Avec ma fille, pour un repas de famille, nous buvons un Champagne Billecart-Salmon Brut 2000. Ayant en mémoire l’extraordinaire Billecart-Salmon 1961 en magnum bu il y a peu, je suis un peu déçu que ce champagne, qui est bien fait, dégage aussi peu d’émotion. Il ne communique pas vraiment avec nous et reste sur un service minimum, comme le gréviste d’un service d’Etat. Dommage. Il faudrait vérifier si c’est ce millésime ou cette bouteille qui n’est pas au rendez-vous.
Nous sommes quatre pour un dîner de travail au restaurant Garance. Ayant l’initiative du dîner, je suis celui qui invite. Tomo, qui est de la partie, m’indique qu’il fournira les vins. N’aimant pas être en reste, je mets dans ma musette un vin de plaisir prêt à boire, pour que les vins ne perturbent pas nos discussions. Etant arrivé en avance pour que mon vin soit ouvert suffisamment à l’avance, je propose à Tomo qui a déjà ouvert ses vins que nous trinquions sur un champagne. Notre choix se porte sur le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru 2002
qui a été dégorgé en septembre 2011, après 98 mois de cave. Je ressens la même réserve que pour le champagne d’hier. Il est manifestement bien fait, la matière vineuse est belle, mais je le trouve sans énergie et sans envie de nous communiquer une émotion. Suis-je marqué par les dégustations récentes de très grands champagnes, c’est assez probable, car j’ai normalement un faible pour les champagnes Egly-Ouriet. De temps à autres, sur les brioches de Guillaume Iskandar le chef, le champagne se réveille et s’anime, mais le compte n’y est pas.
Comme chaque fois, je n’arrive pas à obtenir le menu écrit aussi suis-je un peu désemparé pour décrire la première entrée très goûteuse qui a accueilli le Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 2002. Quel vin magnifique ! Je suis toujours impressionné par la précision des grands rieslings et le mot qui me vient pour celui-ci est « cristallin ». Il est tellement brillant, gracieux, d’une acidité suprême très bien dosée, que je suis conquis. Ce 2002 est parmi les plus grands Sainte-Hune, un vrai bonheur.
Le homard aux petits légumes crus est hélas dominé par le gingembre et n’arrive pas à dominer au sein du plat beaucoup trop épicé.
André n’aime que les jeunes bordeaux aussi goûtons-nous un Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 2009. Tomo, voulant faire un clin d’œil d’amateur de vins anciens, associe à ce vin un Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 1952. La comparaison est intéressante. Le 2009 a une belle attaque généreuse dans le fruit qui procure un plaisir qui est remis en cause par l’amertume que l’on sent en fin de bouche, un peu trop prononcée. Le vin est franc et généreux, mais ce final lui nuit. Le 1952 a une attaque nettement moins tonitruante, mais il s’installe en bouche et délivre des complexités beaucoup plus grandes et une belle cohérence. Le son de ce vin est moins fort que celui du 2009, mais il apporte beaucoup plus de dialogue à celui qui le boit. Mon cœur va donc nettement vers le 1952 qui n’a pas une amertume aussi prononcée dans le final. Je comprends qu’André soit toujours du côté du 2009, mais ses certitudes vacillent grâce à cette comparaison.
La tête de veau associée à du poulpe est originale et gourmande. Bien grasse, elle cohabite très bien avec les deux vins qu’elle renforce.
Mon vin est servi maintenant, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996, qui met un terme à toutes les possibles incertitudes : s’il y a un vin qui est au-dessus de tous les autres, c’est bien celui-là. Cette Landonne est absolument exceptionnelle. C’est le vin parfait. Alors que j’ai chanté de nombreuses fois les louanges de La Turque 1996 vin confondant de puissance et de fruit, La Landonne me semble supérieure. Elle est très différente car elle ne passe pas en force. Elle joue les bourguignonnes et tout en elle est subtilité. Je crois bien que cette bouteille est au sommet de ce que peut donner la Landonne de Guigal. Nous sommes sur un petit nuage tant le vin est bon, très au-dessus de ce que j’attendais. Il a du velours, une mâche superbe, et une fluidité impressionnante. C’est un grand bonheur que de boire ce vin. Inutile de dire que le superbe lièvre traité en deux service est un régal avec ce vin.
Sur un brie à la truffe de la ferme des trente arpents, le Vin de l’Etoile Vieilles Vignes Philippe Vandelle 2011 est bien jeune mais judicieux. Il a des intonations de grappa car il est servi un peu chaud. Il a beaucoup de force, une belle présence avec ce côté très oxydatif des vins jaunes, même s’il ne l’est pas.
Le dessert au chocolat est très goûteux et plombant comme il se doit, aussi le Rivesaltes Ambré Fabienne et Pascal Rossignol 2009
est-il le bienvenu pour rafraîchir le palais. La force alcoolique est là, mais ce vin fait de grenache blanc et de grenache gris réussit à être léger avec de beaux fruits confits dans des tons oranges et bruns.
La profusion de plats et de vins n’a pas nui à la qualité de nos travaux. Il n’était pas question de voter dans cette atmosphère studieuse mais je classerai : 1 – Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996, 2 – Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 2002, 3 – Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 1952, 4 – Rivesaltes Ambré Fabienne et Pascal Rossignol 2009.
Ce fut un très beau repas.