un seigneur. Le mot qui me vient spontanément est : champagne en habit de soirée. Car il en impose. Il est vif, viril, tranchant, et la largeur de sa palette aromatique mérite le respect. C’est un grand champagne aux mille évocations.
Ma fille qui adore les champagnes Selosse est aux anges car on est face à des complexités de même amplitude.
Le plat principal est un poulet avec un gratin dauphinois. Le Château LaGaffelière Naudes 1953 a une couleur foncée très intense. Le nez est aussi intense, percutant et n’a pas le moindre défaut. Le niveau relativement faible n’a eu aucune influence, ce qui est une leçon à retenir sans qu’on puisse en faire un dogme.
Le vin est riche, au grain de grande densité. Et sa longueur est belle. Je demande à ma fille de deviner son année. Elle propose 1983 alors que le vin a trente ans de plus. A soixante-dix ans, il est d’une jeunesse insoupçonnable. Ce vin est un beau témoignage à opposer à tous ceux qui doutent de la vitalité des vins. Que d’erreurs ont été commises par ceux qui n’ont pas confiance dans leurs vins.
Sur un Brillat-Savarin le Saint-Emilion fait belle figure, mais aussi sur un camembert. Qui l’eût cru ?
La tarte aux pommes convient au champagne.
Quand les vins se montrent au-dessus de mes attentes, je suis un homme heureux.