C’est l’anniversaire de ma fille cadette. Décidément, les occasions de boire en famille sont fréquentes. Au lieu de prendre les classiques symboles qui sont les vins de son année, je choisis d’autres pistes, en prenant un champagne de l’année de mon fils et des vins rouges dans la tendance parkérienne des goûts de ma fille aînée. Mais, ne soyons pas hypocrite, tous ces vins correspondent à mes envies.
Le champagne Salon 1969 représente une extrême rareté. Il faut savoir que la maison de champagne Salon n’avait, tout au début du 20ème siècle, qu’un seul client, Monsieur Salon, puisqu’il avait acheté cette parcelle miraculeuse pour sa consommation personnelle. Plus tard, tout a été vendu, et ce qui reste en cave des millésimes d’avant 1976 est microscopique. Boire un Salon 1969 est vraiment rare. Avec des coquilles Saint-jacques et du caviar d’Aquitaine absolument délicieux car non marqué par une amertume ou une salinité excessive, c’est un régal. Et sur le sucré de la coquille et la marque iodée du caviar, le Salon joue à son aise, montrant l’immense variété de ses qualités. L’âge lui a apporté une longueur sans équivalent. Le 1966 a été pour moi une émotion unique. Ce 1969 est d’une sérénité fantastique.
Le Château Pavie 2001 est l’enfant chéri des juges officiels des vins actuels. C’est le bon élève de la génération moderne. Le premier contact avec ce vin me fait un choc, car on est dans des tendances très éloignées de mes recherches. Mais lorsqu’on analyse, on voit bien que c’est un Saint-émilion et non pas un vin de nulle part. C’est sans doute un peu trop pour moi, mais je comprends que l’on puisse l’aimer.
Le Vega Sicilia Unico 1989, vin de la Ribera Del Douero, qui, comme on le sait, n’est pas en Sicile mais en Espagne, est complètement dans ma démarche. Le nez était de loin le plus élégant à l’ouverture à dix heures ce matin et confirme cette impression sur le porcelet rôti sur un lit de pommes de terre. Il a un joli bois, et je mets à imaginer un séquoia géant. Le plus important caractère de ce vin est l’équilibre entre toutes ses composantes de fruit et de bois. Ce vin très racé est d’un plaisir absolu.
Le Penfolds Grange Bin 95 de 1989 est aussi déroutant et éloigné de mon palais que l’est son pays, l’Australie. Il démarre comme un jus de mûres qui serait mélangé à un bouquet de fleurs. J’ai beaucoup de difficultés à entrer dans le monde de ce vin au sirop prononcé. Lorsqu’il s’anime dans le verre et lorsque l’on s’habitue, on comprend sa célébrité, car il a de belles qualités. Mais je ne suis pas très motivé à apprendre plus sur ce type de vins.
Ce qui est assez intéressant, c’est que les trois vins annoncent 13,5° ce qui me parait d’une modestie évidente pour le Pavie et le Penfolds. Je tenais à faire cette comparaison intercontinentale, et j’en suis satisfait. J’aimerais bien faire un autre essai où le Vega Sicilia côtoierait un Beaucastel et des Côtes Rôties de Guigal. Pourquoi pas ? La réunion familiale fut marquée d’un rare Salon, d’un bel espagnol, d’une cuisine dominicale parfaite (je protège ma paix future), de rires et d’affection.